De notre correspondant à Annaba Mohamed Rahmani Le patrimoine a ses férus, ses inconditionnels et ses amoureux, il représente pour eux un voyage dans le passé, un pèlerinage et un retour aux sources pour communier avec ceux qui l'ont fait, pétri et l'ont transmis. «Quand, je me balade au milieu de toutes ces ruines [Hippone] je ne me sens plus là. Je suis transporté ; j'imagine le forum, les thermes, le marché, les maisons romaines avec les piliers à l'entrée. Je vois les gens avec leurs costumes de l'époque ; les soldats en armes. Je vois s'écouler la vie paisible dans cette cité. J'arrive à imaginer saint Augustin officier et enseigner à ses ouailles sa philosophie. C'est une rêverie qui s'interrompt, hélas, et qui me renvoie à une réalité que je refuse et rejette parce que nous n'avons pas su préserver et protéger ces trésors inestimables.» C'est ce que nous a confié un archéologue rencontré sur le site de l'antique Hippone, cet homme qui «fait parler les pierres» et qui peut vous parler, durant des heures, de l'antique Hippone, de l'ère punique à celle byzantine en passant par le royaume berbère indépendant avec Micipsa et Jugurtha, l'époque romaine avec Salluste puis l'ère chrétienne suivie de celle des Vandales. «Il faut vraiment aimer son histoire, s'y identifier et s'y reconnaître, s'accrocher à ses repères et en faire les phares qui vous guident pour mesurer la valeur du patrimoine qui nous a été légué. Si l'on comprend cela, on ne peut que veiller à sa préservation et à sa protection. Il n'y a pas beaucoup de citoyens qui s'en rendent compte et certains parmi eux le renient plus par ignorance que par conviction. Il s'agit pour les autorités et les associations d'œuvrer pour changer cette appréhension tout à fait déformée de notre histoire ; l'Histoire est ce qu'elle est et on ne peut la maquiller. Il faut l'accepter et l'assumer. La renier revient à se renier soi-même. Les Egyptiens renient-ils les pharaons et les pyramides ? Bien au contraire, ils en font un objet de fierté pour montrer au monde leur civilisation passée malgré les difficultés auxquelles ils sont confrontés de nos jours et rien que pour cela ils méritent tout le respect.» Sur les quelque 1 046 associations agréées dans la wilaya de Annaba, il y en a bien quelques-unes à caractère culturel mais celles-ci brillent par leur absence quand il s'agit de patrimoine. On ne s'en embarrasse pas trop et on se dérobe quand il s'agit de protéger de la dégradation un monument ou un site historique, faisant tout endosser à l'Etat, arguant que celui-ci est doté d'institutions et nantis de moyens. Il faut dire que la plupart de ces associations ne sont pas formées et n'ont qu'une connaissance superficielle du patrimoine, ne sachant même pas le situer et encore moins comment le préserver. Alors, on s'en détourne et on le laisse livré à l'ignorance qui en prend possession, qui le foule aux pieds et qui le détruit. Une perte incommensurable que rien ne peut remplacer et qui efface des mémoires des témoins qui ont traversé les siècles pour se fixer dans un présent ingrat. Il y en a une, pourtant, qui, lors de la dernière rencontre wali-mouvement associatif, s'est penchée sur la situation du patrimoine et l'état de délabrement avancé dans lequel il se trouve. Son président était intervenu pour attirer l'attention du premier responsable de la wilaya sur l'urgence de la prise en charge du site d'Hippone, de la citadelle hafside et du fort des suppliciés. «C'est un pan de notre histoire qui est laissé à l'abandon, c'est notre histoire qui part en lambeaux. Il faut faire quelque chose au plus vite, lance-t-il à l'assistance. Il faut procéder au nettoyage du site d'Hippone. La mauvaise herbe a tout envahi et on a l'impression que tout a été abandonné. Il faut organiser des visites quotidiennes pour nos écoliers, nos lycéens et nos universitaires pour qu'ils puissent se former et s'informer sur cette époque de notre passé. De cette façon, tout le monde saura l'importance de ce site et contribuera à sa préservation. C'est avant tout un problème de communication et d'information ; si ces jeunes prennent conscience de cela, on n'aura plus à se faire de souci. Tous s'en feront les fervents défenseurs parce qu'ils auront su que leur identité s'y trouve intimement liée. La saison estivale approche et, avec le mois du patrimoine, c'est l'occasion rêvée de s'en occuper et de lui accorder plus d'attention pour qu'il reprenne la place qu'il mérite.» Le wali, qui a longuement écouté et enregistré cette intervention constituant une rupture avec les longues litanies des autres associations avec leurs problèmes de local et de subventions, a été agréablement surpris de découvrir des citoyens intéressés par le patrimoine et l'histoire. Il a promis de porter un intérêt particulier à cette question et que des mesures seront prises dans le sens de la promotion, de la valorisation et de la protection du patrimoine. Le site d'Hippone, l'université de Madaure, l'olivier de saint Augustin (Souk Ahras) et Khemissa, de son nom romain Thubursicum Numidarum peuvent constituer un circuit qui pourrait drainer des milliers de touristes étrangers. Le tourisme culturel rapportera d'importantes recettes qui seront employées à la restauration et à la réhabilitation de certains sites menacés. Il relancera les activités artisanales dans toute la région et créera de l'emploi. Alors, qu'attendons-nous pour mettre en valeur nos sites ?