La salle de consultation de la clinique médicochirurgicale infantile (CMCI) de Bousmaïl, dans la wilaya de Tipasa, ne désemplit pas. Des hommes et des femmes de tout le pays s'y rendent au quotidien. Certains pour des consultations, d'autres pour des renseignements pas pour eux mais pour leurs enfants. Des enfants nés avec des malformations cardiaques nécessitant une prise en charge médico-chirurgicale bien particulière que cet ancien aérium, appartenant à la Caisse nationale d'assurance sociale (CNAS), assurait seul il y a six ans. Ce qui expliquait sa saturation. Traitements coûteux L'établissement semble mieux respirer, aujourd'hui, après le conventionnement de la CNAS avec certaines cliniques privées mais cela ne veut pas dire qu'il satisfait toute la demande. Les listes d'attente restent encore assez longues et leur gestion, un vrai casse-tête chinois. Surtout lorsqu'il s'agit de cas nécessitant un transfert à l'étranger (petits poids et cardiopathies complexes). En fait, même si les conditions d'accueil et de prise en charge médicale, chirurgicale et aussi psychologique semblent satisfaisantes, de l'avis même des enfants malades et de leurs parents, et le staff médical assez compétent et dévoué, il n'en demeure pas moins que des problèmes organisationnels et techniques –qui dépasseraient la clinique- empêchent la bonne gestion du flux des malades. La situation est d'autant plus critique que le nombre des malades à opérer, en Algérie ou ailleurs en Belgique, en Suisse ou en France, est encore en croissance, favorisé par des mariages consanguins qui tardent à disparaître et aussi par le non-suivi de la grossesse dans de nombreux cas. Les enfants qui naissent avec des malformations cardiaques avoisinent 4 000 cas par an en Algérie. 10 à 15% représentent des cardiopathies complexes difficiles à prendre en charge dans la clinique de Bousmaïl ou dans les cliniques privées conventionnées avec la CNAS. Elles nécessitent donc un transfert à l'étranger. Selon le Pr Réda Touati, médecin chef de la clinique de Bousmaïl, la prise en charge médico-chirurgicale d'un seul cas –dans la clinique- coûte entre 350 000 et 450 000 DA. Sa prise en charge à l'étranger est encore plus coûteuse : de 15 000 à 20 000 euros, voire 28 000 à 30 000 euros. Cela dépend des prix négociés avec les équipes médicales étrangères qui, devrions-nous le dire, ne viennent pas en Algérie au rythme souhaité. Elles aussi semblent être saturées par les demandes provenant des autres pays. C'est dire à quel point il est difficile de prendre en charge ces cardiopathies congénitales en Algérie. Attendre… et mourir Que répondre à cet homme, plongé dans une grande tristesse, venant demander au médecin la date du transfert de son neveu à l'étranger ? L'enfant souffre de graves complications, selon les dires de son oncle et sa prise en charge dans la clinique de Bousmaïl, ou ailleurs, est pratiquement impossible. Raison pour laquelle il a été d'ailleurs décidé de le transférer à l'étranger. En attendant que les équipes étrangères le programment pour un traitement chirurgical adéquat, l'état de santé de l'enfant se dégrade chaque jour davantage. Il pourrait même en mourir. Beaucoup d'autres sont décédés de la sorte. Cela devient presque normal ! D'autres cas, parmi ceux qui sont programmés pour une prise en charge complète dans cet établissement, se voient obligés d'attendre des jours, des mois, parfois même des années pour subir l'intervention chirurgicale nécessaire. Il y a ceux qui ont attendu dix ans. D'autres n'ont pu tenir longtemps. Eux aussi ont rendu l'âme. «On m'a donné une liste de 3 500 malades à gérer», lance le Pr Reda Touati, nommé médecin chef de la CMCI de Bousmaïl, au mois de juillet 2006. Notre interlocuteur, visiblement intrigué par la gestion de ses prédécesseurs, confie que des malades devant être transférés à l'étranger n'ont pu bénéficier de cette prise en charge tant souhaitée. Au lieu de les inscrire sur les listes des malades à transférer à l'étranger, ils étaient mis dans les programmes à effectuer dans la clinique. Ils relevaient pourtant de cas complexes pour lesquels les médecins de la clinique ne pouvaient faire grand-chose. Certains sont décédés, d'autres qu'il appelle, lui-même, des «miraculés», sont encore en vie. «J'ai réexaminé ces dossiers et je les ai transmis à la Commission médicale nationale» pour