De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali «Mieux vaut ne pas avoir affaire au CHU d'Oran.» Cette sentence populaire, née dans les années 1990 alors que les termes «maladie», «santé» et «soins» signifiaient encore quelque chose, vaut davantage aujourd'hui avec les pavillons et services hospitaliers qui ont atteint un stade de délitement avancé où les malades sont contraints de mettre la main à la poche pour pallier les déficiences matérielles et l'acte médical semble avoir perdu de sa grandeur auprès de la majorité des personnels médical et paramédical. La situation de l'hôpital d'Oran s'est à ce point dégradée que seuls les malades qui ne peuvent pas se permettre de se faire soigner dans le secteur privé ou ceux qui savent pouvoir compter sur des appuis internes consentent à s'y rendre : «Je n'avais pas les moyens d'accoucher dans une clinique privée mais j'ai fait appel à des relations qui m'ont permis de séjourner en maternité dans des conditions plus ou moins acceptables», se souvient une mère de famille qui y a passé une vingtaine de jours en 2008 : «Si je rends grâce à Dieu de l'aide que j'ai reçue par l'entremise de certains médecins, d'autres femmes ont vécu le cauchemar, particulièrement celles qui souffraient de complications. Les conditions d'hébergement étaient horribles, la nourriture presque immangeable et les personnels médical et paramédical dénués de cette compassion dont le malade a besoin et qu'il est en droit d'attendre. Bref, j'en garde un souvenir horrible !!» Comme cette femme, de nombreux malades dénoncent la difficulté à se faire soigner dans les divers pavillons malgré, reconnaissent certains d'entre eux, la disponibilité et la gentillesse de quelques médecins et infirmiers qui, avec le temps et le manque de moyens, baissent les bras et avouent eux-mêmes leur impuissance à mener à bien leur tâche : «Nous sommes contraints d'acheter les médicament nous-mêmes, tout comme nous avons tout intérêt à apporter notre nourriture et notre propre literie si nous ne voulons pas mourir de malnutrition ou de froid.» D'autres sont outrés de ne pouvoir bénéficier des soins les plus élémentaires, comme le nettoyage d'une blessure générée par un accident domestique, parce que s'étant présentés aux urgences... au cours du week-end. C'est le cas d'un jeune homme qui s'est ouvert le tranchant de la main droite en donnant un coup de poing à une vitre : «Aux UMC, les urgentistes ont refusé de me prendre en charge et m'ont orienté vers les établissements de proximité, raconte-t-il sous le coup de la surprise et de la colère. Je m'y suis rendue mais, là aussi, on m'a dit qu'ils ne soignaient pas ces blessures le week-end et je ne dois mon salut qu'à un infirmier que je connais, qui a accepté de le faire. Le croyez-vous ?!!» A l'évidence, de nouveaux comportements aberrants sont venus accroître le ressentiment que la population oranaise éprouve à l'endroit des établissements de santé. Pourtant, en l'espace de vingt ans, l'hôpital d'Oran -présent pourtant des atouts sûrs pour qui saurait les exploiter- a vu passer une vingtaine de directeurs généraux et un nombre incalculable de commissions d'enquête, mais, aucun bénéfice ne semble en avoir été tiré ; la réputation de cet établissement hospitalier étant descendue plus bas que terre. Ce qui a mené les Oranais à se poser la question de savoir s'il existait une réelle volonté de mettre un terme à la gabegie qui y règne et aux graves dysfonctionnements ouvertement dénoncés par l'un des anciens directeurs généraux, en l'occurrence le professeur Attar, et par tous les travailleurs, même sous le sceau de l'anonymat : «Gestion catastrophique, 110 milliards de dettes, un personnel qui n'hésite pas à ‘‘piquer'' dans les cuisines, des salariés qui touchent leur rémunération sans contrepartie, d'importants prêts (de 100 000 à 600 000 DA), accordés en 2001 à des travailleurs, non encore remboursés, détournement de malades et de médecins vers le secteur privé…», s'était insurgé en 2005 le professeur Attar alors que l'ancien ministre de la Santé, Amar Tou, avait fait ce constat consternant : «Le CHU d'Oran donne le mauvais exemple sur tout : la mauvaise gestion, la mauvaise prise en charge et le laisser-aller […] C'est scandaleux de se taire sur une telle conduite. Il n'est pas normal qu'une telle situation puisse exister et durer de la sorte […] Des enfants alités à même le sol, une structure délabrée, une hygiène lamentable et des conditions de fonctionnement dérisoires. C'est un bidonville !» Le ministre avait alors fait cette promesse solennelle : «Nous allons tout faire pour améliorer et changer les choses et l'état du CHU.» Y a-t-il eu des changements fondamentaux dignes d'être cités depuis cette année où l'on avait enfin vu un responsable local s'insurger contre le fait que le CHU d'Oran bénéficie d'un budget annuel de près de 350 milliards de centimes ? Hormis le passage furtif d'autres responsables à la tête de l'établissement, des réfections minimes qu'il serait indécent de qualifier de véritable changement et de petites décisions d'ordre organisationnel, l'établissement est resté en l'état, pour ne pas dire qu'il s'est enfoncé encore un peu plus dans l'abîme : «En haut lieu comme localement, tout le monde se désintéresse du CHU en tant qu'établissement hospitalier, affirment des sources bien informées. L'attention se porte essentiellement sur l'EHU 1er Novembre de l'USTO où tous les médecins voudraient exercer ; ce qui est parfaitement logique lorsque l'on fait la comparaison entre les deux établissements hospitaliers. Il ne faut pas oublier non plus que cette situation bénéficie également aux cliniques privées…» En somme, cette situation profite ou est en passe de profiter à tout le monde sauf aux malades qui continuent de faire les frais de la gestion catastrophique de la santé à Oran. Pendant que ceux qui sont censés les défendre se complaisent dans un silence complice.