Il y a deux années déjà était évoquée l'idée d'une cession de l'immense siège du Comptoir du matériel et mobilier (Comamo), anciennement ateliers Maschat, à la direction de wilaya de la Sûreté nationale. Cette mesure, dont les raisons sont incompréhensibles d'ailleurs, était plus murmurée qu'assumée par les différents représentants des pouvoirs publics abordés à ce sujet alors qu'il s'agissait en réalité d'un véritable secret de Polichinelle. Pratiquement de la taille d'un grand quartier, l'usine, parce que c'en était une à l'origine, Comamo s'étend sur plusieurs hectares et a été conçue, malgré son âge, d'une manière judicieuse qui permettait sur tous les plans une excellente gestion des espaces et une proximité de l'essentiel des centres d'activité qu'elle était appelée à desservir ou avec lesquels elle aurait à entretenir des relations commerciales. Elle était située également à peine à 500 mètres de la gare ferroviaire centrale et à une centaine de mètres de son premier arrêt (Sidi Mabrouk). Des potentialités qui donnaient la faculté à ses responsables de détenir le rôle de leader dans la réalisation de tous types de mobilier et matériel, notamment scolaires, literie et matériel de cuisine pour les hôpitaux, la fourniture de mobilier de bureau et d'ameublement pour l'administration et progressivement une spécialisation dans le froid et la réalisation de chambres froides, comptoirs frigorifiques, etc. Comme dans les romans de Zola, à Comamo, les travailleurs se succédaient pratiquement dans la lignée familiale, les pères de famille obtenant la possibilité de se faire remplacer par leur enfant une fois l'âge de la retraite arrivé. Parfois bien avant. Fonctionnant avec un effectif de 700 travailleurs, entre agents et cadres, tous niveaux confondus, les ateliers, selon leur spécialisation, disposaient d'un plan de charge conséquent, honoré grâce à une réelle disponibilité et mobilité des effectifs, qui travaillaient sans désemparer, parfois en régime 3x8, notamment en période de rentrée sociale. A quoi serait alors due sa fermeture inattendue ? Impossible de connaître les tenants et les aboutissants d'une décision des pouvoirs publics ayant conduit à la mise de la clé sous le paillasson de cette usine, dont le dernier directeur général, en l'occurrence M. B. Brahim, nous dira : «Une semaine avant cette décision était évoqué par le conseil d'administration le nouveau plan de charge de l'entreprise et la stratégie à mettre en place afin d'être dans nos starting-blocks au moment opportun et relever tous les défis, d'autant que Comamo restait un fleuron industriel local à préserver absolument pour de nombreuses raisons. C'était surtout un symbole à une période où l'économie nationale ne battait pas seulement de l'aile mais était totalement déglinguée pour des raisons que nul ne peut avoir oublié.» Et notre interlocuteur d'enchaîner : «Une fois rentré, je me préparais à convoquer un conseil de direction pour un briefing et préparer les troupes aux challenges qui attendaient l'entreprise. Hélas ! Un appel téléphonique émanant du même conseil d'administration m'instruisait de mettre en application un plan social selon les textes réglementaires.» Ce qui aura lieu effectivement au début du mois d'août. De retour de congé (l'entreprise fermant chaque année pour un mois ses portes pour ne garder sur place que les équipes chargées de la maintenance et de l'entretien des équipements en prévision de l'année suivante), les travailleurs seront interdits d'entrée à leur usine, les portes étant gardées par des agents de l'ordre. «C'était surréaliste et on croyait avoir fait un bond dans le passé et vivre un remake de Germinal», nous dira un cadre qui a commencé à y travailler bien avant l'indépendance du pays. Même si les jeux étaient faits, au même titre d'ailleurs que les soldes de tout compte des 700 travailleurs versés à la caisse de chômage ou mis à la retraite anticipée, une bonne partie des effectifs ne se sont jamais résolus à accepter un tel sort et ont entrepris de nombreuses démarches auprès des instances élues, du premier responsable de l'exécutif local, des syndicalistes (niveau régional et central) pour passer des méthodes plus ou moins soft à celles hard comme une grève de la faim entamée dans les locaux de l'union de wilaya de l'UGTA. En vain. La dissolution était bel et bien consommée. L'intérêt que semblaient accorder les personnalités politiques approchées par les travailleurs était beaucoup plus marqué par… l'intérêt personnel, notamment à l'approche des campagnes électorales, comme ce fut le cas de Ali Benflis, qui usera de sa double casquette de chef de gouvernement et de SG du FLN pour jouer sur deux tableaux en prévision de sa candidature à la présidence de la République. L'ancien chef de gouvernement allant jusqu'à promettre lors d'une visite de trois jours à Constantine de «prendre en charge ce dossier et voir avec Sidi Saïd le moyen de trouver une solution». Il n'y en a pas eu. Forcément. Dix ans après, le liquidateur semble avoir bouclé le dossier Comamo, permettant ainsi aux pouvoirs publics de récupérer d'immenses espaces qui abriteront l'ensemble des services de l'administration de la Sûreté de wilaya.