Les Soudanais votent à l'occasion des premières élections multipartites en près de 24 ans. L'opération est marquée par des plaintes pour irrégularités. Il s'agit depuis dimanche d'élire le président et le Parlement soudanais, le président et le parlement du Sud-Soudan, les gouverneurs et les assemblées des Etats. Le président Omar Hassan El Béchir espère sortir renforcé d'un scrutin d'une importance capitale pour l'avenir du plus grand pays d'Afrique. La crédibilité du vote a été sérieusement entamée par le retrait des deux principaux partis hostiles au président sortant. Le scrutin se déroule sous haute sécurité. La fragile unité d'un pays longtemps déchiré par la guerre civile sera particulièrement testée. Les autorités ont annoncé le déploiement de 100 000 policiers dans le nord du pays pour protéger les bureaux de vote. Les opérations de vote se déroulent de façon chaotique. Les ex-rebelles sudistes du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) dénoncent l'ouverture tardive de certains bureaux de vote, des erreurs dans les listes électorales ou la disparition de bulletins de vote. Ils réclament la prolongation pour quatre jours du scrutin devant se clôturer aujourd'hui mardi. La commission électorale soudanaise a reconnu quelques «erreurs» logistiques assurant toutefois que l'élection se déroulait «bien». L'opposant islamiste Hassan El Tourabi a affirmé que son parti avait recensé plus d'une centaine d'irrégularités pour la seule première journée du scrutin. L'ex-président américain Jimmy Carter, dont la Fondation observe le processus électoral avec plusieurs organisations internationales est plutôt optimiste. Les16 millions d'électeurs soudanais sont appelés à donner leurs voix dans ces premières élections présidentielle, législatives et régionales multipartites depuis 1986. Le scrutin est particulièrement complexe au Sud Soudan où la population, majoritairement illettrée, doit voter 12 fois, notamment pour le président du pays, le président du Sud Soudan et leurs députés. Omar El Béchir, à la tête du pays depuis 20 ans, devrait l'emporter face à ses deux principaux rivaux, Yasser Arman et Sadek El Mahdi, ancien Premier ministre et chef du parti Umma. Ces derniers ont retiré leur candidature. Ils accusent El Béchir de fraude et estiment que les conditions pour des élections «libres et justes» ne sont pas réunies, notamment dans la région du Darfour, sous état d'urgence en raison de la guerre civile et d'une insécurité durable. Ces élections ont été plusieurs fois reportées. En 1996, un seul parti était représenté. Celles de 2000 ont été boycottées par la plupart des partis d'opposition. Le Soudan, pays le plus vaste d'Afrique, a été marqué depuis 20 ans par la violence des guerres : plus de 2 millions de morts jusqu'en 2005 dans la guerre Nord-Sud, plus de 200 000 morts au Darfour sans compter les millions de réfugiés. Janvier 2011 : risque de partition Pour les observateurs, la victoire ne saurait échapper au président en exercice. Tous les partis d'opposition sont unanimes : le parti du Congrès national d'El Béchir au pouvoir tenterait de truquer les différents scrutins. Mais l'opposition est loin de se mettre d'accord sur une riposte commune. Des superviseurs de l'Union européenne et de la Fondation Carter suivent le déroulement des opérations de vote mais l'UE a retiré les siens du Darfour. Pour le cercle de réflexion International Crisis Group, la situation est si problématique au Darfour, avec des millions de personnes déplacées qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales, que le vote dans cette seule région pourrait assurer la victoire de Béchir au niveau national. Les défenseurs soudanais des droits de l'Homme dénoncent depuis plusieurs mois «les manœuvres des autorités destinées à fausser l'issue des différents votes». Un recensement truqué, selon eux, en 2008, un découpage électoral destiné à favoriser le parti au pouvoir et l'établissement de fausses listes électorales sont des signes qui ne trompent pas. Selon Philippe Hugon, directeur de recherche à l'IRIS les lignes de fracture sont fortes entre le Nord arabo-musulman, le Sud africain, chrétien et animiste et entre les «Arabes» et les «arabisés du Darfour». Cependant, pour lui, Omar El Béchir sera sans aucun doute réélu malgré une certaine perte de légitimité liée à sa condamnation par la Cour pénale internationale. Ces élections comporteront deux enjeux majeurs : la fin de la guerre au Darfour et la cruciale relation Nord-Sud. Le président Omar El Béchir s'est engagé à redéployer une partie des ressources vers les zones les plus déshéritées et à réduire les écarts entre la région de Khartoum et les zones miséreuses de l'Ouest. «Après 7 ans de conflit entre le Tchad et le Soudan, un accord de normalisation avait eu lieu entre ces deux pays le 15 janvier 2010, prévoyant la fin des soutiens aux rebelles des deux côtés de la frontière, et un accord sur la sécurité a été signé début février.» La réélection d'El Béchir devrait consolider cette option. Le second enjeu, tout aussi important, est celui du devenir du Sud Soudan après le référendum d'autodétermination prévu en janvier 2011. Celui-ci avait été décidé lors de l'accord de paix de 2005. Bien qu'un accord ait eu lieu en décembre 2009 entre le parti au pouvoir et le Mouvement populaire de libération du Soudan, en vue des élections en cours, le mouvement d'opposition les a finalement boycottées. Tous les regards semblent dirigés vers le fameux référendum devant déboucher sur «l'indépendance». La répartition des richesses agricoles et pétrolières demeure d'une importance stratégique. Le Sud dispose de l'essentiel des ressources pétrolières du Soudan. Le gisement pétrolier de Heglig produit quotidiennement 250 000 barils de pétrole brut, soit la moitié de la production du pays. Exploité par un consortium contrôlé par la Chine, la Greater Nile Petroleum Operating Company, le site a rapporté depuis sa mise en exploitation 1,8 milliard de dollars entièrement versés au gouvernement de Khartoum malgré les protestations des autorités du Sud Soudan. Pour les Occidentaux, notamment les Etats-Unis, la priorité est qu'un référendum puisse être organisé l'an prochain sur une éventuelle indépendance du sud du pays. Cette partie à dominante chrétienne et animiste a mené pendant 22 ans, jusqu'en 2005, une lutte armée contre le Nord musulman. Le risque de partition d'un pays aussi important que le Soudan pourrait néanmoins avoir des conséquences dramatiques dans la région. Derrière ces enjeux au Sud et au Darfour se profile également la rivalité entre les grandes puissances. En sous-main, la Chine et les Etats-Unis n'arrêtent pas de jouer au Soudan un rôle non négligeable. M. B.