La journée de l'artiste, si elle n'a pas figuré dans l'agenda des formations politiques, toutes tendances confondues, existe néanmoins ici comme ailleurs. Cette journée, une simple journée, n'a pas aussi mobilisé les principaux concernés faiseurs de rêve et rares sont les journaux, les «big communicateurs» et les associations grand public qui ont commenté le message formulé par M. Bouteflika à la veille du 8 juin, Journée de l'artiste. Ce dernier, à moitié accepté, à moitié toléré, justifie pourtant à son corps défendant des budgets d'équipement, de fonctionnement, des fêtes pour des rituels redondants sans flamboyance, sans joie digne de ce nom, des organigrammes, des «commissariats» à l'infini et des «structures» érigées dans le J.O. et pourtant anonymes pour le plus grand nombre ici et souvent raillés à l'étranger. Le Journal officiel n'est que la mémoire d'une République, et nombreux sont les textes qui y sont publiés et demeurent juste dans «la rubrique théorique» de leurs initiateurs. La création, les artistes sont la chair irremplaçable dans le corps d'une société, qu'elle rend tolérante, curieuse, intelligente, respectueuse du beau, du neuf, de l'audace et des libertés d'expression sans frontières ni tabous. La bonne nouvelle, à côté de la victoire de l'équipe nationale de foot, car le foot est un art pour ses fans et un ingrédient majeur pour une fierté nationale, est venue du président de la République. Et il faut la savourer comme telle. Elle est bonne car porteuse d'espoir pour les artistes et la société, et parce qu'elle annonce la mise en place prochaine d'industries culturelles. Le mot industries est dit par le premier magistrat du pays, qui peut signifier une rupture avec des pratiques, des us et coutumes «culturels» directement formatés et hérités du parti unique. Au pouvoir, Lénine disait que «de tous les arts, le cinéma est le plus populaire». Et c'est toujours vrai, malgré la TV, l'Internet, les films sur téléphonie mobile, etc. Le livre, la musique, le théâtre, la danse, la comédie musicale, la production radio et TV sont des industries à part entière, rentables à plusieurs niveaux. Elles sont le passé, le présent et l'avenir d'un pays. Elles enregistrent dans la mémoire, dans le vécu des gens une histoire nationale à la lumière, de l'imagination des artistes. Elles fédèrent des femmes et des hommes dans un même territoire, au-delà de leurs croyances religieuses, de leurs convictions politiques, autour d'une appartenance à une nation, à une culture diversifiée, altérée, enrichissante et enrichie des apports de l'humanité. La décision du président de la République -et son engagement clair et ferme pour l'émergence dans ce pays d'industries culturelles- peut être un des moments forts de son troisième mandat. Le chef de l'Etat évoque avec juste raison «la base matérielle d'un essor de la culture et de l'art en Algérie», car il s'agit bien d'investissements lourds privés et publics, de formations de pointe dans les techniques et technologies à l'œuvre dans tous les arts majeurs, adaptables aux espaces, aux saisons et à chaque configuration géographique et regroupements humains. Et M. Bouteflika, à qui on ne fera pas l'injure de ne pas savoir ce que les mots veulent dire, parle bel et bien d'un «vaste moment de renaissance nationale qui s'est enclenchée au cours de ces dernières années». La culture nationale articulée autour d'industries peut renaître en tournant le dos à cette routine bâtie avec des «bilans d'activité» qui alignent de dérisoires «fêtes» reproduites par des organigrammes de bureaucrates qui ignorent la noblesse de l'artiste et des productions culturelles. «De l'audace, encore de l'audace», disait l'autre. Le moment serait-il venu ? A. B.