Photo : Riad Par Abderrahmane Semmar Le secteur ferroviaire est depuis quelques temps au cœur de l'actualité. La récente inauguration des deux lignes ferroviaires automotrices électriques de la banlieue d'Alger vient, en effet, relancer le débat sur les investissements consentis par l'Etat dans ce secteur stratégique. En effet, une nouvelle tarification a accompagné l'ouverture de ces nouvelles lignes, revoyant dès lors les prix des billets largement à la hausse. Jusque-là abordables et à la portée des bourses les plus modestes, les tickets du train sont en passe de devenir le nouveau luxe des pauvres. Et pour cause, les billets des nouvelles rames automotrices sont 3 à 4 fois plus chers que ceux des anciens trains. Naguère à 0,90 DA le kilomètre par voyageur, la tarification de la SNTF calcule désormais chaque km par voie de chemin de fer à pas moins de 2,2 DA pour tout voyageur. C'est ce qui explique qu'Alger-Thénia est passé de 60 à 130 DA. Le billet Alger-El Affroun coûte 175 DA alors qu'il ne dépassait pas75 DA. Mais les usagers, encore sous le choc, n'ont pu avaler la pilule lorsqu'ils ont compris que même sur les petites distances, les prix des billets se sont envolés. Preuve en est, de Birtouta à Boufarik -à peine 14 km séparent ces deux localités- les usagers ont dû débourser 50 DA pour s'octroyer les billets de la nouvelle automotrice. Le même trajet est à parcourir pour rallier Blida à partir de Boufarik. Et pourtant, là, les billets coûtent 48 DA. Un simple calcule arithmétique nous permet de relever que le tarif de base appliqué par la SNTF est très disproportionné par rapport aux distances parcourues par les trains de banlieue. Par ailleurs, il convient de signaler à ce propos qu'une terrible cacophonie règne, aujourd'hui, dans les gares où les agents de la SNTF n'arrivent guère à fournir la moindre explication fiable sur le nouvel aménagement horaire des trains et les augmentations de leurs tarifs. A Agha comme à la Gare centrale d'Alger, les usagers ont tout simplement été livrés à eux-mêmes ne comprenant pas comment le billet Alger-Rouiba a connu une augmentation, inattendue, expliquent les usagers, d'autant que le prix d'un billet est passé de 35 à 70 DA, soit le double. «C'est trop cher», dénoncent, également, plusieurs usagers de la ligne Alger-Réghaïa dont le prix est passé de 40 à 80 DA.Force est aussi de constater que les billets des autorails, des trains régionaux, ont subi à leur tour de nouvelles augmentations. Pour preuve, la ligne Tlemcen-Oran, empruntée quotidiennement par des milliers d'usagers, a connu une hausse des prix, passant de 210 à 420 DA depuis cette semaine. la ligne Alger-Oran a connu une augmentation allant de 900 à 1 800 DA, soit 100 % de plus. Idem pour l'autorail reliant Alger à Chlef où il n'est plus possible à ces usagers de le prendre sans payer au moins 600 DA alors que le prix du billet était toujours cédé à 300 DA. Dans ce contexte, nombreux sont les observateurs qui s'accordent à dire qu'à l'heure même où pas moins de 60 000 personnes prennent les trains chaque jour pour se rendre à Alger, ce réajustement tarifaire opéré par la SNTF sans la moindre campagne d'information risque bel et bien de rebuter les usagers traditionnels du train dont certains n'ont pas caché, et ce, dès le premier jour de l'entrée en vigueur de la nouvelle tarification, leur résolution de reprendre les bus pour leur navette quotidienne. N'est-ce pas, là, un camouflet pour la SNTF qui a justifié ses augmentations mirobolantes, dont quelques-unes ont frôlé 150%, par les coûts d'exploitation des nouvelles rames d'automotrices ? «Il y a une réalité des prix à laquelle on ne peut plus échapper. La qualité du service et le confort, ça se paie. En plus, sachez que les prix proposés, aujourd'hui, sont