Photo : Sahel Par Samir Azzoug Tout a été fait dans les règles de l'art. La scène légèrement surélevée, les palmes en arcades, les guirlandes en jasmin, et la table au milieu, garnie de gâteaux traditionnels, ont donné à la soirée de lundi une saveur nostalgique qui rappelle les délicieuses nuits de noces d'antan. Les amateurs de la chanson populaire étaient nombreux à assister à la 7e édition de la Nuit du chaabi organisée par l'Etablissement Arts et Culture d'Alger. Ils étaient pensifs, rêveurs et méditatifs, les spectateurs, car il ne s'agissait pas de danser, le style musical n'y étant pas propice, mais de savourer les mots et les airs. Le chaabi fait appel à l'esprit plus qu'au corps. Des chansons à texte (qsid) qui relatent des histoires pleines d'enseignement. Une vingtaine de cheikhs (maîtres du chaabi) et de nouveaux prodiges se sont succédé sur la scène à tour de rôle. Une vingtaine de minutes chacun. Pas suffisant, mais juste assez pour donner la quintessence de son art. Faire de son mieux pour arriver à l'insiraf oule Heddi, des rythmes accélérés annonçant la fin de la qaada (soirée pour les initiés). Côté interprètes, il y avait du beau monde. Kamel Bourdib, Abdelkader Chaou, Abderrahmane El Koubi, Abdelmadjid Meskoud, et la liste est longue. Les amateurs et les noms moins connus ont créé la surprise. Des interprétations dignes des grands. Comme l'intervention de Abdelhakim El Ankis, digne fils de son père. Même voix, même interprétation et même défaut de prononciation. Mal Ezmane, interprété somptueusement, fait automatiquement penser à feu El Hadj Boudjemaa. Un autre «goursi» (gosier) a surpris : Mostapha Belagcen dit El ghilizani. En fermant les yeux, on jurerait que c'est el hadj El Anka qui est ressuscité. «La relève est assurée et le chai ne s'est jamais aussi bien porté», exulte cheikh Daman Issa oui, chanteur, compositeur, chercheur et animateur de radio, en plus d'être membre de la commission du jury national. Il se définit comme anthropologue de la chanson et le meilleur mélomane sur la place d'Alger. «Le chaabi est un style de chanson qui émane du peuple. Il a des racines solides. Même si les feuilles jaunissent et si le tronc flétrit, il suffit de peu pour qu'il reprenne vie», poursuit-il. De son côté, Dahmane Sidi Kebir, chanteur amateur, abonde dans son sens. «Le chaabi est éternel. Il n'est pas comme le raï ou la variété dont un tube connaît un succès de 3 mois ou un an seulement. Une chanson chaabie prend de la valeur avec le temps.» Une affirmation ô combien vraie si on considère que les qsidate (chansons) datent pour la plupart de plusieurs siècles. Et la saveur de la qsida diffère d'un interprète à un autre. Et pour le même chanteur, el houa (l'air) change selon son humeur du jour. Tout un programme et des codes que les amateurs s'évertuent à décrypter pour en déceler l'authenticité. Interrogé sur le but de cette manifestation, M. Redouane Mohamedi, directeur de l'Etablissement Arts et Culture explique que cette nuit dédiée aux maîtres du chaabi se veut une initiative ayant pour but de créer une manifestation culturelle régulière. «On veut que le 30 juin soit une date incontournable pour le spectacle musical à Alger. Et pas seulement cette date ; d'ailleurs, durant le mois du ramadhan, 3 soirées non-stop avec des jeunes sont déjà prévues.» Sur le devenir du chaabi en Algérie, M. Mohamedi explique que ce genre musical nécessite de la discipline, du sérieux, de la persévérance et du respect. «Le chaabi doit être mis en valeur par ses chanteurs et ses grands maîtres. Il faut mettre de côté les rivalités entre cheikhs et former les générations futures», préconise-t-il. Lalla El Batoul, Mal Ezmane, Mersoul Fatma et d'autres chefs-d'œuvre de la chanson populaire ont charmé les auditeurs. Un seul bémol, l'absence de Amar Ezzahi, une défection que les organisateurs expliquent par le refus du grand cheikh d'assister à ce genre de manifestation. «Il a son milieu dans lequel il aime évoluer. Nous respectons sa décision et son caractère.»