Photo : Riad Par Nabila Belbachir «Je n'ai pas choisi d'être handicapée, je n'ai pas choisi d'être encombrante et inutile, de contracter une sclérose en plaques, de vivre dans un fauteuil, d'être transportée en ambulance, de suivre des séances de rééducation deux fois par semaine et d'être transformée en alambic par la chimie des laboratoires, je n'ai pas choisi non plus de rester inactive…» C'est en ces termes que s'est exprimée, Mme D. Malika, âgée de 45 ans, victime d'un accident de la circulation alors qu'elle était âgée d'à peine 15 ans et qui clame à voix haute les revendications et les droits de cette frange fragile de la société, laissée, généralement, à l'abandon. La situation du handicapé est de plus en plus alarmante et préoccupante. D'où, un SOS a été lancé à maintes reprises par les associations intervenant dans ce domaine et les familles ayant à charge des enfants handicapés. Pour la Fédération des associations des handicapés moteurs (FAHM), «la situation est arrivée à un seuil critique, la prise en charge médicale fait défaut et l'accès aux soins devient de plus en plus problématique et inaccessible. Rien n'est organisé, notamment pour les enfants, en ce sens qu'une équipe pluridisciplinaire puisse les prendre en charge». Les spécialistes ont également attiré l'attention sur la gravité de la situation à cause de la tendance à la hausse des accidents de la circulation, devenus la principale cause d'invalidité motrice. D'autres facteurs et non des moindres sont liés aux problèmes cardiovasculaires ou d'accouchement, aux séquelles du diabète et aux problèmes génétiques. Ce sont pour la plupart des enfants atteints d'infirmité motrice cérébrale (IMC) dont l'atteinte est plus ou moins grave et dont l'état de santé nécessite des soins de rééducation fonctionnelle, un appareillage approprié, des soins en orthophonie et en ophtalmologie. Malheureusement, ces enfants, pour ne parler que de cette frange sensible et pesante de la société, sont accompagnés et même portés, souvent, par leur maman. Ballottés d'un service à un autre -les structures de santé sont souvent situées d'un bout à l'autre de la ville-, les enfants semblent être écartelés entre différentes spécialités et spécialistes. Des problèmes qui restent difficiles à solutionner. La FAHM a déploré, toutefois, le fait que les pouvoirs publics agissent seuls, sans consulter les associations, qui, elles, connaissent le terrain. Pour qu'un programme réponde réellement aux besoins des personnes handicapées, il faut qu'il soit validé par les associations qui le représentent, selon la FAHM, qui précise que la bonne volonté du gouvernement ne suffit pas à endiguer les problèmes des handicapés moteurs si leurs besoins ne sont pas identifiés. La présidente de la FAHM a affirmé, encore une fois, sa position pour la suppression de la pension de 4 000 dinars, allouée par l'Etat à cette frange, une pension qui «ne sert à rien». Et de préconiser la mise en place d'un service transport par taxi, d'un service d'auxiliaires de vie qui puissent intervenir à domicile, un service d'agents d'insertion, tout cela pour aider les personnes invalides. Au sujet de l'allocation pour handicapés, son versement se fait avec plusieurs mois de retard, alors que les handicapés moteurs ont des besoins impérieux à satisfaire. En dehors de la modicité de cette somme, les handicapés moteurs doivent subvenir à toutes les charges, (médicaments, dépenses quotidiennes). La pension doit être égale au SNMG, a récemment déclaré le président de l'association Ettahadi, M. Bouzar Hamza qui a toutefois regretté le rôle inadapté de tous les centres médico-pédagogiques (CMP), devenus des passages qui préparent l'enfant à s'incliner, au lieu d'être des passerelles à l'inclusion. Quelle école pour l'enfant handicapé ? Depuis de nombreuses années, la FAHM a constaté à travers sa cellule d'accueil les difficultés d'accès à la scolarisation de centaines d'enfants handicapés moteurs, de ceux atteints de myopathie ou infirmes moteurs d'origine cérébrale. Ces enfants auraient pu poursuivre une scolarité dans une école ordinaire si ces écoles avaient été préparées à les accueillir. Pour ceux qui ont réussi à s'insérer au même titre que les autres enfants valides, leur scolarisation n'a abouti qu'à une intégration au fond de la classe et dont l'issue, après deux ou trois années de marginalisation au sein même de sa classe, a conduit à l'exclusion de l'enfant : «Il est intelligent, il suit les cours mais il ne peut pas écrire. Il lui faut un établissement pour handicapés», soulignera avec amertume Mme El Mamri Atika, présidente de la FAHM. Ainsi, beaucoup d'enfants handicapés vivront reclus au domicile de leurs parents et végéteront durant des années, privés de tous leurs droits fondamentaux. Comment modifier cette situation ? Quelles sont les entraves qui les empêchent de poursuivre une scolarité au même titre que tous les enfants de leur âge ? s'est interrogée la présidente de la Fédération. Et de poursuivre, avec regret, que l'accompagnement à la scolarisation est un processus à construire en Algérie, notamment en ce qui concerne l'environnement, l'architecture, la spécialisation et autres entraves. Car, dira-t-elle, si l'établissement scolaire refuse l'enfant handicapé, c'est aussi parce que les enseignants évoquent son handicap, son problème d'élocution, ses difficultés à écrire, le fait qu'il n'aille pas seul aux toilettes, ses difficultés à se déplacer au sein de l'école et même si l'enfant