Scania, Volvo, Ericson, Unitember... Plus que jamais l'Algérie intéresse les Suédois. N'entendant point se laisser devancer par leurs voisins européens, ils ont, comme leurs ancêtres les Vikings, traversé les mers pour conquérir le marché algérien. Hissé à côté du drapeau sud-coréen, l'emblème vert et rouge flotte dans le ciel de Scania. Dans cet empire du poids lourd suédois, les ambitions expansionnistes ne s'accommodent guère d'arrogance. Au contraire. Pour conquérir de nouveaux marchés, Scania s'est, à l'instar de n'importe quelle chancellerie, imposée un protocole strict. Elle a, par ailleurs, choisi la convivialité comme meilleur argument de vente. “Welcome to guest from Algeria”, décline sur un ton affable un panneau installé à l'entrée du pavillon d'honneur de la compagnie. Venus à la rencontre des journalistes hôtes Bo Ostlund et Patricia Uranga Sarazin, respectivement directeur régional chargé de l'Asie Pacifique, de l'Afrique et du Moyen- Orient et responsable du service commercial et de marketing finissent par briser la glace de ce jeudi d'octobre scandinave en souhaitant, dans un français parfait, la bienvenue aux visiteurs. Comme pour détendre davantage l'atmosphère, un soleil radieux est également au rendez-vous de cet eductour très spécial. Dans le lac qui scintille au milieu de l'immense propriété de Sodertalje — dans la banlieue de Stockholm — il réfléchit l'incontestable succès d'un homme, un modeste fabricant de vélos et de wagons qui s'est lancé à la fin du XIXe siècle dans la construction de camions et de bus. Naguère similaires à des charrettes, ses tracks, aujourd'hui devenus de véritables mastodontes, plus de 16 tonnes, sillonnent une centaine de pays. “Scania est le cinquième constructeur mondial de poids lourds et de cars. Les gros tonnages représentent 53% de son chiffre d'affaires”, soutient fièrement Bo. Avec d'autres statistiques éloquentes à l'appui, il dresse ainsi dans la pénombre d'une salle de projection les performances de son employeur. 5,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires, plus de 1 million de véhicules vendus en 100 ans, plus de 50 000 employés, des usines en Suède bien sûr, mais aussi en Pologne, en France, aux Pays-Bas, au Brésil, en Argentine et au Mexique, plus de 1 000 points de vente et 1 600 autres d'assistance… Pour le conférencier, la réussite de Scania tient surtout de l'effort investi dans la recherche. “Nous sommes jusqu'à l'heure les seuls au monde à détenir un système modulaire qui permet de fabriquer un grand nombre de modèles différents à partir d'un nombre limité de pièces”, souligne-t-il avec la même étincelle dans les yeux. Dans le vaste circuit de la compagnie, le regard vicié des visiteurs sur la carrosserie des poids lourds aux couleurs flamboyantes est tout aussi brillant. Invités à apprivoiser les colosses, certains prennent le volant pour déguster un réel moment de plaisir. “Un camion Scania est aussi maniable qu'une petite voiture”, assure un instructeur en pointant l'index vers différents systèmes de freinage révolutionnaires qui ornent le tableau de bord d'un dumper imposant. “Ils sont faciles à conduire”, soutiennent à leur tour Bo et Patricia. Ils en veulent pour preuve que 50% des routiers suédois ont un faible pour les camions Scania. En Europe et en Amérique latine, les plus grands marchés de la marque, ce modèle de gros tonnage scandinave est également très prisé. En Afrique du Nord, l'implantation très récente d'usines de montage en Tunisie et au Maroc a permis à Scania d'aiguiser ses appétits en lorgnant le marché algérien. “Pourquoi maintenant et pas avant ?” Naturellement, cette question est superflue si l'on considère que le terrorisme a muré l'Algérie pendant plus d'une décennie. Cependant par pudeur, sans doute par diplomatie, Patricia préfère évoquer l'ouverture du marché algérien aux investisseurs et cette ruée vers l'or dans laquelle Scania ne veut point être à la traîne. “Quand le business commence, il faut tâcher de ne pas arriver en dernier”, explique-t-elle sobrement. Chargée justement de prospecter le potentiel du marché algérien, notre responsable du marketing et des relations commerciales au département de l'Afrique du Nord affiche un enthousiasme certain. Hormis certains désagréments bureaucratiques, comme cette absurde histoire de cachet rond que les autorités douanières nationales ont exigé d'elle et une fâcheuse disparition de colis postaux, elle se dit réjouie de la célérité avec laquelle le projet Scania-Algérie prend forme. Retraçant son évolution, elle confiera que les premiers contacts avec des démarcheurs algériens ont été pris il y a deux ans. C'est le patron de Fruital, M. Othmani, que la compagnie suédoise choisira finalement en guise de partenaire. Il y a quelques mois, Scania participait à la Foire internationale d'Alger. En mars prochain, elle devra ouvrir son usine de montage de bus et de