Le métier de journaliste permet souvent d'aller loin. Il peut mener parfois jusqu'à la mort même si une défenestration est facilement mise en scène sous la forme d'un «suicide» ou d'une «accidentelle chute d'un cinquième étage d'immeuble» si le journaliste en question s'apprêtait à publier «une enquête sur le meurtre des moines de Tibhirine». C'est ce qui est arrivé à Didier Contant. Il était l'un des rares reporters étrangers à ne pas se suffire de simples déclarations de déserteurs, renégats de l'armée algérienne pour hurler avec les loups et brouiller la nature même du drame que vivaient les Algériens au cours des années 1990. Contant préférait effectuer ses enquêtes sur le terrain quel qu'en serait le prix à payer.Cela fait aujourd'hui plus de cinq ans qu'il a disparu et onze pour l'odieux assassinat des moines de Tibhirine. Paradoxalement, l'affaire est de nouveau exhumée suite aux divagations d'un général à la retraite sorti de… sa retraite, à la fin du mois de juin, selon lequel les sept religieux n'auraient pas été victimes des terroristes du GIA mais plutôt de l'armée algérienne dans ce qu'il qualifie, comme pour justifier une méprise à laquelle il ne semblerait, dans son métier, que trop bizarrement habitué à des… bavures. Le procédé d'information auquel il est recouru dans cette affaire, autrement dit une fuite organisée, précisément sur ce dossier, est gros comme une couleuvre et par voie de conséquence difficile à avaler. Tout d'ailleurs comme le moment choisi, à savoir la commémoration de la fête nationale de l'indépendance pour notre pays, laquelle, heureux hasard, implique toute l'Afrique et sa concomitance avec celle du quatorze juillet.Face au juge, le général à la retraite Buchwalter s'est basé sur les déclarations d'un ancien officier de l'armée qui tiendrait lui-même ces confidences de son frère également militaire et pilote de l'un des hélicoptères à partir desquels, pris pour un campement de terroristes, le bivouac des moines trappistes a été mitraillé. Hasardeuse théorie ou conclusion trop rapide d'un général, ancien du SDECE, en poste à l'ambassade de France en Algérie au titre d'attaché de défense et qui sort soudainement de sa réserve, voire fait une entaille au devoir de réserve auquel est tenu tout fonctionnaire pour déballer allègrement «ses vérités» à la justice. En fait, la question qui ne cesse de revenir est celle qui consiste à s'interroger sur le choix du moment, d'autant qu'en réalité c'est déjà en gorge profonde facilement identifiable aujourd'hui que le général à la retraite revient sur une information publiée il y a une année jour pour jour (6 juillet 2008) par un journaliste de La Stampa, en l'occurrence Valerio Pizarelli.Nul n'ignore qu'en politique tout est possible. Souvent, la raison d'Etat justifie des choses horribles et sur lesquelles il y a malheureusement trop souvent consensus, d'où cette même raison d'Etat. Toutefois, les raisons d'un déballage de contre-vérités, d'allégations mensongères, d'orchestration de campagne de désinformation, manipulations de nature à réduire la capacité d'action d'un camp politique adverse, d'un ou plusieurs de ses animateurs, qu'ils soient en exercice ou éloignés de cet exercice, peuvent faire partie de l'arsenal très terre-à-terre d'une stratégie de déstabilisation visant à porter atteinte ou littéralement à réduire au silence directement, indirectement ou par ricochet un ou des opposants et même parfois membre d'un même camp politique. Est-il alors besoin de revenir sur l'affaire des frégates de Taïwan, les terroristes du jardin de Vincennes, l'affaire Clearstream, le sang contaminé, l'Angolagate, l'espionnage de Besancenot, les révélations sur les déboires du frère de Ségolène Royal. Comme des dysfonctionnements, des crises internes nationales et, pis encore, des rivalités personnelles peuvent être à l'origine, d'autant plus si rancune et rancœurs sont tenaces chez ceux qui en sont les acteurs, conduisent à des situations irrationnelles.Nous en tenons pour preuve la réaction immédiate d'Alain Juppé, lequel est-il besoin de le rappeler était, à l'époque du drame de Tibhirine, Premier ministre de Jacques Chirac, déclarant qu'«il n'y a rien à cacher sur ce drame». Est-il alors besoin de souligner la profonde inimitié qu'à l'actuel président avec son prédécesseur et les tentatives de le «mouiller» dans certaines affaires en s'attaquant à ses plus fidèles lieutenants et, donc, en exhumant des affaires qui leur sont plutôt proches chronologiquement.Didier Contant avait vu juste en s'appuyant sur les seuls témoignages des proches des moines trappistes, notamment le gardien du monastère lors de leur enlèvement par les terroristes. C'est parce qu'il a révélé ce qui lui semblait le plus convaincant dans un dossier qu'il a traité de bout en bout, c'est aussi parce qu'il a démasqué certains de ses confrères pour qui l'implication de l'armée algérienne dans les tueries en masse d'innocents que dans son livre Rina Sherman, sa compagne parle de lui comme du «Huitième mort de Tibhirine»… victime de la folie des hommes.En Algérie, le terrorisme frappe encore, et «…il frappera encore sans doute» comme n'arrête pas de le rappeler le ministre de l'Intérieur à chaque opportunité mais il s'agit bel et bien des derniers soubresauts de la bête qui se meurt. A. L.