La pédopsychiatrie en Algérie est abandonnée. La santé mentale de l'enfant et de l'adolescent est souffrante. La situation est catastrophique. C'est le moins que l'on puisse dire sur l'avancée «à reculons» de cette spécialité qui n'existe ni dans les programmes de l'enseignement universitaire ni dans les directions du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière Des chiffres effarants Et rien que pour l'autisme, une maladie mentale parmi d'autres, l'Algérie compte 140 000 enfants et adolescents qui en sont atteints. Un chiffre calculé sur la base d'une prévalence d'un autiste pour 300 nouvelles naissances. La maladie est très grave, handicapante… et sa prise en charge médicale et psychiatrique est très lourde. «Une famille qui a un enfant autiste n'est jamais heureuse. Elle est malheureuse», rappelle le Pr Ould Taleb Mahmoud, chef de service de la clinique de pédopsychiatrie Garidi II, dépendant de l'EHS Drid Hocine (Alger). Le professeur est très critique à l'égard du système en place. Il est à la fois triste et en colère. Il ne comprend pas les raisons de ce désintérêt flagrant des pouvoirs publics pour un domaine de la santé qui mérite pourtant tous les égards. Le spécialiste en pédopsychiatrie rappelle que seules deux structures à Alger, l'une à Garidi II (la sienne) et l'autre à Chéraga, ajoutées à un service au niveau du CHU Frantz Fanon de Blida, s'occupent de ces enfants et adolescents autistes. «Nous recevons des demandes de tout le pays. Notre établissement est devenu un centre national par la force des choses… Nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes», affirme-t-il, désarmé. Même au niveau de sa structure, une partie est restée vide. Inutilisée. «J'ai fait plusieurs écrits pour l'aménagement de cet espace mais aucune réponse… Nous travaillons dans des conditions très difficiles.» Difficile de vérifier le nombre de 140 000 autistes donnés par le Pr Ould Taleb. La raison en est simple : il n'y a pas de direction de la santé mentale de l'enfant et de l'adolescent au niveau du ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. Aucun autre organisme ne dispose de chiffres concernant cette maladie, ne serait-ce que pour aider aux travaux de recherche des spécialistes dans le domaine. Et ce n'est pas normal ! Tous les pays du monde disposent d'une direction du genre… pourquoi pas le nôtre ? A la clinique de pédopsychiatrie de Garidi II, 87 enfants suivent leur traitement mais pas dans de très bonnes conditions. Il y a d'abord un manque d'espace, un manque d'équipements… mais pire que cela, un déficit criant en personnel : «Je n'ai que deux maîtres assistants, huit résidents, six psychologues titulaires et quinze psychologues qui travaillent dans le cadre du pré-emploi.» C'est très peu pour assurer un suivi régulier et efficace de ces enfants. Le recrutement des psychologues dans le cadre du dispositif du pré-emploi pose de sérieux problèmes : «Ces jeunes travaillent dans la précarité et dans l'instabilité. Une fois leur contrat terminé, ils s'en vont. Les enfants réclament pourtant leurs thérapeutes.» Des responsables autistes A cause de ce manque de personnel, le nombre d'heures consacrées au traitement individuel de chaque enfant diminuent : «Nous n'assurons qu'une heure de consultation par semaine et parfois par quinze jours pour chaque enfant malade. C'est très peu. Il faut plusieurs heures par semaine. Que ce soit pour les consultations ou les hospitalisations de jour.» Des parents viennent à la clinique et retournent bredouilles. D'autres commencent le traitement mais abandonnent par la suite. Surtout lorsqu'il s'agit des personnes qui viennent des wilayas de l'intérieur (frais de déplacement, absentéisme au travail…). «J'ai 150 enfants sur la liste d'attente pour les hospitalisations de jour et 600 pour les consultations», indique le Pr Ould Taleb. Une demande qui dépasse largement l'offre des soins. Les médecins et autres personnels de la clinique sont fatigués. Désabusés. «Nous travaillons dans des conditions difficiles», disent-ils. Ils attendent des améliorations mais celles-ci ne viennent pas. L'autisme est pourtant une maladie très grave qui constitue un véritable problème de santé publique. C'est une maladie qui entraîne des souffrances pour l'enfant lui-même et pour toute sa famille. Les conséquences sur la santé sont encore plus lourdes à supporter. La pension de 4 000 DA/mois octroyée à ces malades après l'âge de 18 ans arrive très en retard et ne couvre même pas leurs besoins en médicaments. N'est-il pas temps d'engager une véritable réflexion sur ces problèmes de santé mentale chez l'enfant et l'adolescent en Algérie ? N'est-il pas urgent d'ouvrir des centres de prise en charge de cette maladie mais aussi de recherche et d'évaluation dans des régions différentes du pays ? Sortir un enfant de son isolement est un travail difficile qui nécessite de la volonté et de l'engagement. Les pouvoirs publics doivent se pencher sérieusement sur la question et apporter les réponses nécessaires. Le traitement de la question mérite également la création d'un centre ou d'un institut national de référence pour la formation d'un personnel qualifié. L'Algérie ne manque pas de compétences en la matière. Des solutions existent mais les responsables font la sourde oreille. C'est à croire que ce sont eux les autistes ! K. M.