Personne d'autre que les frères Jubrane n'aurait pu offrir un concert aussi bouleversant que celui de jeudi dernier à la salle Ibn Zeydoun. Le spectacle a été organisé par l'Agence algérienne du rayonnement culturel dans le cadre de la célébration du mois de Mahmoud Darwich en Algérie. Dans une semi-pénombre, Samir, l'aîné, Adnane et Wissam, ses cadets rejoignent la scène avec leurs luths. Le jeune percussionniste Bachar Khalifa, fils de Marcel Khalifa, est aussi de la partie. Le programme de la soirée : leur dernier projet intitulé «A l'ombre des mots». Les trois frères envoient les premières notes avec beaucoup de doigté. Un son captivant monte. Un silence religieux règne. Seuls les trois luths s'expriment, encadrés d'une discrète percussion. Puis, soudain, la voix de Darwich emplit la salle, déclamant le poème «Laab ennard»… Le poète est là s'exprimant d'une voix imposante et vive, pleine de force et de révolte. Le trio l'accompagne dans ses hauts et ses bas, même dans ses silences. Les luthistes suspendent le jeu d'un geste harmonieux. Leur communion est à son summum, les Jubrane ne font qu'un avec le luth, un instrument qu'ils tiennent dans leurs mains tel un objet précieux. Samir Jubrane saisit l'instant pour rompre la monotonie. Il se met au chant et demande aux spectateurs de l'accompagner sur un titre de Marcel Khalifa. L'auditoire ne se fait pas prier et s'exécute. Le moment est chargé d'émotion. «Nous avons réalisé un rêve, celui de venir en Algérie. Non pas pour célébrer Darwich le temps d'une soirée ou même d'une semaine, un mois, une année, mais pour toujours. Notre musique est et sera toujours influencée par cet homme», dira Samir Jubrane. Le trio enchaîne directement avec Asturias, un grand classique d'Isaac Albeniz. Le morceau, qui monte crescendo nécessite, une maîtrise certaine. Le trio l'a. Mieux, les trois frères improvisent, forçant l'admiration des plus exigeants. Ils enchaînent avec le titre Sama snounou (Ciel d'hirondelles) durant lequel Wissam et Adnane abandonnent leurs luths pour saisir un bendir chacun, à côté du percussionniste qui clôture le morceau par un solo époustouflant. Le public se lève et salue la prestation.Mahmoud Darwich, qui n'a jamais quitté les lieux, revient avec le poème Fawka hadi el ardh. Autre moment de silence et d'admiration pour le public. Le trio clôturera avec une autre partie de Laab ennard. Le son monte en parfaite accord, puis, l'un après l'autre, ils quittent la salle pour ne laisser que la voix de MahmoudDarwich avec, en arrière-plan, une projection de son poème. L'hommage est vibrant. Les spectateurs se lèvent et offrent aux Jubrane une avalanche d'applaudissements. Très modestes, les quatre musiciens reviennent et saluent la foule. La foule le leur rend doublement pour signifier qu'elle a grandement apprécié les moments qu'elle a partagés avec ces jeunes virtuoses du luth. W. S.