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Cités-dortoirs, cités dépotoirs
Promiscuité et exiguïté sont le lot de leurs occupants à Annaba
Publié dans La Tribune le 02 - 12 - 2009


Photo : Riad
De notre correspondant à Annaba
Mohamed Rahmani
Sans être urbaniste, pour qui a observé la configuration de la ville de Annaba, il est facile de distinguer d'un simple coup d'œil les quartiers résidentiels européens de ceux qui avaient été «concédés» aux autochtones durant l'occupation française. En effet, Annaba se présente comme un ensemble hétérogène où la fragmentation socio-spatiale est flagrante et renseigne sur les politiques d'urbanisation qui avaient été appliquées à l'époque.
L'ancienne ville, héritée de la colonisation, avait été construite autour de la Médina pour la ceinturer et la «contenir», une conception basée sur une vision militaire et ségrégationniste ayant pour objectif de maîtriser une population jugée inapte à assimiler un mode de vie exclusivement réservé aux Européens.
Les préoccupations d'ordre économique et social des populations européennes avaient amené les pouvoirs publics de l'époque à construire boulevards, avenues, grandes places publiques, bâtiments monumentaux, villas cossues sur le front de mer et autres bâtisses censés faire transparaître la puissance du colonisateur. Du palais consulaire situé à l'avant-port à la Caroube, en passant par les plages de Saint Cloud et Chapuis, le cours de la Révolution avec le théâtre, le siège imposant de la commune de Annaba, et bien d'autres immeubles, c'est assurément l'image d'une ville moderne bien équipée qui avait vu le jour. Avec l'accroissement rapide de cette population, l'occupant avait construit des «cités» qui tenaient beaucoup plus des réserves indiennes d'Amérique que d'habitations dotées de toutes les commodités et censées abriter des familles. Ainsi sont nées les cités Auzas, Djabanet Lihoud, Les Lauriers roses, El M'haffer ou encore la cité Joinola qui sont aujourd'hui de véritables plaies ouvertes en plein centre-ville, défigurant La Coquette et freinant son évolution. La cité Auzas, construite du côté de Sidi Brahim, est une sorte de favela autorisée où sont entassées des centaines de familles et où ont grandi des générations où certaines vivent encore dans des conditions pour le moins indécentes. Après l'indépendance, ce quartier hérité de l'occupant est resté tel quel et la situation a empiré.
En effet, cette cité est un ensemble de maisonnettes exiguës mitoyennes avec des ruelles et des voies dites de communication qui ne concèdent que le passage d'un véhicule et, si d'aventure deux voitures circulent dans des sens opposés, l'une doit faire marche arrière pour céder le passage à l'autre.
Ces ruelles où crevasses, cratères, nids-de-poule et autres trous béants sont légion n'ont jamais fait l'objet de réfection, ne serait-ce qu'un revêtement ou un bitumage sommaire. En hiver, c'est l'inondation avec tous ses dangers, infiltration des eaux pluviales dans les maisons, effondrement de murs et de toits, eaux stagnantes et petits lacs qui se forment çà et là. En été, la poussière s'infiltre partout et des nuées de moustiques envahissent les habitations composées pour la plupart de 2 minuscules pièces avec une courette intérieure où sont installés des toilettes et un robinet de faible débit. Dans cet espace réduit vivent 6 à 7 personnes d'une même famille. «Pour se changer ou se laver, il faut le faire à tour de rôle parce qu'il n'y a pas assez d'espace, nous confie l'un des habitants du quartier. Le soir, pour dormir, on est obligé de mettre les matelas par terre et on est allongés les uns à côté des autres ; les hommes préfèrent dormir dans la petite pièce qui fait aussi office de «salon» et, pendant l'été , ils passent la nuit dans la petite cour.» L'aménagement extérieur est
inexistant, un semblant de trottoir tout défoncé, il n'y a pas un seul arbre ou plante digne de ce nom, pas de jardin public, pas d'aire de détente ou de jeux pour les enfants, pas d'équipements publics ; la cité est juste un dortoir collectif dont les conditions de vie se dégradent de jour en jour au vu de
l'accroissement de la population.
Les quartiers Djabanet Lihoud, place d'Armes, El M'Haffer ou les Lauriers roses ne sont pas mieux lotis : promiscuité, exiguïté, dépotoirs au coin de chaque ruelle, fils électriques qui pendent un peu partout, voies étroites, marchands ambulants, étals sur les trottoirs et saleté ambiante. Dans la vieille ville, du côté de la place d'Armes, les habitants vivent quotidiennement avec la crainte de voir leurs maisons s'effondrer sur eux. Ces vieilles demeures aux murs lézardés et traversés par des fissures prélèvent chaque année leur dîme en prenant 2 à 3 vies, une sorte de «capitation» consentie par tous ceux qui vivent dans ce quartier. La mort atroce d'une famille de 3 personnes est l'illustration dramatique de cette situation qui perdure malgré les appels lancés par les habitants aux autorités locales. Ladite famille dormait paisiblement lorsque vers 5 heures du matin la maison s'effondra, tuant le père, la mère et l'unique enfant, un bébé de 2 ans pendant leur sommeil.
Dans ces quartiers, le taux de chômage a atteint un seuil alarmant, près de la moitié de la population an âge de travailler est sans emploi et essaye de survivre en exerçant des activités illégales, change parallèle, trabendo, vente de marchandises d'origine douteuse, bref, de petites combines pour s'en sortir et tenir le coup. D'autres préfèrent quitter le pays et tenter leur chance en prenant la mer pour émigrer clandestinement, d'autres encore versent carrément dans le banditisme : casses, cambriolages, agressions, trafics de drogue ou vente illicite de boissons alcoolisées.
Ces quartiers chauds, source de problèmes aussi bien pour les habitants que pour la ville entière, ont fait l'objet d'une attention particulière de la part des élus et des autorités locales pour la prise en charge de cette situation. Ainsi, dans les différents programmes de logements lancés, des centaines d'habitants ont pu être recasés et ont bénéficié d'appartements dans le cadre de LSP, LSL, RHP, AADL ou logement rural. Il faut cependant signaler que ces mesures sont restées sans impact réel sur la situation puisque dès que ces logements insalubres localisés dans ces quartiers sont libérés, d'autres viennent les occuper pour y habiter et donc le problème n'est pas réglé pour autant. Le seul cas où une cité datant de l'époque coloniale a été en grande partie rasée est celui de la localité de Sidi Salem (10 km à l'est du chef-lieu de wilaya). La cité SAS a été éradiquée pour être remplacée par des immeubles flambant neufs équipés de toutes les commodités, elle respire mieux aujourd'hui et il fait bon y vivre.


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