Photo : S. Zoheir De notre correspondant à Tizi Ouzou Lakhdar Siad Pas facile, pour ne pas dire très difficile, est la vie des handicapés en Kabylie où même les personnes bien portantes ont de multiples problèmes sociaux et autres. Les malades mentaux en souffrent tout autant, sinon beaucoup plus, que les autres catégories de handicapés dans la wilaya de Tizi Ouzou, selon un tableau récent brossé par des défenseurs de cette frange de la population dont le nombre augmente à vue d'œil sans que la prise en charge évolue en moyens et dans la qualité des soins disponibles. «S'il y avait une réelle prise en charge des malades mentaux, l'Association des parents et des amis des malades mentaux [APAMM] Yasmine n'aurait pas été créée ni, peut-être, existé. L'APAMM est née pour pallier le grand déficit en matière de prise en charge des malades mentaux. L'association est devenue une exigence de l'heure et sa création devenait une urgence. Elle doit impliquer les familles et amis des “malades mentaux» désireux de s'impliquer afin d'améliorer leur destin”, affirme M. Malek Amirouche, responsable au sein de cette association mise en activité début de l'année 2006 à Tizi Ouzou par des médecins psychiatres, des psychologues, des universitaires, des enseignants et des retraités, à l'initiative d'un médecin psychiatre, le Dr Rabah Amireche, qui travaillait à l'hôpital psychiatrique Fernane Hanafi de Oued Aïssi. Dans la région de Kabylie, la psychiatrie n'a pratiquement bénéficié d'aucune structure et celles existantes n'ont pas fait l'objet d'amélioration depuis la création de la «cité psychiatrique» en 1972. «Des institutions construites à une période où la psychiatrie était encore une très jeune spécialité médicale, où les lois régissant la santé mentale algérienne n'avaient pas encore vu le jour», écrit l'APAMM Yasmine. Comment vit l'APAMM Yasmine ? «Les problèmes, ce n'est pas cela qui manque. On galère toujours. On n'a pas pu avoir un siège et nous recevons des miettes comme aides ou subventions de la part des autorités avec lesquelles il est impossible de lancer des projets dans cette situation», commente M. Amireche. L'APAMM Yasmine a son diagnostic en détail : «Les circuits de soins disponibles, les possibilités thérapeutiques, les leviers de solidarité et les mécanismes de protection de ces malades sont insuffisants en nombre et en qualité ; du moins dans leur usage et dans leurs retombées sur le malade, sa famille, son travail et pour la société globalement.» Dans ce cadre, l'association relève que les lits hospitaliers en psychiatrie en général ont connu une diminution dans le pays depuis l'indépendance, que, dans la wilaya de Tizi Ouzou, ces lits ont également diminué alors que la demande augmentait. «Cependant, ces structures ne répondent pas seulement à la demande des patients de la wilaya de Tizi Ouzou, mais aussi celles de Béjaïa, de Bouira et de Boumerdès, causant ainsi une surcharge contraignante, (100% de taux d'occupation ces dernières années) d'où la baisse de la qualité de prise en charge, comme la postcure, la durée d'hospitalisation écourtée, etc.», selon des données de l'association, qui souligne que les personnels spécialisés sont insuffisants dans les structures publiques et privées. Il y aurait 23 psychiatres pour toute la population, ce qui donne le ratio d'un psychiatre pour 54 000 personnes alors que les recommandations sont de 1 pour 35 000 personnes. A cela s'ajoute l'absence de structures d'accompagnement de soins et de resocialisation comme les ateliers thérapeutiques protégés ou des lieux de rencontre et de psychothérapie adaptés. Les aides octroyées par l'Etat aux handicapés sont aussi rudimentaires et leur attribution nécessite un parcours du combattant. Elles obéissent à des référence cliniques peu claires car la même pathologie est «rétribuée» différemment (80 à 100%) comme il faut signaler le peu d'informations relatives aux mécanismes législatifs qui les régissent, ajoute l'APAMM Yasmine, qui revient sur les circuits de soins déterminés par la loi, notamment les différentes modalités d'hospitalisation qui ne sont ni connues ni appliquées. Les projets de l'APAMM Yasmine ? Réaliser une ferme thérapeutique vouée à la réinsertion et à la prise en charge des malades et handicapés mentaux par le travail. «Elle verra bientôt le jour à Aït Oumalou, daïra de Larba Nath Irathen. Elle sera probablement opérationnelle en septembre prochain et s'appuiera sur l'ergothérapie, un procédé consistant en la prise en charge et la resocialisation des malades mentaux par l'occupation et le travail. C'est une expérience unique en Algérie après celle du défunt professeur Boucebci», selon les déclarations de l'association. Un terrain d'une superficie de 5 hectares a été gracieusement cédé par A. Si Nasser pour la construction de cette ferme qui compte aussi sur le financement de particuliers et le sponsoring. Un gala de solidarité et un grand couscous de l'amitié (waada) seront organisés, à la rentrée, en prévision de l'ouverture de l'exploitation à but thérapeutique qui portera certainement le nom du Pr Boucebci, selon le Dr Amireche qui a tenu à rendre hommage au psychiatre assassiné par les intégristes en 1993.