De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali Bien qu'il puisse se montrer sensible à la beauté des sites patrimoniaux et vestiges historiques et acquiescer à leur valeur pour la cité et leur importance pour la mémoire collective, l'Oranais lambda n'en refuse pas moins de les considérer comme un sujet de préoccupation prioritaire : «Il y a tellement de choses qui ne vont pas comme il faut et nous avons tant de problèmes à régler qu'il me paraît indécent de parler du patrimoine et des vestiges même si leur rôle n'est plus à démontrer. Ce n'est pas pour rien si les Occidentaux insistent avec tant de force sur la préservation des témoins de leur passé. Mais, pour ce qui me concerne, mes préoccupations gravitent d'abord autour de la cherté de la vie, de la situation dramatique de l'école algérienne et de la généralisation de la médiocrité», estime Salah, père de quatre enfants en bas âge. Ce qu'explique Salah en phrases correctes et décentes, d'autres l'expriment souvent en critiques acerbes envers la passivité de l'Etat et, parfois aussi, en très violentes émeutes. Ce fut le cas, il y a une dizaine de jours, dans le quartier des Amandiers où les habitants avaient manifesté dans la rue contre la multiplication des accidents de la route (deux personnes avaient été tuées à quelques heures d'intervalle par des chauffards qui avaient pris la fuite) : «Avec la tenue de la conférence GNL16 et l'importance qu'il revêt pour la ville d'Oran et sa région, les crises sont aujourd'hui mises de côté. Mais il ne faut pas se leurrer, la qualité de notre vie est affligeante et les problèmes sociaux sont d'une extrême gravité», avertissent beaucoup d'Oranais, notamment les jeunes, qui continuent de faire face au chômage, au mal-vivre et ne rêvent que de lointaines contrées : «Quand tes diplômes ne te permettent pas de trouver un emploi stable, quand ton travail ne t'assure pas des rentrées suffisantes pour une vie décente et quand tu vois que ce sont les médiocres qui s'enrichissent alors que les honnêtes travailleurs sont contraints de sortir dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de travail, tu te dis que quelque chose ne va pas dans ce pays, et qu'il vaut peut-être mieux aller voir ailleurs», analyse Rachid, la quarantaine, au chômage depuis bientôt une année, dont deux frères ont tenté (et semblent avoir réussi) l'émigration clandestine en Espagne et en Italie. Malgré tout, un certain nombre de personnes (se recrutant majoritairement parmi les enseignants, les étudiants et les passionnés d'histoire) n'hésitent jamais à prendre part à des actions, généralement organisées par des associations civiles, allant dans le sens de la préservation du patrimoine historique oranais : «Les problèmes que nous vivons tous -évidemment avec plus moins d'acuité- ne doivent pas empêcher la lutte pour la protection de ces symboles qui participent de notre mémoire, de notre histoire», insiste-on parmi cette catégorie de personnes qui donnent régulièrement de leur temps et de leur énergie pour que les symboles matériels du passé oranais soient préservés pour les générations futures. Certains pensent même que la lutte pour la protection des monuments historiques est aussi importante que le combat pour les libertés individuelles et collectives : «Dans les pays qui ont du respect pour leur passé et qui sont conscients de la nécessité de le transmettre, les monuments historiques sont jalousement protégés et bénéficient même de subventions de toute nature», argue-t-on, notamment pour justifier la nécessité de préserver son patrimoine. Il reste que la majorité des Oranais demeure davantage préoccupée par des sujets immédiatement liés aux conditions de vie dont elle voudrait améliorer la qualité maintenant que la wilaya compte parmi les plus riches du pays : «Mon patrimoine immédiat, ce sont mes enfants que je voudrais voir grandir dans un environnement sain et non violent. Il sera toujours temps de s'intéresser aux monuments historiques», conclut Salah, exprimant probablement le sentiment de la grande majorité de la population oranaise.