Réminiscences d'une semaine mémorable de l'année 2000. Pendant qu'un groupe de journalistes d'Oran organisait une marche imposante à laquelle des centaines de personnes prirent part -la seule qui, à l'appel de journalistes, eut réuni autant de monde, en dehors des marches contre le terrorisme-, un éditeur de presse, en l'occurrence le directeur de publication du journal arabophone El Khabar, Ali Djerri, entouré de nombreux confrères et journalistes, haranguait une foule nombreuse sur une place d'Alger. Les deux événements tendaient vers un seul et même objectif : faire barrage à l'avant-projet de loi prévoyant le durcissement des sanctions contre les journalistes, que le chef de gouvernement de l'époque, Ahmed Ouyahia, s'apprêtait à faire adopter. Les journalistes qui vécurent ces moments-là, dont l'auteur de ces lignes, gardent le souvenir d'une presse unie et fédérée autour d'un même combat pour le libre exercice de la profession. Une lutte d'une telle nécessité que les conflits qui opposaient éditeurs et journalistes notamment sur les salaires, les conditions de travail, la Sécurité sociale... furent momentanément remisés. Dix années après, les liens qui cimentaient les éditeurs et les journalistes se sont disloqués et les deux corporations font aujourd'hui face à de graves dissensions internes (beaucoup disent qu'elles ont été provoquées) qui les empêchent d'assumer leurs tâches de défense de leurs droits et de la promotion d'une profession qui a perdu en rigueur : «En 2010, il se trouve encore des éditeurs qui préfèrent employer des rédacteurs sans expérience -qui acceptent d'être sous-payés quitte à multiplier les collaborations- plutôt que de recruter des journalistes confirmés mais qui exigeraient des salaires décents. Cela leur évite de signer des contrats de travail et de devoir assurer une couverture sociale jugée trop onéreuse. Mais, surtout, cette pratique a découragé de nombreuses compétences intéressées par le journalisme et les a poussées à une reconversion dans l'enseignement ou la communication d'entreprise, et précarisé la profession», analyse un journaliste. Et si la culpabilité de l'éditeur de presse algérien dans la détérioration de leur situation socio-économique est importante, la responsabilité des journalistes eux-mêmes est à peine moins grave, eux qui n'arrivent plus à se liguer sous une même bannière pour lutter d'une même voix. Eparpillés dans des organisations syndicales aux missions obscures ou luttant isolément avec la seule force de leur conviction, ils sont la proie facile du premier venu : du portier qui leur interdit l'accès à une institution donnée, au juge qui peut les incarcérer pour un simple délit de presse en passant par le garde du corps d'un quelconque ministre qui les empêche de couvrir sa visite dans des conditions normales, le ministre lui-même qui peut (c'est déjà arrivé) les insulter, les organisateurs du GNL16 qui les traitent avec mépris... bref, le journaliste est contraint de se battre au quotidien pour accéder à des droits que, pourtant, toutes les lois universelles lui garantissent, notamment le libre accès à «toutes les sources d'information et le droit d'enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique». En tant que travailleur, la loi lui assure «un contrat d'engagement individuel qui garantisse sa sécurité matérielle et morale, en particulier grâce à une rémunération correspondant à sa fonction, à ses responsabilités, à son rôle social, et suffisante pour assurer son indépendance économique, de conditions de travail garanties par une convention collective, y compris le droit d'avoir, sans encourir de préjudice personnel, une activité au sein d'organisations professionnelles, et une formation professionnelle et permanente adéquates». Un idéal que le journaliste algérien est encore très loin de toucher. Auparavant, il lui faudra sans doute vaincre ses propres démons. S. O. A.