L'Union européenne a classé la bande du Sahel comme une zone à faible résistance par rapport à la menace terroriste. Pour Antonio Camacho, le ministre espagnol de l'Intérieur, il faut déployer une politique d'investissement en direction d'une région qui n'est pas toujours contrôlée par ses propres gouvernements. L'Espagne, présidente actuelle de l'UE, souhaite impulser une véritable politique commune de sécurité dans la région du Sahel. Il n'est donc pas surprenant que les 27 se penchent de plus en plus sur cette région. Les ministres de l'Intérieur, avec leurs collaborateurs chargés de la lutte antiterroriste et ceux de la Justice, et les responsables en charge des lois, des mises en examen, des accusations et incarcérations de l'UE, se sont réunis pendant trois jours en Espagne afin d'élaborer et de peaufiner la stratégie européenne dans le Sahel, cette région tampon entre le sud des pays maghrébins et le Nord-Mali et Niger avec un prolongement vers le Sénégal via la Mauritanie. L'Europe face au Sahel A noter toutefois que, si les Etats concernés du Sahel n'étaient pas invités à la réunion de Tolède, la secrétaire américaine à la Sécurité intérieure, Janet Napolitano, était, en revanche, présente. La position américaine à l'égard du terrorisme au Sahel consiste à considérer cette région comme une base de repli des groupes terroristes, en plus des bandes criminelles, des trafiquants de drogue, d'armes et autres mouvements armés d'opposition. A ce titre, Washington a proposé aux pays qui ont la région sahélienne comme frontière d'installer une base militaire pour contrôler cette région. Les conclusions de la réunion comprennent quatre points. Le premier met en avant la fragilité de trois Etats en particulier, à savoir la Mauritanie, le Mali et le Niger, et insiste sur le fait que la situation dans la région est une menace pour les Etats de cette région mais également pour l'Europe. L'UE insiste sur la nécessité de renforcer la présence de l'État, de promouvoir le développement et la bonne gouvernance, de lutter contre le trafic d'armes et de drogue et la traite des êtres humains. Des mesures visant à atténuer l'impact du changement climatique sont également citées. Le second point concerne la mise en place d'une stratégie régionale, axée sur le développement, la sécurité, la bonne gouvernance, le respect des droits de l'Homme et l'État de droit. Il est précisé que cette stratégie sera appliquée en collaboration avec les Etats de la région, ce qui semble paradoxal vu leur non-implication dans l'élaboration de ladite stratégie. Le troisième point met en avant le caractère urgent de l'action visant à renforcer les capacités des Etats du Sahel. Le quatrième point évoque «un dialogue politique approfondi» avec les États du Sahel concernés et les autres acteurs clés. En aucun cas, on ne parle de ces Etats comme de partenaires. En octobre 2009, les ministres des Affaires étrangères des 27 avaient déjà conclu que la région risquait de devenir un refuge pour les réseaux terroristes. Pour l'Europe communautaire, «cela constitue une menace sérieuse, avant tout, pour la région du Sahel et sa population, mais aussi pour d'autres régions, y compris l'Europe». Plusieurs groupes terroristes y ont élu refuge depuis quelques années, alors que l'organisation d'El Qaïda au Maghreb, l'ex-GSPC algérien, semble y avoir établi plusieurs bases de repli et d'action. L'Union européenne estime ainsi que les gouvernements européens souhaitent agir en toute urgence pour renforcer les capacités des Etats de la région qui doivent promouvoir «le développement et la bonne gouvernance», et, dans le même temps, «lutter contre le trafic d'armes et de drogue et la traite des êtres humains». Rappelons que, ces derniers mois, les enlèvements de ressortissants européens se soient multipliés. Actuellement, 3 des 6 Européens pris en otages dans ces pays sont espagnols. La première action violente des islamistes a eu lieu sous la bannière du GSPC, et remonte à 2003. C'était l'enlèvement de 32 touristes européens. Au départ, ces prises d'otages occidentaux visaient surtout à obtenir des rançons qui permettaient de financer l'achat d'armes. Depuis son ralliement de l'AQMI, d'autres modes opératoires sont empruntés : attentats suicides et exécutions d'otages. Ainsi, début juin 2009, Edwin Dyer, un touriste britannique, enlevé quatre mois plus tôt à la frontière entre le Mali et le Niger, a été assassiné par ses ravisseurs à l'expiration d'un ultimatum pour obtenir la libération d'un prédicateur islamiste. Ce type d'action reflète la connexion grandissante entre terrorisme et crime organisé. Cherif Ouazani estime d'ailleurs que cette zone grise est devenue le passage obligé de tous les