Photo : Sahel Par Fella Bouredji et Samir Azzoug La notion du panafricanisme (mouvement qui tend à unifier les pays du continent africain) se révèle dans toute sa splendeur dans les villages où logent les artistes invités dans le cadre du Panaf 2009. On y retrouve l'idéal chanté par le défunt Bob Marley en 1979, Africa Unite, à la vue de la bonne cohabitation entre les représentants des peuples africains dans ces mini-cités construites ou réhabilitées par l'Etat algérien pour les héberger du 5 au 20 juillet. L'Union des Africains n'est pas une utopie. Elle est réalisable. Beaucoup de choses unissent ces peuples. Des similitudes qui dépassent les clivages raciaux, religieux ou linguistiques. Ni la couleur de la peau, ni les traits des visages, ni même les langues parlées ou celles empruntées ne résistent à la façon commune qu'ont les Africains d'appréhender la vie. Avec la manière qu'ils ont de se mouvoir dans l'espace, leur nonchalance affichée dans la gestuelle et le comportement, la fierté dans l'allure et la simplicité dans les relations avec l'autre, les Africains s'élèvent au-dessus des rapports complexes et superficiels imposés par la mondialisation. La vie à l'africaine est naturelle. Le politiquement correct et ses dérivés ainsi que les apparences trompeuses n'y ont pas droit de cité. C'est peut-être pour ces raisons que les peuples africains sont considérés par les amateurs de classements et de comparaisons comme sous-développés ou au mieux en voie de développement. Mais, comme la bonne culture est une notion suggestive, l'art de vivre africain semble avoir pris un parti. Si certains peuples ont choisi d'asservir la nature et les êtres pour assurer leur développement, ceux du continent noir ont opté pour l'adaptation et le respect mutuel. Le meilleur reflet de cette philosophie de la vie se dessine dans la culture africaine. Et pour capter cette aquarelle de sons, d'images et de savoir-faire, le Festival panafricain est une aubaine. Résidence des artistes : épicentre du Panaf La quintessence du festival est dans les villages des artistes. S'il y a un endroit où les idées fortes du Panaf se vivent et se ressentent, c'est bien dans cet espace regroupant des festivaliers avides de partage et de joie de vivre. La résidence de Zéralda, site spécialement construit pour l'événement, abrite quelque 2 500 résidents. Les porte-flambeaux de la culture africaine, venus des quatre coins du continent, y sont hébergés. Dans des chambres doubles, simples mais agréables. Du trois étoiles aux normes algériennes. 23 blocs de quatre étages, différenciés par des couleurs pastel, vert, rouge, orange et bleu apaisant le regard et égayant les esprits. En termes de commodités, des «efforts appréciables», selon les festivaliers, sont à concéder aux organisateurs. Un espace Internet, un autre réservé à la restauration, des ateliers artistiques, un studio de répétition et de balance, un kiosque de boissons chaudes et froides et différents petits magasins constituent l'essentiel du village. Mais la résidence de Zéralda ne se limite pas à sa fonction de cité-dortoir. La fête et l'échange lui donnent une autre portée. Les mouvements qui y règnent en font même l'épicentre du Panaf. Les concerts et les festivités animant la capitale depuis deux semaines n'ont pas réussi à faire ressortir l'aura qui recouvre cette résidence où règne l'esprit de la communion et de la fierté africaine. Va-et-vient incessants, éclats de rires, regroupements… de la musicalité dans l'air, bruits de tam-tam par-ci et écho de chants traditionnels par-là. Ambiance d'échanges et moments de fusion exceptionnels. Les gens se mêlent, se découvrent et s'influencent au gré du partage simple et épuré. Chaque coin de rue de la résidence est l'occasion de savourer une rencontre inattendue, un moment musical, de rythmes et de sons. De la spontanéité, pour mieux détruire les préjugés et les barrières. Découverte de l'Algérie : entre soif et frustration «C'est un bonheur que d'être ici», s'enthousiasme Paul, artiste venu présenter la culture de son pays, le Lesotho. Après avoir longtemps toussé suite à l'inhalation d'une bouffée de cigarette algérienne, Paul engage très chaleureusement la conversation. «Je me sens chez moi. Je suis chez moi en Algérie. Cela fait des années que je rêve de faire ce voyage. Mis à part ce que j'ai appris à l'école, je ne connais presque rien de ce pays», regrette le chanteur. Paul, comme la majorité des Africains rencontrés dans le cadre du Panaf, sait peu de choses sur l'Algérie et ne demande qu'à mieux la connaître. Sa soif de