Photo : APS Par Ali Boukhlef «Si je n'étais pas indépendant, je serais resté chez moi.» Mustapha-Farouk Ksentini est agacé par l'image que l'opinion publique donne de lui et de la Commission des droits de l'Homme qu'il préside, et il veut que cela se sache. Pour ce faire, il a tenu à mettre les points sur les «i», jeudi dernier, lors d'une conférence animée au siège du journal El Moudjahid, à Alger. «Je sais que la commission est mal perçue, mal vue. Les gens nous voient comme un appendice de la présidence de la République», a noté l'avocat qui préside depuis sa création, en octobre 2001, la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l'Homme (dont les statuts ont été modifiés par un décret présidentiel datant du 24 août dernier). Pour mettre fin à cette appréciation, qui semble le déranger, il a clamé : «Nous ne sommes pas un appendice de la présidence de la République. Jamais, nous n'avons reçu une injonction, y compris de la part du président de la République.» Cela dit, il s'est plaint du fait que la commission qu'il préside, qui joue également le rôle de médiateur, n'ait pas les moyens nécessaires à son bon fonctionnement. Par moyens, il a évoqué de manière explicite le manque de locaux en dehors du siège national –et un bureau récemment acquis à Constantine- et le manque de considération d'autres institutions de la République. «Oui, des ministères ne daignent même pas répondre à nos courriers», admet Me Ksentini, d' un air désabusé et amer. Pour montrer son indépendance, Farouk Ksentini s'est permis de faire des propositions publiques sur des sujets aussi sensibles que la réconciliation nationale et l'amnistie générale. Cette dernière ne doit pas être à ses yeux un «sujet tabou». «La réconciliation nationale peut être étendue jusqu'à l'amnistie générale. Mais à condition que tous les terroristes se rendent totalement et que le peuple algérien soit consulté par voie référendaire», a-t-il estimé, précisant que cela n'est qu'une «proposition personnelle qui n'engage même pas la commission». «La décision de décréter une amnistie générale dépend d'un seul homme : seul le président de la République peut prendre une telle décision», a-t-il encore estimé. N'empêche, il avancera que, conformément à ce qu'il avait «déjà déclaré en janvier 2002», l'amnistie générale –qui ne doit concerner, selon lui, que les dossiers liés au terrorisme- est la suite logique de tout conflit. Pour cela, il s'est référé à plusieurs conflits dans le monde, tous terminés par une amnistie, à l'instar de l'Afrique du Sud ou de l'Espagne. Toujours dans le chapitre «douloureux» de la tragédie nationale, dont l'avocate Benbraham (présente au débat) a réclamé une limitation dans le temps, Farouk Ksentini a demandé à l'Etat d'indemniser les personnes qui étaient sous internement administratif dans le Sud. Il s'agit, pour rappel, de ces camps de concentration créés par le gouvernement dans le sud du pays destinés aux militants de l'ex-FIS. Aujourd'hui libérés, beaucoup d'entre eux ont été acquittés et demandent réparation. Plus que cela, Mme Benbraham, qui a affirmé qu'au moins 19 d'entre eux sont morts de cancer contracté à Reggane, demande que les responsables à l'origine de la création de ces centres soient «jugés». Sur un autre sujet, Farouk Ksentini a précisé que ses déclarations concernant les tortures qu'auraient subies les détenus algériens en Libye émanent des prisonniers eux-mêmes. «Je ne pouvais pas inventer de telles affirmations», a-t-il expliqué en révélant qu'il a déjà «remercié les autorités libyennes qui ont gracié des prisonniers algériens». Concernant Gouantanamo, il a indiqué que sa commission a reçu un Algérien récemment libéré et qu'il sera entendu la semaine prochaine pour connaître les conditions de sa détention. Quant aux harraga, le conférencier, qui dénonce la pénalisation de l'émigration clandestine, demande la prise en charge réelle des problèmes de ces jeunes au lieu de les mettre en prison.