Photo : M. Hacène Par Ali Boukhlef Il règne un climat d'émeute à la zone industrielle de Rouiba. Tous les accès menant à la plus grande concentration d'usines du pays sont bouclés par un dispositif sécuritaire impressionnant. Les gendarmes, bouclier en main, sont prêts à en découdre et leur intention est plus que dissuasive : ce sont des dizaines, voire des centaines de CRS, qui sont déployés, en plus de dizaines d'autres restées dans les interminables files de fourgons verts de la Gendarmerie nationale. Pourtant, aucun réel danger ne menace l'ordre public en cette belle mais froide matinée de dimanche. En revanche, celui redouté vient des alentours de l'usine de la SNVI (Société nationale des véhicules industriels) où les travailleurs entament aujourd'hui leur septième jour de grève. «Nous faisons notre grève de manière pacifique», s'insurgent des salariés, rencontrés hier en fin de matinée, devant leur usine dont ils refusent toujours de rejoindre ateliers et bureaux. Ils sont indignés par ce déploiement de la force publique. Pourtant, à les entendre parler, ils ne demandent rien d'extraordinaire. «Juste un salaire décent et une vie décente», résume l'un d'eux, avant qu'un rassemblement ne s'improvise autour de nous. Et, plus que tout, les 7 100 salariés de celui qui fut, pendant longtemps, un fleuron de l'industrie nationale dénoncent ce qu'ils considèrent comme un «manque de considération». «En six jours de grève, personne n'est venu nous écouter», dénonce Benmiloud, secrétaire général de la section locale de l'Union générale des travailleurs algériens. «Pourtant, nos revendications sont simples : suppression de l'article 87 bis du code de travail, la sauvegarde de l'actuel système de retraite et l'augmentation des salaires», poursuit-il. Les revendications ne sont plus adressées à la direction de l'entreprise mais au gouvernement. «La SNVI est une propriété de l'Etat, c'est donc au gouvernement de nous répondre», dit-on, comme pour répondre à la Centrale syndicale qui rappelle que l'Etat a aidé l'entreprise à se relever. «Pour saborder notre mouvement, on s'est empressé de montrer les bus vendus à l'ETUSA en guise de trophées», se désole un autre salarié qui dit ne pas sous-estimer les décisions du gouvernement. Sauf que cela ne suffit plus.Et, ce qui fait enrager le plus les travailleurs de la SNVI, c'est la situation catastrophique qu'ils endurent au plan salarial. «Avec mes 34 ans d'expérience, je gagne 30 000 DA par mois», témoigne Rabah, technicien supérieur. «Et, avec cela, on paie plus de 6 000 DA d'IRG (impôt sur le revenu global)», précise-t-il. D'autres salariés, notamment les agents d'exécution, attestent que leurs salaires ne dépassent pas 18 000 DA dans le meilleur des cas. «Certains d'entre-nous ne peuvent même pas s'offrir un déjeuner, puisque, avec leur salaire de misère, ils ne sont même pas capables de débourser 150 DA pour se nourrir à midi», témoigne Noureddine, qui travaille dans la mécanique. Mais, au-delà des revendications salariales, les travailleurs de la SNVI (auxquels se sont joints d'autres employés) veulent s'attaquer à la racine de la précarité, l'article 87 bis du code du travail. «Avec cet article-là, nos salaires ne vont pas évoluer, ce qui fait que les résultats de la tripartie ne changeront rien», estime Ali Belkhiri, technicien au complexe SNVI. Il pense, au même titre d'ailleurs que beaucoup de ses collègues, que, si l'article incriminé n'existait pas, la récente augmentation du SNMG pourra probablement entraîner l'augmentation d'autres salaires. L'autre décision de la tripartie que les travailleurs de la SNVI contestent est celle relative à la retraite. «On en peut pas nous obliger à travailler jusqu'à 60 ans dans les conditions dans lesquelles nous vivons», proteste Benmiloud, qui met en avant la pénibilité de travail au sein de son entreprise. Malgré cela, aucun responsable, y compris ceux de l'UGTA, «syndicat de la base», comme ils l'appellent, n'est venu les écouter. C'est pour cela que l'usine SNVI de Rouiba est toujours fermée jusqu'à nouvel ordre.