De notre correspondant à Paris Merzak Menaceur Qui connaissait avant lundi soir madame Irina Bokova ? A part quelques initiés de la diplomatie européenne, personne ou presque. Cette Bulgare de 57 ans, ancienne communiste et ministre des Affaires étrangères, actuel ambassadrice de son pays en France, est sortie de l'ombre en remportant contre toute attente la bataille qui mène tout droit à la direction générale de l'Unesco. A l'issue d'un vote mémorable, les 58 membres du conseil exécutif (dont fait partie M. Abdelatif Rahal, conseiller diplomatique du président de la République) de l'Organisation des sciences, de l'éducation et de la culture l'ont choisie, à l'issue du 5ème et dernier tour du scrutin, par 31 voix contre 27, aux dépens du grand favori, Farouk Hosni, ministre égyptien de la Culture. Pour être définitive, sa candidature sera avalisée le 15 octobre prochain par la conférence générale de l'Unesco. Elle succédera au Japonais Koïchiro Matsuura, à la tête de l'organisation depuis 10 ans.Si l'élection de Mme Bokova est un événement, c'est la première fois que l'Unesco sera dirigée par une femme, le fait politique majeur dominant est la défaite du candidat égyptien dont la victoire paraissait certaine, surtout après le premier tour du scrutin (avec 7 candidats) qui lui a donné 22 voix contre seulement 8 à l'heureuse élue. C'est aussi la défaite des pays arabes, de l'Union africaine et de la Conférence islamique, parrains de sa candidature, et de la France qui lui avait ouvertement apporté son soutien, même s'il semblerait qu'elle aurait viré de bord au dernier tour du scrutin.Que s'est-il donc passé pour que Farouk Hosni retourne bredouille au Caire ? C'est que, depuis l'année dernière, une machine pro-israélienne partie de Tel-Aviv avait donné l'ordre à toutes les ambassades d'Israël de discréditer, de salir, le ministre égyptien de la Culture sous les accusations d'antisémite afin d'empêcher son élection à la tête de l'Unesco. Cette campagne, dont on imagine l'efficacité, s'est normalement arrêtée à l'issue d'une rencontre en mai dernier entre Hosni Moubarak et Benyamin Netanyahou, en contrepartie, dit-on, d'une élection d'Israël au conseil exécutif de l'Unesco. Pas pour certaines associations juives et certains intellectuels comme les Français Claude Lanzmann et Bernard-Henri Levy, le prix Nobel de la paix Elie Wiesel ou l'ancienne ministre Simone Veil. Accusé dans des tribunes libres parues dans la presse et dans une grande offensive sur Internet, pour ses propos, particulièrement pour avoir déclaré qu'il brûlerait lui-même les livres en hébreu s'il en trouvait dans des bibliothèques égyptiennes, Farouk Hosni a fait des mises au point, voire son mea culpa, et situé ses dires dans leur contexte. Rien n'y fait, la campagne a continué, soutenue discrètement par les Etats-Unis, gagnant les coulisses de l'Unesco, haut lieu de tractations, et pour faire bonne figure, les pourfendeurs de Farouk Hosni ont ajouté à l'accusation d'antisémite celle de censeur de la culture égyptienne. Un argument recevable s'il émanait de personnalités qui condamnaient les crimes israéliens, comme celui de Ghaza. C'est dans ce contexte que se sont déroulés les cinq tours de scrutin. Après un premier tour remarqué par un zéro voix pour l'Algérien Mohamed Bedjaoui, dont la candidature parrainée par le Cambodge demeure un mystère, il y a eu le 3ème tour et le retrait des candidats du Bénin, de la Lituanie, de la Russie et de la Tanzanie. Hosni obtient 25 voix, Bokova 13, l'Autrichienne Benita Ferrero-Waldner 11 et l'Equatorienne Ivonne Juez de A-Baki 9. Cette dernière se retire ainsi que Ferrero-Waldner «dans l'intérêt de l'organisation et de l'unité européenne», donc pour favoriser la Bulgare. Le 4ème tour donne l'égalité parfaite, 29 voix chacun, aux deux candidats restés en lice. Au dernier tour, la défection de deux voix, ce serait l'Espagne et l'Italie, fait tomber Hosni à 27 bulletins favorables et sacre l'inattendue Bokova avec 31 voix.C'est peu dire que la délégation égyptienne a accueilli ce résultat avec une amère déception teintée de colère, tellement, pour ses membres, Hosni étaient depuis des mois le vainqueur incontestable. Ils n'ont rien compris à la fable du lièvre et de la tortue. Et surtout, ils ont trop sous-estimé l'efficacité de la machine d'Israël et de ses alliés. Farouk Hosni était-il le candidat par excellence ? Il faudra attendre encore des années pour voir un Arabe accéder à la tête de l'Unesco.