beaucoup moins importants par rapport au prix réel. En d'autres termes, les prix réels sont cinq fois plus élevés que ceux proposés aujourd'hui aux usagers. Mais l'Etat soutient 50 % des prix des billets», explique Rahmouni Tewfik, responsable de la direction de la clientèle à la SNTF, avant de poursuivre : «Aujourd'hui, il y a un grand investissement dans le secteur, il est chiffré à des dizaines de milliards de dinars ; donc pour que la SNTF accompagne ce développement, il est plus que nécessaire aujourd'hui d'augmenter les tarifs. D'autant plus que la préservation et la maintenance du nouveau matériel exige une importante capacité financière. Nous ne sommes pas une entreprise sociale, et si l'on ne recourt pas à cette décision, je dirai que la SNTF va tout simplement vers la faillite. A mon avis, il faut mettre de côté les anciens réflexes et penser plutôt à l'avenir de la société par le renforcement de la politique du marketing, qui fait, malheureusement, défaut en Algérie. C'est ce qui a causé la faillite de plusieurs de nos entreprises nationales, un sort que la SNTF refuse aujourd'hui.» La messe est donc dite. La modernisation du transport ferroviaire a un prix à payer. Et le citoyen doit mettre à présent la main à la poche et ce, en dépit de son mince pouvoir d'achat. Mais, à ce propos, il est légitime de se demander où on a investi les 900 milliards de dinars alloués ces dernières années au développement du secteur du chemin de fer si la SNTF est menacée aujourd'hui de faillite. Est-ce la faute au citoyen si la part du transport ferroviaire dans l'offre globale de transport au niveau national ne dépasse guère 5% malgré les enveloppes faramineuses consacrées à ce secteur ? Certainement non ! De leur côté, les pouvoirs publics ne parlent que de la reconfiguration du réseau de chemin de fer, avec notamment la mise en service du tramway, du métro et la réalisation de nouvelles lignes ferroviaires, grâce auxquelles le ministère des Transports espère porter ce taux à 10%. A moyen terme, à partir de cette année, le transport par voie de chemin de fer devra prendre en charge annuellement 80 millions de voyageurs et 15 millions de tonnes de marchandises. Et, en 2025, «ce mode de déplacement concernera 160 millions de voyageurs transportés et 60 millions de tonnes de marchandises», a-t-on affirmé récemment au niveau de la direction du transport ferroviaire du département d'Amar Tou. Des ambitions louables et une volonté ferme de développer les chemins de fer ont été mises en avant par le gouvernement. Il s'agit plus précisément de toute une politique qui s'appuie «sur le triptyque : le rattrapage, la consolidation et l'extension du secteur». Dans ce sens, une stratégie de redressement du transport par voie de chemin de fer a été élaborée en axant les efforts, financiers et humains, sur la réhabilitation de toute l'infrastructure ferroviaire, l'extension du réseau, avec l'ouverture de nouvelles lignes, et l'amélioration des prestations de services offertes aux voyageurs. Dans ce cadre, l'acquisition de 64 nouvelles rames électriques permettra de rallier les 29 stations de la ligne Affroun-Thénia chaque sept minutes. L'objectif affiché est le transport de quelque 55 millions de voyageurs par an à l'horizon 2010 et au moins 80 millions de voyageurs par an à l'horizon 2020. Reste tout de même à répondre cette question sur toutes les lèvres : à qui profitent réellement ces grands projets ? Le citoyen smicard pourra-t-il mettre toujours les pieds dans un train où le billet lui reviendra à plus de 100 DA ? C'est dire, enfin, que les lendemains enchanteurs promis aux usagers de train ont de quoi nourrir de véritables inquiétudes et de sérieuses angoisses. Décidément, en Algérie, même le train snobe les pauvres…