Au lendemain des élections législatives très attendues, l'Irak semble entrer dans une nouvelle bataille des groupes composant la classe politique. Une situation qui pourrait compliquer l'avenir déjà incertain du pays. Ces élections, les premières dans un contexte de départ des troupes américaines, étaient annoncées comme cruciales. Le devenir du pays en dépendait. La participation massive des Arabes sunnites, qui avaient boycotté le scrutin de 2005, donnait au vote un caractère prometteur. Les deux listes arrivées au coude-à-coude en tête du scrutin, celle de l'État de droit du Premier ministre, Nouri El Maliki, et le Bloc d'Iyad Allawi, tous deux chiites, s'accusent mutuellement. Le bras de fer entre les deux hommes est parti pour constituer une attraction majeure dans la vie politique du «nouvel» Irak. Dans la nouvelle configuration, il semble difficile au prochain Premier ministre de l'Irak d'asseoir une quelconque légitimité avec un scrutin aussi controversé. Le système électoral irakien, basé sur la proportionnelle intégrale, interdit toute majorité et impose des coalitions. La course aux alliances et autres coalitions est donc lancée. L'Alliance nationale irakienne (groupement de partis chiites) et la coalition kurde Kurdistana seront particulièrement sollicitées par les listes arrivées en tête. Au sein de l'Alliance nationale irakienne, le Conseil supérieur chiite avait été le principal artisan de l'accord entre chiites et Kurdes pour se partager le pouvoir. Or, ce bloc chiite a déçu durant ces élections, arrivant troisième. L'Irak confirme une fois de plus qu'une élection est loin de constituer le début de la pratique de la démocratie. La démobilisation des partis religieux chiites au pouvoir, considérés comme responsables de l'insécurité et de la guerre confessionnelle de 2006-2008, a suscité une forte abstention en région chiite notamment dans le sud du pays. La liste de Nouri El Maliki y est arrivée la première, notamment dans les grandes villes et même dans les villes saintes chiites Nadjaf et Karbala. Iyad Allawi se propose comme l'homme de la réconciliation. En plus du soutien des Arabes sunnites, il surfe sur le désenchantement chiite. Le vote sunnite est allé vers un chiite réputé laïc, pro-américain et hostile à l'Iran. Le Premier ministre en exercice Nouri El Maliki est resté piégé dans une position dont il essayait désespérément de sortir : celle du représentant des chiites. L'alternative d'une alliance avec la coalition des partis chiites a été pour Maliki un passage obligé. A l'image des résultats du scrutin, l'aspect communautaire est apparu dans son expression la plus flagrante. Le communautarisme contrôlé de près sous l'ère Saddam semble avoir de beaux jours devant lui en Irak. Les listes arrivées en tête ont eu beau clamer leur volonté de sortir du carcan religieux, elles sont condamnées à faire avec. Cependant, les sunnites refusent de vivre comme une minorité en Irak. Et le vote pour un chiite «laïc» sonne comme un refus du confessionnalisme considéré comme dangereux. Allawi, le retourIyad Allawi demeure une personnalité connue dans le paysage politique de l'Irak post-Saddam. Ce médecin chiite de 64 ans revient, six ans plus tard, sur le devant de la scène politique à l'occasion de ces élections législatives. Il entame ce come-back par un bras de fer avec le Premier ministre sortant Nouri El Maliki. Allawi a commencé sa vie politique au sein du parti Baath, avant de devenir un opposant déterminé à Saddam Hussein. En 2004, il est désigné premier chef de gouvernement irakien après l'invasion américaine. L'homme acquiert une réputation de personnalité à poigne. Il se veut un laïc convaincu. Allawi a récemment déclaré aux médias que sa priorité, s'il devait former le prochain gouvernement, serait de purger les forces armées et les services secrets, rongés selon lui par le confessionnalisme. Iyad Allawi a appartenu au parti Baath de 1961 à 1971 et a été un compagnon de route de Saddam Hussein, avant de se retourner contre lui et de fuir le pays pour le Liban puis la Grande-Bretagne. En mars 1991, il fonde le Mouvement de l'entente nationale avec d'anciens baathistes avec l'intention de renverser le pouvoir en place. Il fait partie des opposants utilisés par les Américains pour tenter de renverser Saddam. Avec la bénédiction de Washington, il monte un complot qui échoue en 1996. A la tête du Bloc irakien, une formation laïque, Allawi jouit aujourd'hui d'une grande popularité dans les régions sunnites. Ironie du sort, quand on se rappelle notamment qu'il a été longtemps honni par cette communauté lors de son offensive contre le bastion rebelle de Fallouja dans le triangle sunnite en juin 2004. Ainsi, Allawi remporte les législatives irakiennes avec seulement deux sièges d'avance sur le chef du gouvernement sortant, Nouri El Maliki. Ce dernier refuse de reconnaître les résultats et avertit du risque d'un retour probable de la violence à grande échelle. Le Bloc irakien de Iyad Allawi a obtenu 91 sièges contre 89 à l'Alliance pour l'Etat de droit de Maliki. L'Alliance nationale irakienne, qui rassemble des partis religieux chiites, arrive troisième avec 70 sièges alors que la liste Kurdistania des deux grands partis kurdes parvient à obtenir 43 sièges. L'Assemblée, qui compte 325 députés, sera complétée par des élus des diverses minorités. A l'évidence, le prochain Premier ministre de l'Irak doit s'attendre à de longues et difficiles tractations. Le vainqueur ne dispose pas, en effet, d'une majorité absolue pour gouverner. Seule une coalition pourrait débloquer une situation périlleuse. Le retour politique de l'ex-Premier ministre Iyad Allawi est effectif. Il a opté pendant la campagne pour une image de nationaliste transcendant les communautés. Le choix s'est avéré payant. Il a réalisé de très bons scores dans les régions sunnites et à Baghdad, tout en gagnant 12 sièges dans les régions chiites. Les électeurs des zones chiites du Sud ont préféré, eux, la continuité avec El Maliki. Ce dernier clame avoir rétabli la sécurité dans le pays dont il a pris les rênes au pire moment des violences confessionnelles. Mais les régions sunnites lui ont complètement tourné le dos en ne lui donnant aucun siège. L'avenir politique du pays risque de rester bloqué dans des considérations régionalistes et religieuses. Sept ans après la chute de Saddam Hussein et de son régime, la situation demeure peu reluisante. L'Irak de 2010 est un pays qui n'arrive pas à se débarrasser d'une violence devenue endémique. La vie politique et institutionnelle qu'on veut installer par tous les moyens a du mal à se matérialiser. Les Américains comptent retirer leurs troupes, mais ils laisseront derrière eux une armée de mercenaires et un système politique qui semble loin de permettre aux Irakiens de retrouver leur souveraineté perdue. M. B.