C'est avec la projection du film Home de la réalisatrice Ursula Meier que la 3ème édition des Journées du film francophone s'est ouverte samedi dernier à la salle Cosmos de Riadh El Feth. L'événement a drainé une fouleimportante. Home est une coproduction cinématographique de France, Suisse et Belgique. Sorti en 2008, ce long métrage retrace le quotidien d'une famille suisse qui habite dans une modeste maison de campagne en bordure d'une autoroute abandonnée. Les parents et leurs trois enfants mènent une vie tranquille loin des gens et de la modernité. Totalement en marge de la société, les enfants de cette famille évoluent sainement et naturellement. C'est une famille sans complexes ni tabous qui jouit des bienfaits du calme et de l'environnement naturel. Judith, la fille aînée se distingue par son look grunge et ses tendances de rebelle : «cigarettes au bec à longueur de journée, bronzage quotidien en petite tenue et musique à fond». Quant à Marion, la cadette, c'est une fille extrêmement lucide et intelligente obsédée par la science et l'environnement. Julien, le benjamin, profite de son statut de garçon unique pour mener la vie dure à ses parents. Leur quotidien est assez banal. Judith et la maman restent à la maison tandis que Marion et Julien fréquentent l'école. Le papa travaille et quitte la maison de bonne heure à bord de sa voiture, l'une des rares concessions faites à la modernité, pour revenir tard le soir. La famille se retrouve alors. La bonne humeur est toujours au menu. Match de hockey improvisé, bain collectif dans le jardin et dîner dans les champs. Mais la vie paisible de cette famille sera vite chamboulée avec la réouverture de l'autoroute. Jusque-là, le calme faisait de cette maison un lieu idéal pour la famille, surtout pour la maman qui souffre de troubles psychologiques. Les travailleurs débarquent un soir et goudronnent la route sous les regards effarés des membres de cette petite famille originale. L'appréhension s'installe, sauf pour Judith qui est en déphasage avec sa famille. Le lendemain, les premières voitures commencent à sillonner la bande d'asphalte. Autour d'une table, la famille observe les véhicules qui passent à une vitesse fulgurante… c'est l'événement ! Mais très vite les désagréments commencent à apparaître. Le bruit est insoutenable et les enfants cessent d'aller à l'école à cause du danger de traverser l'autoroute. La maman terrifiée par ces machines trépidantes enferme ses enfants à la maison. Seule Judith échappe au contrôle et finit par quitter le domicile familial sans prévenir. La psychose s'installe au sein de la famille qui perd ses repères démolis par l'irruption cacophonique de la modernité (l'autoroute) dans son monde ouaté. La réalisatrice a su dépeindre un tableau attendrissant de ce groupe marginal qui avait la naïveté de croire qu'il pouvait vivre à l'abri du monde moderne et de cette société de consommation, prodigue et dépensière qui a atomisé l'individu, l'être, désormais transformé en numéro, indicateur… consommateur. Le rêve est rattrapé par la réalité… cela nous rappelle le mouvement hippie à l'époque de la révolution industrielle. Face au vacarme qui dérange, la famille sombre dans la déprime. La maman tente tant bien que mal de garder le rythme de vie de ses enfants. On la verra en train de réveiller Julien au plein milieu de la nuit pour faire du roller sur l'autoroute, mettre des stops-bruit à ses enfants pour qu'ils ne soient pas dérangés par le bruit des voitures. Hélas, elle ne tarde pas à se détacher de la vie et à abandonner ses tâches quotidiennes. Son époux est inquiet ainsi que ses deux enfants. Une seule solution : insonoriser la maison. Ça ne marche pas. Comme le tic-tac d'un réveil caché, la maman cherche le bruit de dehors. Le père décide de murer portes et fenêtres. La belle petite maison de campagne devient un bunker… ou plutôt un caveau. A l'intérieur, les membres de la famille suffoquent. Parfois, les enfants observent la vie extérieure à travers une petite ouverture laissée pour l'aération. Ils ne résisteront pas longtemps avant de briser les obstacles pour sortir. La maison est abandonnée. La modernité a eu le dessus.Avec Home, Ursula Meier signe un véritable plaidoyer pour la préservation de l'environnement en développant non un discours écologique mais une analyse sociologique qui montre le revers de la médaille de la modernité et du progrès technologique. Avec simplicité et des images touchantes, elle reconstruit toutes les étapes de destruction de la nature. Cette famille représente une échelle réduite de la société humaine qui, implacablement, inexorablement, subit le développement économique et industriel qui l'éloigne de son humanisme. Et la cinéaste a réussi à faire passer son message. Les spectateurs seront marqués par l'image de la famille emmurée dans sa maison d'où elle observe cette jungle qu'est le monde extérieur. W. S.