Dans les murs du Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) se cache une douleur profonde. Une adolescente, à peine âgée de 15 ans, redoute les mots de l'homme à la blouse blanche qui lui parle de ses douleurs au ventre. L'homme s'exprime avec calme et douceur mais annonce un mal turbulent, méchant, dans les deux ovaires. Un mal rongeur Le cancer s'est installé dans la partie chère à toute femme. Il menace de gagner du terrain. Seule l'ablation des deux ovaires l'empêchera d'avancer. La maman s'affole. Qui va épouser sa fille ? Elle ne pourra jamais avoir d'enfants. La jeune fille garde le silence. Aucun mot. Aucune réaction sur le visage. Le choc est terrible. Dans une salle avoisinante, une autre mère pleure son enfant qui se meurt. Un enfant de quatre ans qui pèse moins de quatre kilos. «C'était un très beau bébé» s'écrie-t-elle, gémissante. De l'enfant, autrefois joyeux et bien portant, il ne reste plus que les os et une peau flétrie. L'enfant se meurt, le corps affaibli par la chimiothérapie. Dans un autre espace trop exigu où un infirmier et un médecin discutent et examinent des enfants et des adolescents qui viennent des quatre coins du pays, une joie sincère illumine, enfin, des visages tristes. Un bambin de six ans, tout content de porter des lunettes nouvelles, demande à la femme qui l'examine : «C'est Hassina ou Fatiha ? Mes lunettes sont belles ? Oh! Je ne pense pas que tu sois d'ici. Tu dois être de Réghaïa… Ah ! J'ai oublié de te dire bonne fête. Donne-moi un bisou… Laisse-moi utiliser moi-même le stéthoscope. Je veux entendre les battements de mon cœur…» L'enfant n'arrête pas de parler. La joie est à son paroxysme. Il est pourtant malade. Très malade. Il a un cancer. Le rétinoblastome. Il n'y a pas encore quelques mois, il voyait avec ses deux yeux. Aujourd'hui, il ne voit avec aucun d'eux. Il voit peut être de l'intérieur, dirions-nous, tellement il est enthousiaste et hyperactif. «Ce sont les effets de la chimiothérapie» explique, discrètement, une infirmière. La réaction à la chimiothérapie n'est pas la même pour tous. Certains se retrouvent dans des situations d'abattement, de grande colère… sans compter les vomissements, le manque de sommeil, la perte d'appétit, etc. Les enfants et les adolescents qui la subissent la craignent tellement qu'ils ressentent ses effets avant même que le produit ne circule dans leur corps. Avant même qu'ils ne soient piqués aux veines. C'est le cas de cet adolescent de 14 ans qui affiche un air de mécontentement grandissant. Le garçon vomit alors qu'il n'est pas encore piqué. Le protocole de la chimiothérapie n'est même pas préparé. Un autre, plus âgé, 17 ans environ, ne se fâche pas mais ne parle pas. Ses yeux sont fixés sur l'écran de la télévision sans regarder aucune des images qui défilent. Peine et sacrifices pour les soins Les enfants supportent mal la chimiothérapie. Rien n'empêche, ils reviennent régulièrement pour leurs rendez-vous. Beaucoup parmi eux viennent de loin, de très loin. «Ils viennent d'Illizi, de Tamanrasset, de Tindouf, d'Adrar, de Ouargla…» raconte une infirmière. Et comme ils sont jeunes, ils viennent accompagnés de leurs parents ou de leurs proches. Souvent, les frais de transport sont à la charge de la famille. «Nous payons jusqu'à 3 000 DA par mois», confie une de ces mères combattantes. Et pour cause : dans de nombreux cas, les familles sont démunies. Elles n'ont pas de ressources. Ni elles ne sont assurées à la Caisse nationale d'assurance sociale (CNAS) ni elles ouvrent droit à l'aide du ministère de la Solidarité qui paie seulement les voyages par avion. Pour les autres, «on se débrouille comme on peut». L'Association «Nour Doha» d'aide aux cancéreux offre ses services. De grands services pour le bien-être de ces malades : l'hébergement dans son appartement sis à Meissonnier, la restauration et la détente… et, très souvent, les conseils et la bonne orientation. Ses membres prennent rendez-vous pour des consultations, des séances de chimiothérapie et d'autres de radiothérapie au profit de tous les malades qui frappent à leur porte. La tâche n'est pas toujours facile. Elle est même difficile. Les rendez-vous pour la chimiothérapie sont éloignés. Ceux de la radiothérapie, encore plus. Cela se répercute négativement sur l'état de santé des enfants cancéreux. Principalement les adolescents qui refusent et leur maladie et le traitement de la maladie. Ils les refusent d'autant qu'ils voient d'autres malades, de leur âge, sombrer peu à peu. «Les enfants