Correspondance particulière de Paris Hakim Hadidi Le cinéma algérien fait florès dans l'Hexagone. En effet, mardi prochain, un nouveau film du réalisateur algérien Malek Bensmaïl, la Chine est encore loin (2h), une coproduction franco-algérienne, sortira dans les salles en France. Le synopsis du film, commençant le 1er novembre 1954, raconte les péripéties d'un couple d'instituteurs français et d'un caïd algérien qui sont victimes d'une attaque meurtrière près de Ghassira, un petit village chaoui. Cet acte marque le début de la guerre pour l'indépendance de l'Algérie. 50 ans après, Malek Bensmaïl pose sa caméra dans cette région considérée comme le «berceau de la révolution» et interroge ses habitants sur leur rapport à l'histoire, à la langue, à la France… Des écoliers d'aujourd'hui aux témoins d'époque, c'est l'Algérie contemporaine qui se donne à voir, entre acceptation et révolte, entre mémoire et présent. Dans une note d'intention, le réalisateur dit que «le désir d'un film surgit souvent à partir des autres films réalisés et d'une suite de questions qui restent posées, suspendues». Pour étayer son propos, il cite l'exemple de son documentaire Aliénations durant le tournage duquel il a été confronté à l'univers de la folie. Mais pas seulement. Dans ce documentaire, Malek Bensmaïl a aussi abordé la question de l'identité et de la langue qu'il était tenté d'approfondir. «J'ai commencé à imaginer en premier lieu un projet sur la langue, comme enjeu de pouvoir et d'acculturation en Algérie, de la colonisation à nos jours. La langue, voilà le mot. La problématique de la langue en Algérie est bien visible dans l'ensemble de mes films. De tout temps, elle a été l'instrument et l'objet de controverses politiques. Toute première question de départ du projet : comment les politiques linguistiques (matières enseignées) à travers l'école s'en saisissent pour en faire un enjeu de pouvoir ? Mais voilà, cela ne doit pas être l'enjeu du film. Près d'un demi-siècle après l'indépendance, l'Algérie est vraiment loin d'avoir résolu la question lancinante de son identité : guerre des langues, bien sûr, mais aussi effondrement des idéologies, écroulement des mythes du socialisme et du nationalisme arabe, conformisme islamo-nationaliste, esprit de revanche sur la francophonie, déni des réalités historiques et culturelles. L'Algérie post-indépendante, dans la continuité de l'aliénation et de l'acculturation du peuple, a renforcé (inconsciemment ?) une autre domination sous couvert de réintégration d'une ‘‘identité arabo-musulmane''», écrit-il.Dès lors, il apparaît que la question de la langue n'est finalement qu'un élément d'un ensemble plus complexe qui est l'identité. Et le cinéaste est tenté de s'y coller. Il veut aborder la problématique de l'identité algérienne. «Dans mon questionnement obsessionnel sur la complexité de ma société et après l'ensemble de mes films, notamment Des vacances malgré tout, Algérie(s), Aliénations et le Grand jeu, la question de l'après-guerre(s) - la guerre d'Algérie et la décennie du terrorisme - reste pour moi une des préoccupations majeures dans l'accompagnement de notre mémoire audiovisuelle contemporaine. ‘‘Notre'' mémoire commune qui regroupe, indéniablement, celle des deux rives de la Méditerranée et plus particulièrement l'Algérie et la France, par l'histoire profonde qui les relient», explique M. Bensmaïl. Et puis la réminiscence, la résurgence de cette première image de cinéma «qui a fasciné l'enfant que j'étais à Constantine. Avec mon grand frère, nous avons admiré à la Cinémathèque un des chefs-d'œuvre du cinéma néoréaliste italien : le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. Probablement un déclencheur indélébile dont je garde encore l'image de ce père et de ce fils, tout autant que les espaces qu'ils traversent ensemble dans le film». Cette image s'impose et impose de fait «ce thème fortement représentatif de l'après-guerre en Italie que je transpose à ‘‘mon'' Algérie d'aujourd'hui. L'enfant n'est-il pas l'interrogateur idéal et obsédant de notre époque ? Histoire, crise d'identité, guerre d'Algérie, terrorisme, décennie noire, crise économique et sociale […]. Il s'agit là d'éléments de réflexion et de recherche du sujet du film, lisibles, visibles, transparents. Oui, mais comment raconter cette histoire-là, au présent ? Lors du tournage de mon dernier film le Grand jeu -sur la dernière campagne présidentielle en Algérie-, je me suis rendu dans beaucoup de villages à travers l'ensemble du pays. Plus de 40 000 km, de l'Est à l'Ouest, du Nord au Sud. J'ai vu un monde rural difficile et dur, j'y ai rencontré un nombre impressionnant d'enfants d'agriculteurs et d'ouvriers… Des enfants aux visages tendus par le désir d'apprendre, le désir de rencontres, visages tantôt inquiets, souvent drôles, rieurs, parfois graves. Face à ma caméra, ils m'ont dit avec leurs mots (en algérien, langue de la rue et du quotidien), le manque de moyens, le manque d'écoles, d'instituteurs, de fournitures, la difficulté aussi de se rendre à l'école, le désir d'arrêter l'école pour faire du business ou leur désir de fuir le pays… Je décide alors que ‘‘l'enfance'', l'apprentissage, et la vie de ce village seraient probablement les thèmes forts de mon prochain film documentaire. Mon pays, c'est un monde d'hommes. Il n'y a pas d'enfance à proprement parler, il y a juste une première vie. Je n'ai pas détesté être enfant en Algérie, mais l'enfance est écrasée par le dur monde des hommes».