camions dans la capitale, assortie d'un service après-vente. “Nous comptons produire 300 à 400 unités par an”, annonce Patricia. À cet effet, une équipe de formateurs devra incessamment rallier notre pays pour familiariser les Algériens aux techniques de montage. Un show-room est également au programme de cette expédition suédoise du nouveau millénaire. Dans les temps anciens, au IXe siècle, des navigateurs scandinaves, les Normands, plus communément appelés les Vikings, avaient jadis rallié à bord de leurs embarcations de bois les côtes algériennes. L'histoire dit qu'ils avaient servi d'intermédiaires entre les musulmans et les chrétiens. La légende raconte qu'ils avaient légué aux populations locales le don de saler le poisson et de le fumer. Plus de onze siècles se sont écoulés depuis. Pour cause d'indigence de la Grande Bleue, le poisson fumé, tout comme le poisson frais d'ailleurs a presque disparu de nos mœurs culinaires. Plus personne ne connaît les origines de cette recette. De la Suède, on n'en connaît pas davantage. Pourtant, outre-mer, dans ce petit royaume pris en tenailles entre la Baltique et l'océan Atlantique, l'esprit conquérant des Vikings ne s'est jamais éteint. Peu à peu rétablie de son mal, l'Algérie constitue de nouveau un port d'amarre attrayant pour les descendants des illustres Normands. “L'Algérie est très intéressante maintenant”, clame Thomas Thursson, directeur du département du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord chez Volvo Car Corporation. Dans le siège central du constructeur à Göteborg, la pluie abondante qui cingle les vitres ne semble point l'importuner. Sur un ton résolu, parfois saccadé, il décline les principes leitmotive de l'entreprise : sécurité, qualité et préservation de l'environnement. C'est en tenant compte de ces trois impératifs que Volvo a consolidé sa force et son prestige, insiste Thomas. Lui emboîtant le pas, Lars Freme, directeur du département de l'Europe de l'Ouest met l'accent sur la longévité des véhicules de la marque, plus de vingt ans d'âge. Volvo, c'est du solide ! trahit ainsi le visage serein de nos hôtes. À la fois notre traducteur et notre guide dans les alcôves du génie suédois de l'automobile, Lars Freme balaye d'une main le vaste empire, plusieurs hectares où fleurissent chaque année près d'un demi-million de voitures de luxe. De renommée mondiale, le site constitue aujourd'hui un détour incontournable pour les touristes. En effet, si Göteborg est connue pour son port, ses musées, elle est aussi célèbre grâce à Volvo. D'ailleurs, un train a été expressément aménagé pour les visiteurs afin de les transporter dans les immenses ateliers de construction et de montage. Le complexe abrite également un musée qui détient dans une sorte d'écrin l'histoire de la marque. On y trouve d'authentiques joyaux, des voitures les plus rutilantes aux plus fantaisistes. C'est en 1927 que le premier véhicule Volvo a vu le jour. En 1959, le constructeur crée la ceinture de sécurité à trois points à l'avant. En 1987, il franchit un nouveau pas en mettant au point le système de l'airbag. Ce sont là bien évidemment autant d'inventions fabuleuses qui rehaussent sa stature. Cependant, Volvo face aux défis de la mondialisation a besoin d'un partenaire pour préserver et consolider sa place sur le marché de l'automobile. C'est dans cette optique qu'il s'alliera en 1999 à l'américain Ford. Ce mariage est d'autant plus réconfortant que les Etats-Unis constituent le plus grand marché pour la compagnie, plus de 160 000 véhicules vendus chaque année, soit beaucoup plus que le nombre de voitures — 131 000 — commercialisées en Suède, en Allemagne et en Grande-Bretagne réunies. Dans prés d'une centaine d'autres pays, à l'instar des Pays-Bas, du Canada et du Japon, la marque s'est également taillée une place appréciable. Dans ses visées d'expansion, elle s'est aujourd'hui fixée de nouveaux horizons, l'Algérie en est un. “On a pendant longtemps prospecté le marché algérien. Il est évident qu'il regorge d'un énorme potentiel”, révèle Thomas Thuresson, le spécialiste de l'Afrique du Nord. Chez Volvo aussi, la pudeur veut que l'on n'évoque point le terrorisme pour justifier la rejet pendant longtemps de toute opportunité d'investissement en Algérie. C'est l'installation des rivaux dans le pays qui est surtout avancée comme argument à ce regain d'intérêt. “Nous allons concurrencer les entreprises comme Mercedes et BMW investies dans le même créneau que le nôtre”, se contente d'affirmer Thomas. Tentant de rattraper le temps perdu et de gagner rapidement du terrain, Volvo s'apprête à ouvrir au cours de l'année 2003 un bureau de concessionnaire à Alger. Implanté en bordure de l'autoroute ouest, à quelques pas de Mercedes, il sera rehaussé d'un service après-vente. Au mois d'avril, le constructeur envisage à son tour d'organiser un show-room. Il y exposera l'un de ses prestigieux