Frappée par la pire sécheresse de ces 60 dernières années, l'Espagne fait face à une crise gravissime qui n'épargne aucune région, pas même une Catalogne d'habitude généreusement arrosée. Depuis 3 ans, la région souffre d'une pénurie d'eau tout à fait exceptionnelle. L'alimentation de Barcelone et de son agglomération de 5 millions d'habitants constitue une vraie problématique pour la municipalité ouvrant le champ à une réelle guerre de l'eau en Espagne. En avril dernier, le conflit devient public. Il oppose le gouvernement de Catalogne et l'exécutif central. Le manque d'eau dont souffre la région catalane depuis l'automne fait monter d'un cran la tension entre Madrid et Barcelone. Le pouvoir régional de Catalogne, dirigé pourtant par le socialiste José Montilla, s'est offusqué du manque de «loyauté» et de «l'irresponsabilité» du gouvernement allié et ami de José Luis Zapatero. Le refus catégorique de la ministre de l'Environnement, Cristina Narbona, de cautionner le projet proposé par le gouvernement catalan relatif à un transvasement d'eau depuis le Segre, l'un des plus importants affluents de l'Èbre vers Barcelone, a soulevé l'ire des responsables locaux . Ces derniers comptaient extraire 1,5 hectomètre cube d'eau par jour en période de sécheresse. Or, la gestion des fleuves et des rivières relève de la compétence de l'État central. Sans son autorisation, aucune démarche ne peut être effectuée. Le gouvernement de Zapatero a mis un point d'honneur à s'opposer aux transvasements d'eau des fleuves, considérés comme une «aberration écologique». L'exécutif de gauche mène depuis quatre ans une bataille avec les régions conservatrices de Valence et de Murcie, qui réclament de l'eau de l'Ebre pour irriguer les cultures d'agrumes et développer le tourisme. Si Madrid venait à céder aux socialistes catalans, elle serait contrainte de faire de même avec les autres régions. Importer l'eau, l'ultime solution Un argument qui ne convainc point les Catalans qui font face à la menace de la pénurie. Car, arguent-ils, la situation en Catalogne est bien différente de celle de Valence ou de Murcie. Barcelone risque une sévère pénurie d'eau pour la consommation. Les cinq millions d'habitants de la métropole pourraient être soumis à des restrictions dès la fin de cet été. Actuellement, les réserves d'eau sont à 22% en dessous des capacités normales. Pour éviter les coupures dans une ville où le tourisme est la première source financière, le gouvernement catalan redouble d'imagination. Faute d'accord avec le gouvernement de Zapatero, les autorités locales décident de ravitailler par bateau-citerne la capitale catalane. Le premier bateau en provenance de Tarragone, chargé de 20 000 tonnes d'eau, est arrivé le 20 mai dans le port de Barcelone. C'est le début de rotations que feront plusieurs navires pour ravitailler la ville. Au total, 6 bateaux, dont 4 en provenance de Marseille et deux de la région de Valence, se relaieront également à partir de fin mai, ils effectueront 63 voyages par mois et fourniront 1 660 000 m3 d'eau par mois, soit 6 % de la consommation nécessaire locale. Une mesure provisoire pour faire face à l'urgence qui devrait durer 3 mois. La désalinisation comme solution durable Cette solution, très onéreuse, n'est envisagée que dans l'attente de la mise en fonctionnement de la très attendue usine barcelonaise de dessalement de l'eau de mer de 200 000 m⊃3;, qui doit être opérationnelle fin 2009. D'ici là, Barcelone a mis en place un régime de sanctions sévère. Tout gaspillage de l'eau potable est considéré comme un délit. Les politiques ont beaucoup bataillé pour que l'eau d'autres régions, particulièrement Valence, soit mieux répartie. Après nombre de palabres et de discussions acerbes, le gouvernement a tranché et décidé, en plus du projet de désalinisation, la construction d'une canalisation qui reliera Tarragone à Barcelone pour acheminer de l'eau du fleuve èbre. Les pluies de mai dernier ont toutefois permis de lever les mesures draconiennes imposées qui interdisaient l'arrosage et le remplissage des piscines. Les réserves ont atteint, désormais, 28% de leur capacité, soulageant les autorités qui agitaient le spectre des restrictions à la consommation. La solution catalane n'a pas manqué de susciter certains remous. Le mécontentement des français La décision d'approvisionner la ville de Barcelone en eau potable par bateau a suscité une vraie polémique dans l'hexagone. Le conflit d'eau en Espagne est en voie de s'internationaliser. Alors que les associations françaises dénoncent une mauvaise gestion de l'eau, la préfecture des Bouches-du-Rhône s'interroge sur les éléments juridiques de cette vente d'eau. La Société des eaux de Marseille (SEM) et la Société du canal de Provence (SCP) se chargent du transfert de l'eau provenant respectivement de l'usine d'exploitation de Sainte-Marthe et du Verdon. Les 2 sociétés ont déclaré que cette opération ne compromettait pas les besoins propres de la population locale. Alors qu'en février 2008, la communauté urbaine de Marseille, autorité compétente en matière d'eau et d'assainissement, a donné son accord pour que soit transférée de l'eau en direction de Barcelone au bénéfice d'Aguas de Barcelona, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, via le secrétaire général de la préfecture, s'interroge, dans une lettre adressée au directeur général du groupe Eaux de Marseille, le 15 mai 2008, sur ces ventes d'eau et lui demande de conforter l'approche juridique de cette vente d'eau. Le préfet fera valoir la loi de 1923, relative aux travaux autorisés qui stipule clairement qu'ils ne peuvent être envisagés que dans le but spécifique de l'amélioration de l'alimentation publique dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Var et du Vaucluse. Il en va de même du décret de 1857 qui précise bien que les dérivations opérées dans la Durance, outre l'irrigation, le sont «pour les besoins de la ville de Marseille». Il en est ainsi du décret de 1963 sur la concession des travaux du canal de Provence et d'aménagement de la Durance qui, d'une part, déclare les prélèvements d'utilité publique et, d'autre part, précise l'objet de la concession à la SCP qui est, en particulier, la construction du canal de Provence «destiné à alimenter les départements des Bouches-du-Rhône et du Var et la ville de Marseille en eau à usage agricole, domestique et industriel», précise-t-il dans sa lettre. Le préfet demande donc à la compagnie Eaux de Marseille de lui apporter les éléments juridiques qui ont conduit à considérer que la société pouvait répondre favorablement aux besoins de l'agglomération barcelonaise. De leur côté, les associations de protection de l'environnement dénoncent ces transferts d'eau. La situation barcelonaise, affirme-t-on, n'est que le signal d'alerte d'un problème global qui nécessite une réponse à long terme et une gestion durable de l'eau. Aujourd'hui, explique-t-on, on envoie des bateaux d'eau potable en Espagne alors que chaque jour dans le monde des personnes meurent de soif. Selon les associations de protection de la nature, la ville et le gouvernement catalans, au lieu de faire face avec fermeté à la crise structurelle de l'eau qui s'aggrave, crise en partie liée aux changements climatiques, mais principalement fruit de l'héritage d'une époque d'augmentation exponentielle de la demande pour l'agriculture irriguée et le tourisme, continuent de répondre en favorisant l'offre à moyen terme, tout en parant au plus pressé. G. H.