De notre correspondant à Oran Samir Ould Ali Les voleurs arrêtés par des habitants alors qu'ils tentaient de visiter une maison ou d'agresser des innocents dans tel ou tel quartier ne se comptent plus à Oran. Ces «faits héroïques» se racontent dans les cafés et les lieux publics, tout à la fois, pour montrer à quel point les forces de sécurité sont dépassées par l'ampleur du phénomène et prouver que seule une réaction citoyenne peut mettre un coup de frein à un fléau qui a pris des proportions effarantes. «C'est le pays de ‘‘tag aala man tag''», affirme un Oranais pour expliquer la propension des citoyens à se faire justice avant, éventuellement, de faire appel à la police. «Le meilleur moyen de se faire respecter, de décourager les voleurs et les agresseurs est de faire payer le malfrat sur les lieux du délit, pour qu'il s'en souvienne. Après, s'il est relâché par la police, il réfléchira à deux fois avant de revenir trafiquer dans ton quartier», affirme-t-il Ce trentenaire, qui réside à Sedikia, l'un des quartiers de la zone Est d'Oran, est catégorique : «Il nous est déjà arrivé à mes voisins ou à moi d'appeler la police pour des tentatives de vol ou d'agression, mais elle n'est jamais venue. C'est pour cela que nous comptons désormais plus sur nous-mêmes.» Et c'est ainsi que, dans ce quartier, des dizaines de malfrats ont été épinglés, de nuit comme de jour, et certains ont amèrement regretté leur intention criminelle. Dans la cité Point du jour par exemple, il est arrivé qu'un voleur soit surpris par les habitants d'une maison, à deux heures du matin, caché dans les toilettes. «Après les coups qu'il a reçus cette nuit-là, ce voleur est resté étendu presque une heure sur l'asphalte où nous avions fini par le jeter. J'ai même cru qu'il était mort mais il a fini par se lever et hurler en titubant : ‘‘Je vais porter plainte, vous allez payer''. Après avoir fait quelques pas, il tomba nez à nez avec un voisin qui rentrait chez lui. Il lui demanda ce qu'il avait et, ayant appris qu'il avait tenté de cambrioler une maison, il s'acharna sur lui à coups de pieds et de poings. Il le jeta à moitié mort sur la route nationale», raconte un acteur de ce qui a failli tourner à la tragédie. Ce genre de traitement est fréquent dans ce quartier où l'on raconte qu'un voleur a été ligoté à un poteau avec du fil de fer et tabassé par le propriétaire de la villa où il s'était introduit. C'était l'hiver et le malfrat passa toute la nuit dans sa douloureuse posture… Quid de la police et de la loi ? Dans ces zones, les habitants sollicitent rarement la police, échaudés par les longues procédures judiciaires, la magnanimité de la justice et même, parfois, par la réaction des policiers eux-mêmes. «Un jour, se souvient un habitant d'une des cités oranaise, j'ai remis aux mains de la police un voleur que j'avais surpris à l'intérieur de ma maison. La réaction de l'officier était surprenante : ‘‘Pourquoi nous le ramener ? Donnez-lui une bonne tannée et il n'y reviendra plus'', m'a-t-il enjoint. J'ai protesté que je risquerais des poursuites pour coups et blessures : ‘‘Pas si vous vous y mettez à plusieurs ou si vous lui bandez les yeux. Qui ira-t-il accuser ?'' m'a-t-il rétorqué. J'étais réellement surpris mais je me dis que c'était peut-être la seule solution.» Ce que cet habitant ne voit peut-être pas (ou refuse de voir) est que ce genre d'attitude laisse la porte ouverte à toutes les dérives. Cela, beaucoup d'Oranais le soulignent et le déplorent. «Même si cela semble légitime, les citoyens n'ont pas le droit de se faire justice par eux-mêmes. Il existe des lois et des instances pour les faire respecter», entend-on dans certains milieux qui appellent à la raison. Ces mêmes milieux soulignent que la lutte contre la criminalité doit être également pensée en amont, préventivement à travers le prisme socioéconomique : pourquoi une personne irait-elle voler ou agresser son prochain ? Le chômage, la paupérisation, la corruption généralisée, la misère, la marginalisation, les divorces… y sont-ils pour quelque chose ? Des questions que beaucoup se posent sans pour autant justifier le recours à la violence. «Ce n'est pas mon problème, se rebiffe le jeune homme qui a remis le voleur à la police. Rien n'excuse qu'on vienne m'agresser ou me voler mon bien. Je sais que la situation sociale de beaucoup de gens n'est pas reluisante mais tous n'ont pas choisi le crime et beaucoup travaillent pour tenter de l'améliorer.» A Oran, en l'absence d'un cadre de vie sûr, la tendance à assurer sa propre sécurité s'impose comme la seule arme à opposer à la criminalité. Et s'il est louable que les citoyens cessent de s'enfermer à double tour pour enfin prendre une part active dans la lutte contre la délinquance, la volonté affichée de beaucoup à dédaigner le service d'ordre et à se faire justice par eux-mêmes a de quoi inquiéter. D'une part, cela confirme, comme beaucoup le pensent, que la société algérienne est malheureusement régie par la loi de la jungle et, d'autre part, nous éloigne de plus en plus de l'Etat de droit dont tous les Algériens rêvent.