Plus que toutes les ignominies commises du fait de 132 ans de colonisation, les massacres du 8 mai 1945 en Algérie, à l'évidence, resteront pour tout le temps que les évènements les inviteront à l'évocation, voire au débat la mauvaise conscience de la France. Côté algérien, cette blessure que n'estompera certainement pas le temps est, toutefois, susceptible de cicatrisation pour peu que le pouvoir français fasse pénitence. Ce qui, bien entendu, en raison des enjeux politiciens internes est des plus improbables. Et, tant qu'elle n'aura pas été tournée, cette page pèsera subséquemment sur les relations entre les deux pays, voire servira de fonds de commerce à des nostalgiques de l'Algérie française et, partant, à une droite qui se ressource allègrement et sans pudeur depuis quelques années au registre inquiétant d'idéologies, lesquels, de fait, ont contribué à un regain de la montée fasciste sous ses divers aspects sur l'ensemble du territoire français. Et c'est au cours de manifestations de nostalgiques comme celle de Toulon ou de Nice que Nicolas Sarkozy n'a eu cesse d'affirmer qu'il n'était nullement question pour son pays de parler de repentance et encore moins «de rougir de notre histoire… la France n'a pas commis de génocide… nous pouvons être fiers de notre pays… le drame algérien, la mode de la repentance ont contribué à nous rendre étrangers à ce qui avait été si longtemps et si naturellement un prolongement de nous-mêmes» (sic). Nicolas Sarkozy, alors encore ministre de l'Intérieur, discourait en tant que candidat à l'Elysée et se devait donc de brasser large, notamment dans les milieux de la droite et, surtout, d'extrême-droite. Les deux villes en constituant la mesure étalon. Dans les relations mi-figue, mi-raisin parce que trop souvent adaptées sur la conjoncture et calquées sur des intérêts ponctuels et des attitudes souvent incohérentes de part et d'autre des politiques, voire des politiciens, il reste malheureusement peu de place aux historiens d'un bord et de l'autre de la Méditerranée de dire la vérité sur le sujet alors qu'ils en sont partiellement détenteurs. Cela, malgré les grandes résolutions prises, au cours de fugaces périodes de détente, par les pouvoirs successifs de donner du temps au temps, prendre un recul suffisant et se reposer le cas échéant sur les conclusions des historiens. Or, l'Etat français cultive le malin plaisir de souffler le chaud et le froid sur la question de la colonisation et tous les évènements qui ont été annexes de 1830 et l'extermination ethnique entamée en Algérie jusqu'aux exactions de l'OAS en passant par les massacres du 8 mai 45 et du 20 août 55. Ainsi, Paris se dit à chaque fois irrité des propos tenus par le président Abdelaziz Bouteflika ou l'un des ministres du gouvernement, et pourrait-il en être autrement d'un discours ou de manifestations publiques qui commémorent à juste titre un crime génocidaire tout en demeurant le meilleur moyen d'éviter les risques d'amnésie collective. Les pouvoirs français de ces dix dernières années et plus particulièrement depuis 2007, sans nul doute au nom de la «rupture», ont à chaque fois eu pour réaction de monter en épingle une adresse officielle du président de la République au peuple, des activités de membres de gouvernement ou des déclarations d'élus de la nation. En décembre 2007 à Constantine, le président français disait : «Je ne suis pas venu nier le passé… Les fautes et les crimes du passé sont impardonnables… Il reste en Algérie 28 000 anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale qui se sont battus pour la libération de la France et envers qui la France à une dette éternelle. La France n'oubliera jamais ce que les Algériens ont fait pour sa libération». Des combattants dont le nazisme n'a pas eu raison et que la France qu'ils ont libérée s'est chargée d'exterminer. A contrario, le candidat Sarkozy déclarera lors du même meeting de Toulon : «A tous ceux d'entre vous qui sont revenus de colonies en ayant tout abandonné, n'emportant avec eux que leurs souvenirs de jeunesse et cette nostalgie qui ne les quittera plus jamais, je veux dire que si la France à une dette morale, c'est d'abord envers eux.» Est-il donc possible avec une aussi forte ambiguïté dans le discours officiel de croire un jour que la France reconnaîtra les crimes commis en Algérie ? A. L.