Les deux principaux accusés dans l'affaire de dilapidation des 3 200 milliards de centimes de la BNA sont passés, dimanche dernier, à la barre. Aïnouche Rabah, propriétaire d'entreprises et associé de Abderrahmane Achour dans d'autres, est le premier à comparaître. Il nie en bloc toutes les accusations et se réfère au droit pour démonter les chefs d'accusation. Il faut dire que les trois années d'incarcération ont été mises à profit par les accusés pour passer à la loupe leur affaire. Aïnouche développe une seule idée qu'il maintiendra tout au long de son audition : «J'étais le dirigeant technique et Achour s'occupait de la gestion des comptes.» Le juge lui demandera à plusieurs reprises de préciser son statut : «Etes-vous associé ou employé de Achour ?» Il refusera de trancher. «Est-ce que ces sociétés vous appartiennent ou avez-vous servi de prête nom ?» demande de nouveau le juge. Aïnouche tergiverse, M. Belkherchi insiste : «Pour quelle raison un patron de plusieurs sociétés accepte-t-il d'être employé ?» Faisant dans l'ironie, l'accusé dit : «On ne peut pas comparer un véhicule de marque Deux Chevaux avec une BMW», en référence à l'importance des entreprises de Abderrahmame Achour par rapport aux siennes. Lui citant le cas de l'entreprise Rodiprom (spécialisée dans l'infographie et le flashage), le juge demande : «Vous avez déclaré ne pas être au courant que votre entreprise avait un 2ème compte ouvert à l'agence de Cherchell ?» «Une entreprise peut avoir plusieurs comptes et mon associé avait une procuration». Où sont passés les 900 milliards de centimes ? Le juge s'interroge : «Des opérations de plus de 1 800 milliards de centimes ont été effectuées entre Rodiprom et National A+. Quelle prestation a été fournie pour justifier ces mouvements ?» «Cela explique que ce ne sont pas des sociétés-écrans», dit Aïnouche. Au sujet de ses biens immobiliers, il précisera à la cour qu'ils sont tous au nom de sa femme. Pour la chambre louée au Sheraton à longueur d'année, Aïnouche affirme que c'est une convention de l'entreprise. En réponse aux questions de la partie civile, il répondra : «Je n'ai jamais contracté un crédit, ni fait un escompte ou un transfert.» L'avocat insiste, demandant quel marché a permis à l'entreprise Mimouna (spécialisée dans les matériaux de construction), dont Aïnouche est l'unique actionnaire, de gagner 500 milliards de centimes ? Même réponse, avec une note d'ironie : «Demandez-le à Achour.» L'ironie ne durera pas longtemps. Le procureur général (PG) le piège : «Entre ton Eurl Natassin et l'entreprise National A+, durant 16 mois seulement, il y a eu 300 milliards de centimes de dépôt, 27 milliards de centimes d'encaissement et 500 milliards de centimes de transfert. Au 31 octobre 2005, il n'y avait plus aucun centime dans ce compte. Où sont passés ces 900 milliards de centimes ?» Aïnouche tente de garder son calme : «Demandez-le à Achour.» A son tour le PG fait de l'humour : «Peut-on savoir comment on peut transporter 200 milliards de centimes en liquide ? Une somme retiré de ton compte domicilié à l'agence de Koléa». Aïnouche désigne Achour pour la réponse. Le procureur semble se délecter : «Votre société Natassim est une ‘‘Deux Chevaux'' ou une ‘‘BMW'' ?» Aïnouche est mal à l'aise : «Une petite entreprise.» «Comment une petite entreprise peut-elle avoir un chiffre d'affaires de 1 000 milliards de centimes ? Et votre entreprise Mamouna, qui a réussi, en l'espace de trois mois, à encaisser 400 milliards de centimes ! Avez–vous fait couler une dalle pour toute l'Algérie ?» Pour tous les autres mouvements de ses comptes, Aïnouche se défendra en disant : «Mon compte n'a jamais été débiteur.» Abderrahmane Achour s'avance vers la barre et nie toutes les accusations. Il fera remarquer au tribunal qu'il a demandé à voir les 1 957 chèques qui l'incriminent mais sans suite. Achour a une stratégie claire : «On ne peut accuser quelqu'un d'un crime sans lui présenter le corps ou encore l'arme. On m'accuse de dilapidation alors que mes comptes n'ont jamais été débiteurs, et on veut me mettre sur le dos un trou de 4 000 milliards décelé au niveau de la BNA depuis 1996.» Pour Achour «la banque n'a pas fait son travail. Elle ne m'a jamais signalé un quelconque problème». Le juge décide alors de faire une confrontation avec Belmiloud, l'ex-directeur de l'agence de Cherchell, qui confirme : «Les chèques étaient sans provision.» Achour explique de nouveau : «Les 2 100 milliards représentent un chiffre d'affaires.» Il insiste sur le fait que les chèques décelés par l'expertise ne correspondent pas aux extraits de compte. Un chèque de 100 000 euros remis au Casino de Paris A la question de connaître la raison qui a poussé l'accusé à utiliser les comptes d'autres personnes, Achour réplique : «C'est eux qui me sollicitent pour que je leur donne des marchés en sous-traitance.» La parole est donnée au PG : «Pourquoi avoir créé un groupe pour que, en fin de compte, n'avoir des marchés qu'entre vos entreprises ? L'argent est viré d'un compte à un autre pour finir à l'encaissement à partir de celui de National A+». Achour réplique : «Ma comptabilité est solide et à jour. Quant aux mouvements des comptes, je suis libre de les gérer comme je l'entends. Seul le fisc a le droit de me demander des comptes.» Le juge demande alors une explication en ce qui concerne le chèque de près de 100 000 euros remis à un Casino en France. «J'ai plutôt reçu ce chèque de la part du Casino pour rendre service à un ami étranger qui venait de gagner cette somme et voulait se soustraire au fisc français.» Le juge confronte le principal accusé avec d'autres qui confirmeront avoir «loué leur compte» et que les entreprises créées en association sont «fictives». Maintenant sa stratégie de défense, Achour explique : «Les statuts des entreprises existent. Quant à l'expertise ou encore l'instruction, elles n'ont apporté aucune preuve contre ma personne ou mes sociétés.» H. Y. / F. A.