Photo : Riad Par Samir Azzoug La vie communautaire est régie en premier lieu par les rapports sociaux. En Algérie, ces derniers sont encore plus forts que la loi. Les liens de famille, de voisinage et d'amitié priment sur toute autre considération. Une aubaine en apparence mais qui n'est pas sans conséquences sur le bon fonctionnement des institutions et autres organismes de l'Etat. Quand l'individu se sent plus redevable envers son entourage immédiat qu'envers la communauté en général, il tombe immanquablement dans les pièges du népotisme, du régionalisme et du clanisme. Dans la mentalité algérienne, il est largement admis qu'un responsable, quel que soit son rang, fasse le nécessaire pour s'entourer de ses proches ou du moins leur faciliter l'accès aux services dispensés au sein de l'entreprise ou l'administration qu'il gère. C'est un devoir de famille. Dans le cas contraire, il risque de subir les foudres de son entourage. Un «réflexe» qui détruit de fait la notion de l'équité sociale. Faisant fi des règles élémentaires de la bonne gouvernance et des critères d'accès aux droits même ondamentaux, ces «conventions féodales» encouragent l'injustice sociale. Quand les critères de recrutement, d'accès au logement ou tout autre «privilège» dépendent plus de ses liens de parenté que des références inscrites dans la Loi, le sentiment de frustration devient général car on ne peut pas avoir le «bras long» dans tous les secteurs (ou du moins rarement). D'un autre côté, cet état de fait finit par miner et laminer le bon fonctionnement de tous les secteurs, qu'ils soient économiques, administratifs ou autres. Lorsqu'une entreprise, quel que soit son rang, recrute son personnel sur des considérations autres que la compétence, son sort est scellé d'avance. Elle se transforme alors en une affaire de famille et son plus haut responsable en devient le propriétaire. Alors, est-ce étonnant après que les scandales liés à la corruption, aux passe-droits et népotisme fassent la une des journaux ? «Tu veux refaire ta carte d'identité nationale ? Mon cousin travaille à la daïra de Hussein Dey. Tu l'auras dans une semaine !» déclare fièrement un trentenaire à son ami. C‘est ce comportement qu'il faut bannir de la société car il faut savoir que la CNI, avec ou sans connaissance, doit être délivrée en une semaine. Cette réaction du jeune, très «normale» dans la société, pose une double problématique. La première est toujours liée au népotisme. Quant à la seconde, elle a trait aux entraves bureaucratiques. Devant ces données et face à la mollesse des forces de régulation de l'Etat, les citoyens s'arrangent et tirent profit de la situation. «Chacun a trahi la société à sa manière. De celui qui a eu un poste de responsabilité et détourné des fonds à l'autre qui ne fait pas son travail comme il se doit», déplore ammi Ahmed, un septuagénaire retraité de la fonction publique. «Dans ce pays, celui qui n'a pas volé, c'est qu'il n'en a pas eu l'occasion», renchérit son compagnon d'infortune installé sous un Abribus non pour attendre le transport mais simplement pour «voir» passer le temps. Graves accusations émises par des «vieux de la vieille» comme ils aiment à le dire. Sans tomber dans la généralisation, car bien heureusement des gens honnêtes existent encore, il est de notoriété publique qu'en l'absence d'une force de dissuasion et d'application de sanctions prévues dans la législation, c'est la raison du plus fort, du plus introduit et du plus «épaulé» qui fait force de loi. Exemple : pour avoir accès à un poste d'emploi, le demandeur s'enquiert de trouver une connaissance au sein de l'entreprise qui offre le poste avant de se renseigner sur les exigences de la fonction ou des matières à concourir. Et il trouvera «normal» d'être recruté à ce poste alors qu'il n'a aucune qualification dans le domaine. Et le phénomène n'épargne aucun secteur ni domaine. Ce qui est encore plus alarmant, c'est lorsque ce constat est enregistré au niveau du système de santé publique. «Pour avoir accès à une prise en charge médicale, tu dois connaître quelqu'un à l'hôpital ou savoir distribuer les billets», peste Hamid, qui n'arrive pas à faire admettre sa femme en couches à l'hôpital de Kouba. «On me dit qu'il n'y a pas de lits disponibles alors que des femmes arrivées après nous ont été admises», constate-t-il. Une colère justifiée. Mais qu'aurait fait Hamid s'il était à la place de la sage-femme qui voit sa sœur venir la solliciter pour être prise en charge ? Question compliquée dans une société comme la sienne. Pour mettre un terme aux problèmes de népotisme, de clientélisme et de corruption, un travail de fond doit être entrepris par les pouvoirs publics sur un double plan. Il faut d'abord consolider les organismes en charge du contrôle de l'application stricte des lois de la République, ce qui aura pour effet de garantir la justice sociale. Ensuite, faire un travail de sensibilisation et d'éducation pour apprendre au peuple les rudiments du civisme : les droits et les devoirs de chacun. La raison d'Etat doit passer avant celle des différents cercles de connaissances.