venait à être inscrit à la suite d'interventions, les enseignants ne font pas participer l'enfant handicapé en classe, car leur vision reste axée sur sa déficience et ses incapacités et non sur ses aptitudes et capacités. Cela dénote, précisera-t-il encore, de l'approche étroite qu'ils ont du handicapé. Et d'évoquer également l'inaccessibilité architecturale des établissements scolaires, dont les classes sont situées en étage, les tables, chaises et matériel pédagogique non adaptés à l'enfant, les toilettes inaccessibles, présence de marches ou d'escaliers, portes étroites, cuvettes turques… en plus de l'absence de centres spécialisés et de classe adaptées destinées aux enfants handicapés ayant des incapacités importantes, ce qui ne permet pas un passage préparatoire pouvant permettre à ces enfants d'intégrer des écoles ordinaires. Mme El Mamri a soulevé, en outre, les obstacles évoqués par les familles, qui s'articulent autour du logement familial situé en étage, le transport, l'éloignement géographique de l'école, l'absence de connaissance des aptitudes et capacités de leur enfant. Et les difficultés d'accès aux soins de réadaptation fonctionnelle ou bien des difficultés financières pour ce qui est de l'obtention des aides techniques, de chaises roulantes pour enfant, de matériel de confort urinaire, pour ne citer que ces deux exemples. En outre, il a été question de gênes rencontrées par l'enfant handicapé. Il s'agit, selon notre interlocutrice, du problème d'élocution et de la difficulté à écrire, même si l'enfant ne présente aucun trouble du comportement ou incapacité intellectuelle et mentale, vont impliquer sa non-admission à l'école. La prise en charge précoce d'un enfant qui présente des incapacités fonctionnelles pourrait être réduite en réadaptation fonctionnelle, à savoir la chirurgie, la rééducation fonctionnelle, l'orthophonie, l'ergothérapie…Mais l'impossibilité de recourir à une prise en charge en réadaptation va , selon Mme El Mamri, entraîner chez l'enfant des complications et des aggravations dues aux troubles de déficience, et donc provoquer une régression progressive de ses capacités actuelles. Une commission nationale pour l'amendement de la loi sur les handicapés Ils sont quelque 3 millions à souffrir d'un handicap en Algérie, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), et 1,6 million, selon l'Office national des statistiques (ONS), alors qu'une enquête nationale devant recenser cette population fait défaut à ce jour. C'est dire si les personnes souffrant d'un handicap sont encore peu prises en considération en matière d'emploi, d'insertion sociale ou d'accessibilité à la formation en dépit des dispositions juridiques prévues par les articles 27, 30 et 31 de la loi 02/09 du 08/05/2006 relatives à la protection et à la promotion des personnes handicapées et le décret exécutif n°06-455 du 11/11/2006 fixant les modalités d'accessibilité des personnes handicapées à l'environnement physique, social, économique et culturel. Dans ce contexte, le ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Communauté nationale établie à l'étranger, M. Djamal Ould Abbes, avait annoncé qu'une commission nationale serait mise en place pour examiner le projet d'amendement de la loi 2002 sur les handicapés avant de le soumettre au gouvernement et au Parlement pour enrichissement et adoption. Celle-ci visait à améliorer les conditions sociales des handicapés, notamment en matière d'emploi, d'enseignement et d'habitat. Cette commission comprend les secteurs concernés, la société civile, des experts ainsi que des spécialistes. Le département de Ould Abbès avait élaboré un programme quinquennal 2010-2014 pour la réalisation de 120 nouveaux centres au profit des personnes aux besoins spécifiques, alors que les 30 autres centres centres spécialisés sont en cours de réalisation. La FAHM met en place des projets prometteurs Mme El Mamri a par ailleurs appelé à l'élaboration d'un programme de prévention et d'accompagnement à l'insertion au sujet duquel elle dira : «Nous sommes en train de mettre en place un projet en collaboration avec une association française, ”Santé Sud” en l'occurrence, et un comité de pilotage pour former des professeurs algériens en pédiatrie. Celui-ci servira à déceler toutes les anomalies qui ont touché ces enfants.» Et d'ajouter : «Nous allons proposer de mettre en place des «camps», un service où tous les enfants de 0 à 6 ans pourront se présenter pour des consultations pluridisciplinaires.» Elle avait également évoqué, lors d'un séminaire sur la question, le dépistage précoce des troubles liés au handicap mental, notamment ceux de la petite enfance, ainsi que l'insertion socio-économique des personnes sujettes à un handicap mental. A ce propos, notre interlocutrice a déclaré qu'«il faut donner un sens au dépistage qui doit être fait en vue d'une insertion adéquate et donner des perspectives de qualité de vie déjà pour le nourrisson en situation de handicap mental». Et de déplorer l'inexistence de centres de diagnostic en Algérie. «Il n'existe pas en Algérie de centres pluridisciplinaires où l'enfant en situation de handicap mental peut être pris en charge à travers des équipes spécialisées afin de lui élaborer un projet de vie et d'insertion qui soit le plus qualitatif possible.» Pleine d'amertume, Mme El Mamri dira qu'«un dur combat est à mener, mais il faut s'armer de patience et de volonté pour conquérir le droit du handicapé afin qu'il retrouve son autonomie».