Correspondance particulière de Paris Hakim Hadidi Un roman troussé racontant l'histoire de deux hommes faisant ensemble un voyage en avion d'Alger vers Constantine, durant lequel ils se racontent leurs histoires personnelles et où se profile en filigrane l'histoire de l'indépendance de leur pays, l'Algérie. Le temps d'un trajet aérien, un voyage propice aux remémorations, aux réminiscences juvéniles, aux questionnements sur la destinée de ce pays meurtri au sortir de la guerre. Ainsi en quatrième de couverture, le lecteur lira : «Deux hommes se retrouvent côte à côte dans le vol Alger-Constantine. A dix mille mètres d'altitude, en un peu moins d'une heure, c'est leur destin et celui de tout un pays à travers le leur, qui va se jouer au fil de la conversation et des réminiscences. Ils sont unis par de vagues liens de parenté, par l'expérience commune et traumatisante de la guerre d'Algérie, mais aussi par le souvenir d'un été torride de leur adolescence, épisode dont jamais ils n'ont reparlé mais qui symbolise la jeunesse perdue de leur pays. C'est toute l'histoire de l'Algérie, depuis la conquête française jusqu'à l'indépendance et ses ratages- de l'enfance dorée et sensuelle aux horreurs de la torture coloniale, des luttes fratricides et du terrorisme des années 1990-, qui défile dans les Figuiers de Barbarie, emblèmes d'une Algérie sereine dont les deux protagonistes ne cessent de rêver. Avec ce texte habité de bruit et de fureur, élégiaque et épique, politique et intimiste, Rachid Boudjedra nous donne son grand roman sur l'Algérie.» Le narrateur dit : «Je n'aime pas les gens heureux. Le bonheur m'a toujours ennuyé. Omar était malheureux, c'est pourquoi je l'aimais. J'avais besoin de son malheur et de cette admiration que je lui vouais secrètement. Mes rapports avec lui étaient quand même étranges. Cela ne me ressemblait pas de profiter du malheur des autres, mais le sien, ce destin dramatique et incohérent, me fascinait car il résumait à lui seul toute l'histoire tragique de mon pays. Il émanait d'Omar, de son histoire familiale, de son refus d'être honnête et lucide faceà l'enchevêtrement des événements, une sorte de radiographie sur laquelle on pouvait lire- certes difficilement cette histoire collective, effroyable et douloureuse de l'Algérie (p.19).» C'est ainsi que l'on apprend à travers l'histoire d'Omar, toutes ces péripéties dramatiques symbolisant celles de l'Algérie et son histoire chargée et déchirante. Blessé au maquis et transféré vers un hôpital de Moscou, Omar s'éveille à lui et reçoit même la visite de sa mère Nadya, via la France, grâce aux services de la DST rendus aux services de renseignements de la Résistance. Le grand-père, Si Mostafa, propriétaire de haras, adorait le petit. Celui-ci est souvent tourneboulé par son l'histoire familiale difficile à porter. Comme une tare honteuse. Tel un opprobre. Un prélude à l'insupportable fardeau d'Omar. Le narrateur, cousin à Omar dit : «Chaque fois que je le rencontrais, Omar m'imprégnait de sa douleur. C'étaient plutôt des impressions, des sensations, quelque chose de fugitif. Tous ces stigmates accumulés par mon cousin après cette douloureuse période s'enrichissaient les uns les autres de rajouts, avec des sens cachés, se distinguant grâce à des nuances et des différences ténues, quelque peu délavées, gonflées sous l'effet de la mémoire devenue confuse à force de frôler la mort. D'un danger à l'autre, d'une perte de conscience à l'autre, elles avaient plus de consistance, étaient plus ramassées sur elles-mêmes.» Et la souffrance intérieure qui le ronge : «Omar avait un seul but dans la vie. Il tentait d'échapper à cette confusion dont il souffrait à cause de cette réalité falsifiée, de ce père collabo et de ce frère OAS. Faussée et complètement chamboulée pour une raison qui lui échappait et dont le but était de se débarrasser de ce remords qui le tenaillait non pas depuis qu'il avait compris l'histoire de sa famille mais depuis toujours. Cependant, une véritable correspondance préexistait entre les éléments divers de ce faisceau familial bourré d'intuitions, de trahisons, de lâchetés et d'héroïsmes (son grand-père et lui avaient été des patriotes intransigeants et des résistants conséquents), de fantasmes reliés intimement les uns aux autres mais capables de cesser brusquement de se contredire, de buter contre les faits entêtés, d'enfreindre toutes les lois de la paramnésie, de se surpasser, de se dédoubler, de rétrécir, etc.» (p.20-21). H. H. Les Figuiers de Barbarie de Rachid Boudjedra, éditions Grasset, mars 2010, 272 p., 17,50 euros.