Photo : S. Zoheir Par Smaïl Boughazi L'Algérie a amorcé un ambitieux programme de développement dans tous les secteurs ces dernières années. Cependant, en raison de l'amenuisement des ressources du pays, ce programme nécessite une gestion rigoureuse afin d'éviter toute surévaluation. Dans ce cadre, le gouvernement a même décidé récemment de durcir les critères d'évaluation dans l'optique d'éviter des dépenses supplémentaires pour des projets souvent mal exécutés. D'importantes mesures ont été annoncées dans la foulée. Ainsi, la problématique qui s'impose aujourd'hui est celle relative aux modes de financement des mégaprojets et à leur efficacité. L'Algérie a opté ces derniers temps pour le «project financing». Ce mode consiste à rassembler et structurer les divers apports de fonds nécessaires à des investissements de grande envergure (infrastructures de transport, complexes industriels, centrales de production d'énergie...), privés, publics ou mixtes, en s'assurant de leur viabilité financière. C'est ainsi que, depuis 2006, environ une vingtaine de grands projets ont été financés selon ce mode dans différents secteurs, notamment la pétrochimie et le dessalement de l'eau de mer. La mobilisation des ressources pour ce montage financier à long terme a été exclusivement réalisée auprès des banques publiques qui disposent d'importantes capacités en matière, entre autres, de solvabilité, de réseau et de management. Le Crédit Populaire d'Algérie (CPA) et la Banque extérieure d'Algérie (BEA) ont été les chefs de file des différentes opérations de «project financing» réalisées en Algérie ces quatre dernières années. Cependant, malgré ce nouveau mode de financement qui a prouvé son efficacité sur le terrain, d'autres obstacles apparaissent au cours de l'exécution des projets. Et parfois, ces derniers enregistrent des retards qui nécessitent des réévaluations souvent coûteuses. Pour la formation des ressources humaines Pourquoi ? Pour les spécialistes, il s'agit généralement de projets dont les différentes études de faisabilité n'ont pas été réalisées conformément aux normes ou de projets dont les études n'existent même pas. Sur ce point, un intervenant lors d'une rencontre organisée la semaine dernière sur le «project financing», a estimé, à titre d'exemple, qu'en Suisse pour la réalisation d'une autoroute, les études ont duré près de huit ans alors que l'exécution du projet n'en a nécessité que quatre. En d'autres termes, pour le conférencier, l'achèvement de toutes les études relatives au projet est primordial. Un responsable de la Chambre de commerce et d'industrie Suisse-Algérie a insisté, quant à lui, sur une meilleure formation des ressources humaines. «Nous avons besoin de la formation de nos cadres, mais nos bureaux d'études sont aussi capables de réaliser des études pointues», a tenu à préciser notre interlocuteur. Toutefois, pour lui, chaque institution doit mettre au point des mécanismes qui lui permettront d'évaluer rigoureusement chaque projet lancé afin d'éviter les retards et les dépenses supplémentaires. La réalisation des grands projets est également confrontée à d'autres contraintes, parfois inextricables. Pour M. Abderrahmane Benkhalfa, délégué général de l'Association des banques et des établissements financiers (ABEF), «le ‘‘project financing'' est un financement à long terme, complexe et dont le rendement est assuré par la rentabilité du projet lui-même, nécessitant ainsi d'importantes capacités financières des banques ainsi qu'une bonne maîtrise des risques liés au change». De même, «la mise en œuvre d'un pôle national de ‘‘project financing'' nécessite la présence de grandes banques en matière de capitaux et de réseaux d'exploitation mais surtout un certain niveau de management des risques liés à la liquidité et au change, ce qui n'est pas le cas pour les banques privées de la place», a-t-il ajouté. Les risques de change pèsent toujours Dans ce sens, il a mis en exergue le fait que le financement des projets selon la formule «project financing» est exclusivement limité aux banques publiques dont le capital social est supérieur à 10 milliards de dinars. Et la mise en place par les pouvoirs publics d'un «mécanisme de couverture contre les risques de change» permettrait de renforcer l'implication des banques publiques et aussi de faire adhérer les banques privées à ce mode de financement qui «devrait prendre le relais du budget de l'Etat dans le financement des grands projets», détaille M. Benkhalfa. Concernant la position des pouvoirs publics à l'égard de ces questions, le délégué général de l'ABEF a affirmé qu'«un dialogue entre le ministère des Finances, la communauté bancaire et le milieu patronal a été engagé et se poursuit en vue d'arriver à une plate-forme d'entente dans ce sens». Par ailleurs, évoquant la règle dite de 49%-51% instituée il y a quelques mois par le gouvernement, un représentant de la Banque mondiale a affirmé qu'elle ne représente pas un problème pour le financement des grands projets. Le représentant de l'institution de Bretton Woods a affirmé qu'«il revient au gouvernement algérien de prendre des décisions qu'il croit nécessaires pour protéger l'économie». «Il n'y a aucun Etat souverain qui accepte de voir sa balance commerciale se dégrader sans rien faire. Le gouvernement algérien a pris des mesures pour rétablir sa balance commerciale et c'est son droit», a-t-il déclaré sur point. «Les opérateurs étrangers ont protesté et c'est également leur droit, a-t-il poursuivi, mais ils n'ont pas vraiment le choix et s'ils veulent travailler en Algérie ils doivent se conformer aux nouvelles règles.» Certes, l'Etat finance toujours les grands projets, mais pour Reda Hamiani, la poursuite du financement des grands projets par le Trésor public «risquera de peser lourdement sur l'économie nationale». Il a, à cet effet, plaidé pour «un tri de projets» à financer par le budget de l'Etat selon les priorités, et d'encourager, parallèlement, de nouveaux modes de financement comme le «project financing» ou le marché financier. Il reste à dire que, pour les retards et les surcoûts constatés sur les grands projets lancés ces dernières années, seule une bonne maturation avant la phase de lancement effectif peut mener les projets à bon port. Selon les chiffres de la Caisse nationale d'équipement pour le développement CNED, 31 projets, tous secteurs confondus, représentant une enveloppe globale de 3 000 milliards de dinars, sont pris en charge actuellement par le même organisme.