découverte ne sera malheureusement pas assouvie. «On est condamnés à rester dans le village. On n'est pas autorisé à sortir sans escorte. Sauf pour les soirées où on est programmés sur scène. Et encore, on ne connaît que le trajet qui mène de la résidence au site du concert», témoigne cette fois Abeba, jeune mannequin éthiopienne. Son ami Aynalem emploie des termes plus forts : «On se croirait à Guantanamo, c'est trop triste qu'on ne nous laisse pas sortir, même pas pour faire du shopping». Ne comprenant pas les motifs sécuritaires avancés par les organisateurs, Aynalem emploie de grands mots pour exprimer sa frustration de ne pouvoir découvrir l'Algérie en toute liberté. Mis à part cette fausse note, les festivaliers manifestent un réel attrait pour l'Algérie. Par bribes, par images volées à travers les vitres des moyens de transport, par les rares fois où ils ont vu et entendu les différentes formes du folklore algérien, la curiosité de ces artistes est attisée. Dans un anglais approximatif, Paul dévoile ses connaissances sur l'Algérie. «Je sais que ce pays se trouve au bord de la mer Méditerranée. Qu'il a été colonisé par la France. Et surtout, que c'est un peuple africain», énumère-t-il. «C'est le pays du million et demi de martyrs», précise Aynalem l'Ethiopien, exhibant fièrement ses connaissances. La plupart des artistes approchés disent y venir pour la première fois. Les jeunes : espoir de la renaissance africaine De la culture algérienne, les invités du Panaf ne connaissent presque rien. Mais, un constat rassure (dans un sens) : l'ignorance que les africains ont les uns des autres. Et les raisons sont multiples. A cause de la formidable machine qui a réussi à distiller une seule culture planétaire. Et de présenter par les forces des moyens de communication jusqu'au plus petit hameau perdu dans la savane la «World Culture» comme une référence suprême. Résultat : acculturation des peuples. Les Africains s'identifient plus facilement à la pop, au jazz, au rock ou au blues qu'aux sonorités venant de pays limitrophes. Ce qui éloigne les peuples africains les uns des autres, n'est autre que les séquelles laissées par les différentes formes du colonialisme. Malgré les indépendances, ces peuples restent aliénés culturellement. Mais l'Afrique résiste et se redécouvre. Et le Panaf 2009 le prouve. Les artistes rencontrés dans le village de Zéralda sont tous jeunes. C'est en eux que réside la force d'une éventuelle renaissance de la culture africaine. Et il y a de quoi croire en cette force à les écouter chanter, toujours sourire aux lèvres en dépit des dures réalités sociales dans lesquelles ils vivent. Leurs chants sont souvent joyeux et, quand ils ne le sont pas, l'amertume qui s'en dégage se laisse toujours relever par une énergie positive. Quand ils dansent, cette force sereine que tous portent se ressent encore plus. Chaque fin d'après-midi, quand la chaleur s'apaise, les troupes qui ne donnent pas de spectacles sur les scènes d'Algérie, improvisent des mini-représentations dans les différents recoins de la résidence. Loin du stress des prestations officielles, les artistes se lâchent, s'amusent et se mélangent. Profitant de cette aubaine, l'administration du site a tenu à cadrer ces improvisations, en mettant à la disposition des chanteurs, danseurs et musiciens une scène munie de moyens de sonorisation. Les groupes se relayent. Quand les Algériens se redécouvrent africains Lundi dernier, à partir de 20h, des troupes de la Gambie, du Mali et des Seychelles ont semé la joie de vivre. En toute simplicité, sans chichis et sans superflu, les spectateurs qui étaient dispersés se sont alors rués vers la place, se donnant à leur tour en spectacle. Pris par les rythmes, possédés par la synchronisation des tambours et autres percussions, ils entrent en transe. Le vrai spectacle est là. Des chorégraphies naissent presque naturellement. Sans efforts. Des gestes las, amples et suggestifs. Les mouvements des bras, du bassin et du corps entier, sans pudeur et sans retenue expriment un mélange de puissance et de sensualité. Les Algériens présents, qu'ils soient artistes ou accompagnateurs, ont été pris au jeu. Ils n'ont pu résister. Le heddi (danse populaire algéroise), s'est moulé aux rythmes africains. Sans fausses notes. Une rencontre des cultures a bien eu lieu. Proches, complémentaires et juxtaposables, les arts africains ne s'opposent plus dans ces moments-là. Les Algériens se redécouvrent africains. Et les Africains touchent du doigt l'africanité de l'Algérie. Une africanité qui ne demande qu'à se dévoiler.