trafics, parmi lesquels la contrebande de cigarettes, laquelle brasserait des centaines de millions d'euros par an. Dans la région de Gao, dans le nord du Mali, l'armée malienne a intercepté, le 5 mai 2009, un groupe de trafiquants de cigarettes. Les premiers éléments de l'enquête révèlent que, si l'AQMI n'était pas directement impliquée, elle proposait sa protection aux contrebandiers contre une dîme sur la marchandise en provenance principalement d'ateliers clandestins au Nigeria. Au Maroc, ce trafic brasserait un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 900 millions de dollars, selon le groupe français Altadis. Les autres pays du Maghreb, l'Egypte et le Moyen-Orient sont les principaux marchés visés. Les limites de la stratégie économique La Commission de l'Union européenne (UE) a alloué 13 millions d'euros en faveur des populations confrontées à la malnutrition dans les pays du Sahel. Sur une population actuellement estimée à «50 millions de personnes dans la bande sahélienne ouest, 1,3 million d'enfants âgés de moins de cinq ans, soit 14%, sont en état de malnutrition aiguë ; plus de 300 000 d'entre eux le sont sévèrement et sont, donc, en danger de mort», souligne le communiqué de l'UE qui précise que les taux relevés dépassent systématiquement les seuils d'urgence depuis plus de dix ans. L'aide européenne contribuera à apporter une réponse aux besoins nutritionnels à court terme des enfants de moins de 5 ans, dans quatre pays de la sous-région : Burkina Faso, Mali, Mauritanie et Niger. Une nouvelle enveloppe qui vient s'ajouter aux appuis financiers déjà fournis par le Service d'aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) depuis 2005 au Sahel, qui s'élèvent à près de 70 millions d'euros. En complément de cette dotation, la Commission européenne a accordé, en septembre 2009, une aide supplémentaire de 10 millions d'euros destinée à la lutte contre la malnutrition persistante et l'insécurité alimentaire. La dotation de 10 millions d'euros est répartie entre le Tchad (2 millions), la Mauritanie et le Mali (3 millions), le Burkina Faso et le Niger (5 millions). Elle devra aider ces pays à répondre aux besoins nutritionnels des populations et stimuler leurs mécanismes d'adaptation en améliorant l'accès à l'aide alimentaire, aux soins de santé et à l'eau salubre. Ces difficultés, en majorité causées par les aléas climatiques combinés aux conflits, à la mauvaise gouvernance et à la grande pauvreté, touchent des populations déjà extrêmement vulnérables. «Les conséquences humanitaires du changement climatique se font très durement sentir dans nombre de pays de l'Afrique subsaharienne», a indiqué dans le communiqué un membre de la Commission européenne chargé du développement et de l'aide humanitaire, Karel De Gucht. Partant du principe que la lutte antiterroriste passe obligatoirement par le développement des pays en proie directement à ce phénomène, l'UE a initié un programme avec l'Afrique. Il s'agit de l'initiative de la Grande Muraille verte pour le Sahara et le Sahel (GGWSSI) qui constitue, officiellement, l'une des actions prioritaires du partenariat Afrique-UE sur le changement climatique. Au cours du deuxième sommet UE-Afrique, tenu à Lisbonne en décembre 2007, l'Union européenne et l'Union africaine avaient adopté le premier plan d'action (2008-2010) pour la mise en œuvre du partenariat stratégique de l'UE de l'Afrique. Le plan d'action fait partie de la stratégie commune UE-Afrique et définit dans le cadre du partenariat (N.6) sur le changement climatique une action prioritaire : coopérer pour faire face à la dégradation des terres et l'aridité croissante, en incluant l'Initiative de la Grande Muraille verte pour le Sahara et le Sahel. Unique en son genre, cette initiative est engagée et menée par l'Afrique ; elle vise spécifiquement les écosystèmes arides du Sahara et du Sahel. Ambitieuse, la GMVSS interagit avec les questions régionales et internationales, tout en renforçant les relations euro-africaines. Elle vise à améliorer la coordination des politiques sectorielles dans l'agriculture, l'énergie, le commerce, les investissements. Citons également le programme régional du CILSS (Programme de promotion des énergies domestiques et alternatives au Sahel), financé par la Commission européenne depuis 2001 jusqu'en 2009. Les résultats obtenus consistent dans : - la préparation technique des stratégies pour les énergies domestiques et l'élaboration de cinq plans d'investissement ; - la mise en place d'un système d'information technologique de l'énergie ; - le renforcement de l'expertise sahélienne à travers des formations ; - le renforcement des échanges et la diffusion des technologies utilisant des énergies