De notre correspondant à Tizi Ouzou Malik Boumati Il est tout à fait clair que la musique rythmique est devenue, ces quinze dernières années, la plus prisée des disciplines artistiques en Algérie. Quand il s'agit d'assister à des galas festifs, la ruée vers les salles de spectacles est indescriptible et souvent problématique, vu que les salles disponibles s'avèrent à chaque fois trop exiguës pour contenir tous les fans des artistes programmés. A Tizi Ouzou, la situation est pire, dans la mesure où la wilaya ne dispose que d'une seule et unique salle de spectacles susceptible d'accueillir des galas de moyenne envergure. Mais le public est-il nombreux à aller assister à une pièce de théâtre, un vernissage ou même un concert de jazz ou de blues ? Rien n'est moins sûr puisqu'il est vraiment rare que les organisateurs de telles activités artistiques et de bien d'autres, arrivent à remplir une salle de spectacles ou d'exposition. C'est que l'amour de l'art n'est pas bien ancré dans la société. Du moins plus comme avant. Et c'est parce que l'école algérienne a cessé d'être ce centre de rayonnement culturel et artistique depuis plusieurs années. L'école n'apprend pas à l'élève l'amour de l'art. C'est là que se situe le cœur du problème épineux de l'éducation culturelle et artistique du public. C'est dire qu'au lieu d'apprendre à un enfant ce qui lui arrivera s'il va en enfer ou comment laver le mort dans les traditions religieuses musulmanes, il serait plus judicieux de lui inculquer l'amour de l'art et de la culture pour que son épanouissement soit effectif. Mais en attendant que les pouvoirs publics décident d'une refonte salutaire, et loin des replâtrages, du système éducatif national qui permettra, entre autres, aux enfants de prendre conscience de l'importance de l'art et de la culture, les responsables du secteur de la culture disposent de moyens de renverser la situation en faveur d'une éducation artistique du public. En effet, certaines activités culturelles organisées dans la wilaya de Tizi Ouzou peuvent constituer de formidables opportunités pour ce faire, si les initiateurs font des efforts supplémentaires en matière d'information en direction du public. Des activités comme certains Festivals spécifiques lors desquels des prospectus pourraient être élaborés et distribués au public, comme cela se fait dans certains spectacles sous d'autres cieux. Et dans ce sens, les soirées du Festival panafricain de juillet dernier ont été un formidable gâchis en matière d'éducation artistique dans la mesure où les promoteurs de cette grandiose manifestation se sont contentés de servir des spectacles aux milliers de personnes qui convergeaient tous les soirs au stade Oukil Ramdane de la ville des Genêts. Tizi Ouzou n'ayant pas accueilli de manifestations d'une telle envergure depuis la délocalisation du Festival international des chants et danses populaires, les organisateurs auraient pu profiter de cette opportunité de l'adhésion populaire pour faire aimer de nouveau la musique jazz, bien servie lors de ce festival ainsi que du folklore africain auquel des dizaines de troupes du continent noir ont participé. Dans ce cas, les organisateurs auraient pu prévoir des dépliants pour le public dans lesquels des données, comme la présentation des artistes, les œuvres présentées, l'historique, l'explication et l'évolution des œuvres ainsi que le genre artistique, pourraient être servis dans le but d'attirer l'attention du public et d'attiser sa curiosité. Surtout que le programme de ce Panaf 2009 a été de haute facture, même quand les noms des artistes et des groupes n'étaient pas vraiment connus du grand public dans notre pays. C'est le cas du groupe sud-africain Vivid Africa, du groupe congolais Bana Poto Poto, de la chanteuse éthiopienne Minyeshu et d'autres qui ont émerveillé le public de Tizi Ouzou assistant en masse aux spectacles au stade Oukil Ramdane. Bien entendu, cela s'applique également aux les troupes folkloriques qui participent annuellement au Festival arabo-africain de danses folkloriques dans la wilaya de Tizi Ouzou. Mais au-delà de l'événement lui-même et ce que devaient faire les autorités pendant la manifestation, il aurait aussi fallu penser à l'après-festival puisque les citoyens étaient nombreux à se ruer vers les disquaires de la ville pour réclamer en vain les disques de tel ou tel artiste. Dans ce cas, c'est une curiosité titillée sans suite, même s'il est vrai que ce n'est pas le rôle des pouvoirs publics d'approvisionner les disquaires en produits. Ce sont les éditeurs qui n'ont pas suivi ce mouvement. Il reste par ailleurs la lancinante question du manque criant d'infrastructures culturelles et artistiques dont souffre la wilaya de Tizi Ouzou et, certainement, plusieurs autres wilayas du pays. Comment pourrait-on amener le public à apprécier la musique classique si l'on ne dispose pas d'un conservatoire de musique digne de ce nom ? Les travaux de réhabilitation du théâtre régional Kateb Yacine traînent en longueur, certes, mais cette discipline culturelle aura son infrastructure un jour ou l'autre, ce qui n'est pas le cas du septième art, lequel souffre de l'absence totale de salles, si l'on excepte celle de la maison de la culture Mouloud Mammeri de la ville. Pourtant, les cinéphiles étaient très nombreux avant que les pouvoirs publics ne procèdent à la fermeture de la dizaine de salles de cinéma de la wilaya, et il est clair qu'ils seront nombreux à converger vers les salles pour peu que les responsables décident de les rouvrir. Il apparaît clairement après tout cela que l'éducation culturelle et artistique du public n'est pas pour demain, parce qu'il ne suffit pas d'avoir la volonté politique de faire, il faut aussi les moyens et la compétence nécessaires pour mener à bien une mission très délicate mais ô combien salutaire pour l'art et la culture.