à la faveur de la saison estivale, ce sont des centaines d'enfants issus de familles modestes qui deviennent du jour au lendemain des commerçants ou des garçons dans les restaurants les pizzerias ou les centaines de cafés de la ville de Annaba. A la rue Gambetta, rue commerçante par excellence, ils sont légion, ils vendent de tout et partout, ils sont là sous le soleil à proposer aux passants toutes sortes de produits. Cela va du simple sachet aux sous-vêtements en passant par les serviettes de bain, les ustensiles de cuisine, les chaussures d'été ou encore des bibelots et des jouets importés frauduleusement de Chine. Les trottoirs, la chaussée et le devant des magasins sont squattés à longueur de journée et ne sont libérés qu'à la nuit tombée par ces enfants qui laissent derrière eux une traînée de papier et de cartons d'emballage que les éboueurs ramassent difficilement. Sous le marché couvert, à même le trottoir qu'on ne peut plus emprunter, on propose du persil, du coriandre ou des «diouls» fabriqués maison, on vend à la criée et on essaye d'attirer les clients en louant sa marchandise qu'on cède à des prix abordables pour tous. Là aussi, on trouve des corbeilles déposées à même le sol avec toutes sortes de sous-vêtements et de foulards qu'on propose aux femmes de passage. Juste à côté, des jeunes et des adolescents, des liasses de billets de banque à la main, achètent ou vendent des devises étrangères aux prix du marché parallèle avec, bien sûr, une petite marge bénéficiaire. Ces cambistes clandestins ont pignon sur rue et exercent leur «commerce» sans être inquiétés par les agents de police en faction, qui les voient mais les laissent faire. Les émigrés et les locaux y viennent pour acheter ou vendre et sont, la plupart du temps, satisfaits de la transaction. Parfois, on se fait avoir parce que de retour chez soi, on s'aperçoit que le compte n'y est pas et on revient sur les lieux mais on ne retrouve plus le cambiste qui a disparu. Aucun moyen de recours, on accepte la situation et on se reproche à soi-même d'avoir eu à s'adresser à ces escrocs. «Ces jeunes ne sont pas d'Annaba, nous dit un cambiste connu, ils gâchent la “profession” et font beaucoup de mal ; nous ne pouvons rien contre eux, ils viennent le matin, arnaquent les gens et disparaissent dans la nature. Les émigrés évitent maintenant de venir dans cette rue pour vendre des devises, ils préfèrent aller ailleurs.» Au marché El Hattab, au quartier Mersis, les enfants ont envahi tous les espaces et se disputent parfois pour telle ou telle place jugée intéressante. Le passage menant à ce marché est occupé par une nuée de ces revendeurs qui vont jusqu'à bousculer les passants pour leur proposer leurs marchandises. On trouve de tout, chocolat, confiserie de toutes sortes, gaufrettes, jouets, lames de rasoir, articles ménagers et autres produits alimentaires d'origine douteuse. La police est là et intervient souvent pour chasser ces revendeurs qui reviennent invariablement réoccuper les lieux. Dès l'approche des agents de l'ordre, on plie très vite bagage et on s'enfuit mais ce n'est là que partie remise, un jeu de cache-cache qui n'en finit pas. Dans les restaurants, les pizzerias, les cafés, les enfants sont exploités pendant toute la journée, ils y travaillent entre 10 et 12 heures pour un salaire misérable qui ne dépasse pas les 6 à 7 000 DA, ils sont là pour tout faire et obéissent au doigt et à l'œil du patron. Les services concernés de l'Etat sont complètement absents, aucune forme de contrôle, pas d'agents de la CNAS, pas d'inspection du travail. Ces exploités à outrance subissent un calvaire permanent parce que obligés de travailler pour subvenir aux besoins de leur famille.