Vingt ans après sa tragique disparition, Kateb Yacine est peut-être le seul écrivain algérien qui suscite autant de célébration et d'admiration. Samedi dernier, c'est au tour de l'association Culture berbère qui, à sa manière, à organisé un colloque sur le parcours et l'œuvre de Kateb, dont l'intitulé à lui seul donne tout le sens de l'œuvre et du parcours de cet homme traversé par les amours impossibles : «Un homme de parole, vingt ans après la disparition du grand écrivain (1989/2009) où en est le monde pour lequel il s'est battu ?». Acte 1 : plusieurs universitaires et amis ont pris part à ce colloque qui est, comme l'a si bien précisé Arezki Metref en prélude de la manifestation, un «prétexte» pour parler de l'œuvre et de l'homme. Et le modérateur du colloque, l'universitaire Mourad Yelles, de préciser «Une impérieuse nécessité de rendre hommage à Kateb Yacine, à l'homme, à l'engagement et à son projet politique et également à l'œuvre qu'il nous a laissée» et d'ajouter que «le sens que peut revêtir ce genre d'hommages n'est pas une cérémonie de recueillement, il implique un sens critique d'une œuvre aussi gigantesque que celle de Kateb». Cette traversée katebienne est perçue sous divers angles et regards, allant de l'analyse jusqu'à l'anecdotique. C'est dire la diversité des chemins pour parcourir la terre katebienne. La première intervention de Mohammed Ismaïl Abdoune, «Kateb Yacine, une vie et une histoire, ou quand la poésie écrit l'Histoire», rappelle ce parcours de l'œuvre avec son étroit lien à l'histoire en soulignant le tuf de l'œuvre qui est «dissident et subversif, libre et généreux» et de montrer l'apport essentiel de l'intrusion historique dans la vie de Kateb, chose qui donnera naissance à «un big-bang de sa création». Il a tracé les traits qui ont jalonné la vie de Kateb. Djohar Sidhoum Rahal, s'est, quant à elle, interrogée sur Kateb et l'Afrique en rappelant quelques propos de Kateb qui clarifient son regard sur l'Afrique, qu'il trouve comme alternative à l'aliénation des idéologies totalitaires. Elle illustrera son propos à travers le poème Peuple errant, lu par Christiane Corthay. Elle poursuivra dans le sillage de sa réflexion en mettant en lumière ce lien avec les analyses de Fanon, notamment son célèbre passage où il invite à «nier et abrutir le désert pour créer le continent» et, aussi, en soulignant l'étroit dialogue de la révolte des Malgaches de 1947 avec le 8 Mai 1945 que Kateb exprime à travers ce poème : «Peuple errant/Sous les décombres de tes gîtes décimés/Je te connais/Pour avoir saigné dans tes forêts/Peuple malgache/De cette barque au port d'Alger/Je revois/ Nos pays murés dans l'esclavage». Christiane Chaulet Achour a, elle, parlé des «questions au féminin», elle note dans son intervention «l'insertion du féminin dans les personnages de Kateb» et articule sa réflexion sur trois points, le discours lyrique, historique et préfaciel. Elle analyse les différentes figures de femmes qui apparaissent chez Kateb comme la Kahina ou encore Louise Michel qu'il associe à la résistance. Pour sa part, Kamal Nafa invite le public à lire autrement Kateb dans une brillante communication, «‘‘Dé-routes'' signifiantes dans l'œuvre de Kateb Yacine». Dans son analyse, il attire l'attention sur «ce qui se fait à l'insu de l'écrivain», c'est-à-dire «le discours de l'Autre», précise l'orateur. A travers sa démonstration, il montra ce qui aide à «surmonter la capture imaginaire dans laquelle se débat le sujet colonisé», qui se traduit, entre autres, par ce qu'il appelle «le désir de métamorphose». Il indique aussi les moyens que l'écrivain déploie pour se dessaisir et s'inscrire dans «une écriture hors de loi» et comment Nedjma est «aventure de l'écriture». Une lecture poétique avec Christian, Sylvain Corthay et Paule Abecassis a annoncé la fin de la première partie des travaux. Acte 2 : c'est à l'écrivain Habib Tengour d'ouvrir la deuxième partie du colloque comme lecteur de Kateb et aussi comme héritier, puisque, aucun écrivain maghrébin n'a été autant séduit par Nedjma ou comme le dit si joliment l'écrivain marocain Abdelatif Laabi : «Nous sommes tous sortis du manteau de Nedjma». Tengour rappelle sa rencontre avec Kateb et parle de sa lecture de cette œuvre. Mourad Yelles s'est attelé à donner quelques pistes de réflexion sur les niveaux d'analyse de deux fameuses expressions de Kateb, à savoir «de la gueule du loup» et «butin de guerre». Il note dans son propos ce désir de l'écrivain de «métaphoriser un certain rapport à la langue française». De son côté, Anouar Benmalek fait un retour sur «l'excommunication de Kateb Yacine l'Algérien et d'El Ghazali l'Egyptien» en précisant de ne pas se tromper sur l'intitulé et l'allusion faite qu'il qualifie de «bassement nationaliste». La salle a vite répondu. Ensuite, il a lu son texte De quoi je me mêle, publié en réponse à la haineuse déclaration d'El Ghazali après la mort de l'écrivain. Hend Saadi a témoigné, quant à lui, du rapport et de l'apport de Kateb et/au printemps berbère. Il a raconté sa rencontre avec Kateb en compagnie de M'barek Redjala. Et de conter diverses anecdotes sur les aides apportées par Kateb au mouvement du Printemps berbère qui alors revendiquait les langues populaires, berbère et arabe dialectal. Il dira que «le mot ‘peuple', galvaudé à l'époque, prenait un plein sens dans la bouche de Kateb». Meziane Ourad, journaliste et ami de Kateb, a parlé, toujours dans le même esprit en précisant les détails, puisqu'il a bien connu Kateb et a eu le privilège d'être en quelque sorte la jonction entre lui et les étudiants d'Alger. Il souligne que «le Printemps berbère a fait sortir Kateb de son isolement puisque, à l'époque, Kateb était isolé politiquement et géographiquement». Et de préciser : «Le Printemps berbère a rajeuni Kateb». «Il parlait beaucoup du rôle qu'on faisait jouer à la religion, avec beaucoup de dérision et aussi d'inquiétude. Kateb pressentait la violence qui allait dévorer l'Algérie», ajoutera-t-il. Il rappelle, entre autres l'expérience du groupe Debza ainsi que le désir de Kateb de reprendre l'écriture. Le poète Amine Khane lira un poème en hommage à Kateb en rappelant sa rencontre avec le poète à l'âge de quinze ans, juste après sa lecture de Nedjma. Le colloque s'est terminé sur un orage poétique. Cette fois-ci un poème extrait de la Guerre de deux mille ans traduit et lu par Kamel Mezouene, ensuite Arezki Metref l'a lu en français. Le débat n'a pas eu lieu, faute de temps, heureusement d'ailleurs, car le danger de sloganiser encore une fois de plus Kateb planait de l'autre côté de la scène. Les Berbères aiment bien les banderoles. A. L.