renouvelables ; - la capitalisation des expériences sahéliennes, notamment en matière de gestion et d'approvisionnement durable en bois-énergie ; - l'élaboration et l'adoption d'un protocole régional simplifié de suivi écologique des ressources ligneuses pour la production du bois-énergie. Cela dit, des retards considérables ont été enregistrés dans la mise en œuvre du programme. De plus, ce sont les Etats qui doivent financer la mise en œuvre, à travers les budgets nationaux et les programmes indicatifs nationaux-PIN. D'ailleurs, les chiffres sont clairs. Les énergies domestiques sont toujours fournies par les combustibles tirés de l'exploitation forestière à hauteur de 80% de l'énergie consommée au Sahel. Aucun progrès dans l'utilisation du gaz et dans la production forestière de bois de chauffe n'a été accompli. La concurrence de la Chine La Chine a accordé à la Mauritanie une aide financière de 12 millions d'euros, dont la moitié sous forme de don et le reste sous forme de prêts sans intérêts. Quelque 300 000 euros en médicaments de lutte contre le paludisme s'ajoutent à ce financement signé à l'occasion de la visite en Mauritanie du vice-ministre chinois des Affaires étrangères, Zhai Jun. La coopération entre les deux pays couvre plusieurs domaines tels que l'eau, les infrastructures publiques, la culture, le sport et la santé. Les relations diplomatiques entre Nouakchott et Pékin, matérialisées, entre autres, par le port en eau profonde et le stade olympique de Nouakchott, remontent à 1965. Mais la Chine a lancé une très vaste offensive dans la région, impliquant une présence économique de plus en plus importante. Manifestement, les Européens sont en retard, leurs économies ne générant pas assez de croissance pour leur permettre de déployer des programmes d'aides ambitieux. La particularité des aides chinoises réside dans le fait que, contrairement aux ex-puissances coloniales européennes, la Chine se déploie au nom de la «coopération pour le développement», mobilisant des investissements financiers, techniques et humains, en vertu d'«accords de coopération». Ces accords prévoient des clauses de révocabilité, en cas d'insatisfaction de l'un ou des deux partenaires. Ce n'était pas le cas dans le passé où la partie dominante avait les moyens d'imposer les termes du contrat à la partie demandeuse. L'exploitation de l'or malien est un exemple. Samuel Benshimon rappelle que, dans ce pays, la production industrielle de l'or a atteint 49 tonnes et demie, en 2009, et plusieurs ONG spéculent sur le fait que l'exploitation du métal précieux profite plus aux multinationales qu'aux populations. Selon des sources maliennes, les quatre mines d'or exploitées ont injecté, entre 1997 et 2005, environ 690,72 milliards de F CFA par an dans l'économie nationale mais les communautés locales n'ont bénéficié que de 9,2 milliards de francs, soit 1,3% de la rente minière. La Chine, estime Samuel Benshimon, reste relativement prudente dans sa gestion de sa présence en Afrique, et plus particulièrement dans les pays de l'arc sahélien. Ainsi, les opérateurs chinois tels que «China Overseas Engineering Group Co. Ltd», «China GEO-Engineering Corporation and China Light Industrial Corporation for Foreign Economic and Technical Cooperation», se sont principalement engagés dans des projets tels que le forage, le bâtiment, la construction des routes, la rénovation des champs et l'irrigation, et des joint-ventures ont été établies dans la filature et les raffineries de sucre, apportant de fait une contribution active au développement du pays. Officiellement, les investissements directs chinois en Afrique sont passés de 491 millions de dollars, en 2003, à 7,8 milliards fin 2008. Les échanges commerciaux entre la Chine et l'Afrique ont décuplé depuis le début de la décennie pour atteindre 106,8 milliards de dollars en 2008. La stratégie conduite par les entreprises chinoises est en harmonie avec la doctrine générale du gouvernement chinois qui vise à assurer ses réserves en ressources naturelles. Pétrole soudanais, angolais ou nigérian, bauxite guinéenne, etc., en diversifiant ses investissements en Afrique et un peu partout dans le monde, le géant asiatique veut assurer son indépendance énergétique. Réactions Pour le Malien Bertin Dakouo, le regain d'intérêt sécuritaire des Européens pour la région ne repose sur aucun argument objectif. Pour lui, il s'agit simplement d'une manœuvre délibérée visant à mettre le Mali sur liste noire. Ce qui a été fait. Par ailleurs, il lie ce retour de l'UE au fait que les Européens cherchent un alibi pour renforcer leur présence dans la bande sahélienne, notamment depuis que les Etats-Unis y ont commencé à prendre quelques repères. L. A. H.