Comment tourner la page noire du colonialisme sans la déchirer, selon l'altière formule de Boumediene accueillant Valéry Giscard d'Estaing ? Question lancinante nouvellement posée par Abdelaziz Bouteflika sans qu'il y apporte quelque réponse précise. Mais, fait nouveau, ses propos portent le sceau d'une indéniable modération. Celle-ci devant être appréciée par rapport à son discours, intransigeant, sans concessions, au sujet de la repentance. Le nouveau ton est même à l'apaisement. Sur la forme, le temps est donc à l'assouplissement, à l'atténuation et au répit. Sur le fond, le changement d'accent ne saurait constituer pour autant un indice probant permettant d'affirmer l'existence d'une réelle inflexion de la position algérienne. En tout cas, à l'occasion d'une «lecture juridique et historique des massacres du 8 mai 1945», à Sétif, le président de la République a donné l'impression de jouer au démineur de terrain politique et de défricheur de territoire historique. Certes, la prochaine visite officielle à Paris semble en ligne de mire. Mais elle ne peut constituer une explication exclusive de la nouvelle tonalité du discours présidentiel. L'inflexion de ton découlerait d'une nouvelle philosophie fondée sur le désir d'obtenir de la France une reconnaissance des tragédies que le colonialisme a engendrées partout où il a sévi et dégénéré. Donc, l'exercice officiel d'un devoir de vérité et de reconnaissance pour toutes les victimes de la colonisation, toutes origines considérées. Il s'agirait alors, non pas d'une repentance individuelle cantonnée au domaine franco-algérien, mais d'un pardon collectif. Bouteflika semble rejeter une approche foncièrement culpabilisante de l'ancienne puissance coloniale. Et, pour la première fois, indirectement, répondre à son homologue français, lequel estimant que les enfants français n'avaient pas à expier les fautes coloniales de leurs pères. Fervent musulman, il aurait excipé en filigrane de l'argument coranique voulant qu'«aucune âme ne portera le fardeau d'autrui, et qu'en vérité l'Homme n'obtient que le fruit de ses efforts». Logique de souligner alors que nous, Algériens, «savons bien que nous ne pouvons pas faire porter au peuple français tout entier la responsabilité des malheurs et des souffrances qu'en son nom le colonialisme français nous a imposés». Sans s'y appesantir, le président algérien prône une «voie originale» pour «surmonter les traumatismes causés au peuple algérien par l'Etat colonial français». S'agirait-il, en l'occurrence, d'écrire ensemble les nouveaux feuillets de l'histoire commune afin de tourner la page noire de la colonisation ? On ne connaît pas encore la nature de cette «voie originale» ni quelles balises philosophiques la rendraient politiquement praticable. Tout au plus, savons-nous que le chef de l'Etat s'en tient au fait que le contentieux mémoriel algéro-français est d'essence politique. Et qu'il doit être traité comme tel par les deux Etats. Bouteflika récuserait donc l'approche sarkoziste estimant que la question soit avant tout affaire d'historiens et d'universitaires. Et même s'il donnait parfois l'impression de demander à la France de se couvrir la tête des cendres d'un repentir flagellateur, il n'ignore pas que la colonisation fut une réalité différenciée. En aucun cas, une entreprise génocidaire systématique même si ses crimes furent nombreux, abominables, intolérables. Le nouveau discours bouteflikien est désormais à la différenciation, au nuancement et à la relativisation. Même si des voix algériennes, autres que celles du chef de l'Etat, réclament toujours une repentance que la France sarkozyenne refuse, à ce jour, de consentir. La nouvelle main tendue, c'est celle d'un peuple généreux qui veut pardonner sans rien oublier, rien renier. Qui n'attend pas de la France un pénible confiteor, une insupportable contrition collective ou l'expiation masochiste d'un souvenir collectif douloureux. Le peuple algérien, son premier dirigeant en particulier, attendent de la France l'affirmation d'une injustice systématique. Enfin, la reconnaissance par la représentation politique française des dérives intolérables du système colonial. Et, d'en demander pardon, officiellement, à tous les peuples colonisés. Ne pas se borner en fait à reconnaître la simple évidence de la colonisation comme «tragédie inacceptable». En un mot, ne plus se payer de mots, à bon compte. N. K.