Produire à manger, nourrir, est un acte plein de noblesse. Dans la culture algérienne, le métier d'agriculteur jouit d'une place très particulière. La religion musulmane et les traditions millénaires des peuples nord-africains ont en effet une très haute considération du travail de la terre. Le paysan et le sol nourricier ont dans le subconscient populaire l'image d'un couple qui a la bénédiction de Dieu et la reconnaissance des hommes. Ces valeurs authentiques commencent – hélas ! - à disparaître. Aujourd'hui, on est très peu nombreux à se passionner pour la profession de cultivateur ou celle d'éleveur. On trouve le boulot éreintant et pas assez rentable. Malgré les aides et les subventions publiques accordées aux opérateurs agricoles, on est bien loin de changer les nouvelles mentalités. La mode importée de la consommation et du gain facile a sérieusement ébranlé les bonnes vieilles certitudes. Les jeunes générations rechignent ouvertement à s'y investir. On préfère plutôt le commerce, la débrouille, le business. La moyenne d'âge de nos agriculteurs dépasse actuellement la cinquantaine. On a là un vrai problème de relève. Et pourtant, tous les grands pays développés ont nécessairement entamé leur longue marche vers le progrès à travers ce secteur vital de l'agriculture. Un peuple qui ne produit pas lui-même sa pitance ne peut pas véritablement prétendre à l'indépendance, à la souveraineté et à l'autonomie. Il faut absolument réhabiliter l'image et le prestige de l'activité agricole. Le ministère de tutelle vient de lancer un ambitieux programme d'accompagnement pour rendre les plaines fertiles de la Mitidja à leur vocation première. Déclarant la guerre à l'avancée chaotique du béton, le département de Rachid Benaïssa aborde ici une question essentielle qu'il convient également d'élargir à d'autres régions du pays. Les Hauts Plateaux, la vallée de la Soummam et le grand Sud renferment aussi d'énormes potentialités qui restent pareillement sous-exploitées. Mais bien avant de se fixer de tels paris, il y a en amont un tas de problèmes qu'il va falloir cerner pour réussir : protéger le foncier agricole, qui fait aujourd'hui l'objet de scandaleuses spéculations, assainir la corporation des paysans pour distinguer les vrais des faux, réguler sérieusement le marché pour garantir les intérêts de ceux qui produisent vraiment, encourager, promouvoir et aider les véritables producteurs à aller à la conquête des marchés. Faute de répondre à ces impératifs et d'autres encore, on continuera à ramer dans le vide. En ce moment même, les fruits et légumes de saison sont hors de prix. Les ménages éprouvent tout le mal du monde à en remplir la marmite. Malgré l'abondance constatée de certains produits, comme la pomme de terre, les circuits frauduleux du commerce de gros dictent leur loi au nez et à la barbe des services publics qui sont censés concilier les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs. La marge de manœuvre des intermédiaires, grossistes ou détaillants, mérite bien un petit tour de vis pour permettre à la machine de tourner rond. Or, au lieu de s'attaquer à la racine du mal, on préfère aller chercher midi à quatorze heures en justifiant ce «forfait» par des considérations secondaires, comme la petite fluctuation du taux d'inflation. C'est une tâche louable que de vouloir redonner à l'activité agricole ses lettres de noblesse mais il faut au préalable débarrasser l'agriculteur des nombreux parasites qui s'approprient impunément le fruit de son labeur. Sans cela, les jeunes générations bouderont pour longtemps le travail de la terre. Et cette dernière fera encore l'objet de convoitises et de surenchères immobilières. Il s'agit de briser le cercle vicieux qui fait en sorte que le spéculateur s'enrichit en appauvrissant le producteur. C'est aussi simple que ça. K. A.