voient leurs camarades perdre leurs cheveux, maigrir… et parfois même mourir. Ils se disent qu'ils auront les mêmes problèmes qu'eux –qui ont suivi pourtant un traitement- et pensent à la mort. Parfois, ils dépriment et se découragent. Parfois, ils se révoltent et crient leur colère aux parents et aux médecins», fait remarquer un des psychologues chargés d'annoncer la maladie à l'enfant et de le soutenir dans toutes les étapes du traitement. Les psychologues de l'unité oncologique pour enfants font un travail remarquable. Ils s'occupent des enfants et de leurs proches. De plus, ils n'apportent pas que le soutien psychologique mais aussi l'aide sociale. Et pas seulement eux ! Car, il y a aussi les médecins, les infirmiers… et tout le personnel médical et paramédical qui fait de même. «Ce n'est pas un service comme un autre. On ne peut pas rester indifférent à la détresse des enfants et de leurs familles», soutient l'une des femmes qui militent pour la cause des enfants. Malheureusement pour elle et pour tous ceux qui aspirent au bonheur des gamins, les conditions de travail ne s'y prêtent pas toujours. Un groupe de médecins et d'infirmiers travaillent dans un même espace qui n'offre aucune commodité. «Nous n'avons pas de bureaux. Nous n'avons pas de structures pour les bilans, les explorations. On n'a même pas d'endroit où changer nos blouses… La profession se clochardise», s'écrie un médecin. «J'attends l'occasion de partir pour l'étranger», lance son collègue, pourtant plus jeune de plusieurs années. Conditions difficiles de travail Les médecins en colère assurent qu'ils font de leur mieux pour venir en aide aux enfants cancéreux mais ils butent sur des problèmes assez sérieux. «Chaque jour, nous sommes confrontés à un afflux considérable de patients qui demandent tous une prise en charge immédiate. Nous accueillons des malades des 48 wilayas du pays. La demande dépasse de loin l'offre de services», raconte un médecin. Selon notre interlocutrice, le service oncologique pour enfants enregistre une moyenne de 200 consultations par semaine, avec 150 hospitalisations. 50% des enfants malades guérissent, 25 à 30% rechutent et 20 à 25% décèdent. «On n'arrive pas à passer les malades dans les temps. Nous n'avons pas suffisamment de locaux, encore moins de lits… La situation est très difficile à gérer.» Il faut pourtant la gérer et c'est cela qui est encore plus difficile. «Tout retombe sur nous. Les malades nous accusent de négligence, de laisser-aller… et pourtant, ça ne dépend pas de nous», poursuit encore la femme. Cela l'amène à évoquer le problème récurrent de la pénurie des médicaments au CPMC que les responsables du ministère réfutent souvent. «Nous avons un sérieux problème de manque de drogues vitales. Nous le signalons à l'administration mais sans résultat. Nous nous retrouvons dans des situations très difficiles. Les malades repartent sans leur traitement et leur cancer s'aggrave. Nous en sommes conscients mais nous ne pouvons rien faire», se plaint un autre médecin. Les chiffres officiels indiquent que 1 500 nouveaux cas de cancer se déclarent chaque année chez les enfants. Un diagnostic précoce de la maladie permet de la contourner et de prévenir les complications. Malheureusement, rapportent les médecins, beaucoup de malades ne consultent qu'une fois le cancer arrivé à un stade avancé. C'est le cas, par exemple, de ce garçon de 13 ans. Il a un sérieux cancer de l'os. «Il se plaignait toujours de quelques contractions au niveau de la jambe mais nous ne prenions pas la chose au sérieux. Il a fallu qu'il tombe dans la cour de notre maison et qu'il ait la jambe cassée pour que nous découvrions son mal véritable», raconte sa mère. Depuis, l'enfant revient régulièrement au CPMC pour des séances de chimiothérapie. Il se sent mieux mais «handicapé» par le poids de sa jambe qui enfle de jour en jour. De plus, il ne va plus à l'école, obligé d'arrêter les cours à cause de ses déplacements fréquents et contraignants. «Pourvu qu'on ne l'ampute pas de la jambe», affirme sa mère. Ainsi, des tumeurs dures atteignent les enfants, en même temps que les adultes. Elles pourraient être évitées par un diagnostic précoce. Cela se fait rarement. Conséquence : la maladie s'étend et se complique. Sa prise en charge est difficile et contraignante. Heureusement que le personnel médical, paramédical et les psychologues dévoué. Mais cela ne suffit pas. Il faut aller vers un véritable plan de cancer en Algérie. Les enfants en ont besoin. Les adultes aussi. K. M.