modèles : la berline S 40. Dans un premier temps, Volvo compte commercialiser 250 véhicules par an en Algérie. “Nous préférons commencer lentement pour connaître l'impact de notre produit.” En se réinstallant à Alger puis à Tlemcen après quelques années d'absence forcée, Ericsson apprécie plus que ses compatriotes les trésors que recèle le marché algérien. Au cœur de ce géant de la téléphonie à Stockholm, Par Altan, directeur de la communication chargé des marchés européens, du Moyen-Orient et de l'Afrique, ne se lasse pas d'énumérer les records de l'entreprise, comme pour consolider davantage sa position de leader dans notre pays. Numéro un de la téléphonie fixe et mobile dans le monde, précurseur de nouveaux modèles, Ericsson est présent dans 140 pays. Près de 1 demi-milliard d'individus utilisent ses équipements de téléphone fixe. Dans le secteur de la téléphonie mobile, il a vendu le GSM à 180 opérateurs. Près de 100 millions d'abonnés dans le monde en sont pourvus. Le plus grand nombre est concentré en Europe de l'Ouest, mais le célèbre fournisseur n'en est pas pour autant rassasié. Il nourrit de grandes ambitions à l'égard des marchés d'outre-Méditerranée. “En Afrique, 2 sur 900 millions d'habitants seulement sont abonnés au téléphone fixe. Pour nous, c'est encore un terrain vierge”, dit-il en se frottant les mains. Entrevoyant dans le continent noir une véritable opportunité à l'extension de sa toile, Ericsson ne dissimule pas ses ambitions. Dans le cas de l'Algérie par exemple, il affiche ouvertement son désir de prendre en charge la modernisation totale du réseau du téléphone fixe. Il n'exclut pas par ailleurs de proposer ses services au troisième bénéficiaire de la licence GSM. Ainsi, loin des cercles officiels encore timorés et réticents, l'investissement privé prend son envol. Est-ce de l'aventurisme ou de l'audace ? Responsable de la politique commerciale au sein de la fédération des industriels suédois, une organisation similaire au Medef français, Hans Ekdahl lie l'indifférence de son institution à l'égard de l'Algérie à plusieurs motifs dissuasifs. Sur le plan économique, la lourdeur du système bureaucratique et la déstructuration de l'appareil de production sont, selon lui, de nature à rabrouer n'importe quelle initiative. Au chapitre politique, l'image de notre pays dominée par la violence est tout aussi désarmante. “Les Suédois sont habitués à la stabilité. Ils ont peur des situations conflictuelles”, soutient notre hôte. Celui-ci citera en outre le défaut de langue et la distance comme entraves au rapprochement. Enfin, les tiraillements entre les pays du Maghreb sont à ses yeux un autre facteur de répulsion. “L'Europe a vécu mille ans de guerre, mais a fini par tourner la page et promouvoir les relations d'entente et de coopération. Pourquoi pas vous !”, demande-t-il la mine circonspecte. À l'Institut suédois, une sorte d'académie qui entretient la mémoire du pays, l'Algérie semble là aussi être un territoire tantôt inconnu, tantôt incompris. “J'ai visité une cinquantaine de pays arabes mais pas l'Algérie”, confie le docteur Thomas Lundén, directeur régional. Dans son esprit, seule la vague réminiscence d'un séjour de médecins algériens en Suède, il y a plusieurs années. Il se souvient aussi que leurs confrères scandinaves se sont à leur tour rendus en Algérie. “Maintenant, plus personne n'ose y aller à cause du terrorisme”, est-il contraint de reconnaître, désolé. Au ministère des Affaires étrangères, la sous-secrétaire d'Etat chargée de l'Afrique du Nord semble aussi nostalgique des temps révolus où l'Algérie était encore terre d'hospitalité. “Savez-vous qu'un consulat suédois y a ouvert ses portes au XVIIIe siècle ?”, dit-elle impressionnée. Emue, elle évoquera ensuite l'amitié de l'ancien Premier ministre Olof Palme pour notre pays. Attristé, elle regrettera enfin que le terrorisme ait empêché les contacts entre les deux pays. Une seule fois, ces liens ont été renoués à l'occasion d'un atelier de poterie et de céramique. Sinon pour le reste, le constat est navrant. La valeur des investissements suédois en Algérie représente jusqu'à l'heure actuelle à peine 50 millions de dollars, soit dix fois moins que le chiffre d'affaires de Scania. Aussi, faut-il aujourd'hui compter sur cette dernière, sur Volvo, Ericsson, Detra Pack et beaucoup d'autres pour redonner vie à l'axe Alger-Stockholm. De toutes les sociétés prestigieuses suédoises, une seule, faut-il le reconnaître, n'a jamais largué les amarres. Il s'agit de Unitember AB, spécialisée dans l'exportation du bois vers l'Algérie. Présente depuis vingt ans dans notre pays, elle n'a jamais pensé à le quitter. Pour cause, le marché algérien absorbe 50% de son produit. De l'aventurisme, de l'audace ou tout simplement l'appât du gain ? C'est en tout état de cause de bonne guerre, une guerre du profit sur la route du bois. Jadis, furent les Vikings. S. L.