leur transfert. C'est ce qui explique, en partie, l'augmentation du nombre des malades transférés à l'étranger, en 2007, en comparaison avec l'année 2006. Soulignons, à ce propos, que le nombre d'enfants transférés, l'année dernière à l'étranger, était environ 75 et 45 l'année précédente. La salle de cathétérisme refaite à neuf La clinique de Bousmaïl est le seul établissement public à traiter des cas de malformations cardiaques congénitales en Algérie. D'aucuns ne peuvent renier les compétences avérées de son staff médical, paramédical et même administratif. Les enfants y trouvent leur compte, ils passent leur «séjour» dans une belle ambiance familiale. «Nous faisons de notre mieux», affirme modestement une ancienne infirmière. La CMCI de Bousmaïl dispose de deux blocs préopératoires et de deux autres post-opératoires, avec quelque 70 lits d'hospitalisation, ajoutés à deux grandes salles d'animation pour les enfants et de petites aires de jeux. Elle dispose également d'une magnifique salle de cathétérisme conventionnel qui existe depuis l'ouverture de cet établissement, en 1986, et était opérationnelle jusqu'à sa fermeture, en 2006, pour travaux. La salle est, aujourd'hui, refaite à neuf et est équipée d'un matériel de très haut niveau. Cette salle de cathétérisme conventionnel permet de traiter l'enfant malade par des moyens médicaux sans ouvrir le cœur. Son rôle est double : diagnostic et traitement. Autres avantages : ce traitement donne le même résultat que celui où le malade est opéré à cœur ouvert, sans laisser la moindre cicatrice. Le traitement est aussi moins cher que l'opération à cœur ouvert, avec beaucoup moins de risques. Outre le traitement par cathétérisme conventionnel, l'équipe médicale procède à des interventions à cœur fermé et/ou à cœur ouvert. Lorsqu'il s'agit d'une opération à cœur fermé, explique le Pr Touati, «nous pouvons opérer l'enfant quel que soit son poids. Nous avons même opéré des malades de 1,5 kg seulement». Ce n'est pas la même chose lorsqu'il s'agit d'une opération à cœur ouvert. «Nous avons des difficultés à gérer les cardiopathies congénitales chez les enfants qui ont moins de 7 kg», poursuit le médecin chef, en rappelant qu'il y a encore quelques années, «nous ne pouvions pas traiter un enfant qui a moins de 10 kg». C'est donc une grande avancée par rapport aux années précédentes. Dans ce genre de situations (les petits poids), ajoutés à ce qui est appelé «les cardiopathies complexes», le médecin soumet les dossiers à la Commission médicale nationale qui décidera de transférer les enfants soit à l'étranger, soit vers des cliniques privées conventionnées avec la CNAS. La prévention, meilleur moyen de traitement Le Pr Touati insiste, toutefois, sur la prévention pour réduire un tant soit peu le nombre des enfants porteurs de ces malformations cardiaques. Le médecin chef revient principalement sur le danger des mariages consanguins, soulignant à l'occasion qu'un tiers de la population algérienne est issu de mariages consanguins. «La consanguinité est le premier facteur générateur de malformations congénitales. Toutes les malformations. Celles du cœur restent, toutefois, les plus fréquentes», affirme-t-il. Il cite, en deuxième position des causes directes de ces malformations congénitales, les maladies génétiques. En troisième position, il y a la trisomie 21, pourvoyeuse de ces malformations cardiaques dans 40 à 50% des cas, selon lui. Le médecin chef affirme que «cette malformation peut être décelée pendant la grossesse. On peut savoir, à presque deux mois de gestation, si le fœtus est porteur d'une anomalie trisomique et/ou d'une malformation cardiaque… Quand l'anomalie est décelée, nous devons la déclarer aux parents. Ces derniers décideront d'arrêter ou de poursuivre la grossesse». Le Pr Touati évoque, par la même occasion, les risques liés au diabète maternel. «Ce n'est pas le diabète qui est pourvoyeur de malformations congénitales mais l'hyperglycémie. La femme enceinte, souffrant de diabète, doit bien contrôler sa glycémie», recommande-t-il. D'autres maladies touchant particulièrement la femme enceinte sont mises à l'index (lupus érythémateux disséminé…). Soulignons toutefois que, dans l'état actuel des connaissances, l'origine des cardiopathies congénitales n'est connue que dans 15% des cas. D'où les difficultés de traitement et de prévention. K. M.