Photo : Zoheïr De notre envoyé spécial à M'sila Abderrahmane Semmar C'est par une route qui serpente entre les prés et les piémonts d'une région à laquelle la végétation luxuriante confère une beauté ensorcelante que nous sommes arrivés à Beni Ilmane et Melouza. Ces deux localités, situées à 70 km de M'sila, connues jusque-là pour leur extrême pauvreté sont sorties de l'anonymat, une fois de plus, depuis que le séisme violent de vendredi dernier a sévi dans cette région. Il fallait donc que Dame Nature assène un tremblement de terre d'une amplitude de 5,2 sur l'échelle de Richter pour que les pouvoirs publics se rappellent l'existence de ces bourgs qui vivent depuis longtemps en marge de la modernité. Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur, dit-on d'habitude dans ces douars des Hauts Plateaux. Cette devise a longtemps prévalu dans les esprits des habitants de cette région frappée de paupérisation. Mais le récent séisme qui a endeuillé cette contrée oubliée par nos technocrates a fini par anéantir tous les espoirs d'une vie meilleure. Pis, cette catastrophe a suscité parmi ces milliers de sinistrés une colère infinie contre l'Etat et ses multiples institutions. Le déficit criant de l'assistance publique lors de cette catastrophe a provoqué une désillusion indescriptible chez les plus jeunes des habitants d'Ounougha, nouvelle appellation de Melouza, et de Beni Ilmane. Une désillusion qui risque malheureusement de nourrir une vague de violences. Pour preuve, la visite, dimanche dernier, du ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, Nourredine Moussa, dans cet obscur territoire de la wilaya de M'sila a coïncidé avec un mouvement de protestation organisé par les victimes du séisme. Ces sinistrés, déçus par la réaction des autorités publiques face à cette catastrophe, ont crié de toutes leurs forces leur exaspération devant les lenteurs des aides et des secours. D'une voix commune, ils se sont attroupés autour de la mairie de Beni Ilmane, dont les murs et façades sont gravement fissurés, pour demander au ministre de constater de visu l'ampleur des dégâts dans leur région. Des promesses de logement pour apaiser la population Pour calmer cette colère, Nourredine Moussa, qui s'est rendu en compagnie des autorités locales civiles et militaires dans les communes de Beni Ilmane et de Ounougha, a promis de tout faire pour accélérer l'opération de distribution des aides qui vont affluer des différents secteurs locaux et même des autres wilayas. Le ministre a même déclaré que des logements seront attribués aux citoyens dont les habitations ont été touchées par le séisme, selon le taux de dommages. Pour leur part, les autorités locales estiment que les opérations seront menées avec rigueur et que les aides seront distribuées aux vraies personnes touchées par cette catastrophe. A la wilaya de M'sila, on promet même un quota de logements ruraux pour éradiquer l'habitat précaire dans la région.Mais de tous ces discours, les habitants des cités les plus affectées dans la commune d'Ouanougha, à l'image des cités Ouled Meslem, Sidi Aïssa, Gaoua, Ehl El Oued, n'en voient sur le terrain aucune concrétisation. Autrement dit, chaque jour depuis le séisme de vendredi, les sinistrés se retrouvent en proie aux privations et la vie dans la rue est une galère. A l'heure où la région continue d'enregistrer pas moins de 27 secousses en 24 heures, les sinistrés qui ont perdu leurs demeures n'ont trouvé aucun refuge, mis à part les trottoirs des rues, lesquels accueillent désormais des camps de fortune. Le panorama qui s'offre d'ailleurs aux visiteurs de la région, chaque matinée, est dans ce sens traumatisant. A longueur de rue, des centaines de personnes emmitouflées dans leurs couvertures étalent leur misère sur les routes communales. Supportant des températures glaciales, ces sinistrés n'ont pas eu la chance de bénéficier d'une tente. Celle-ci est devenue à Melouza une perle rare pour laquelle tout le monde est prêt à se battre. La tente, seul espoir de survie puisque les secousses successives ont fini par abîmer des centaines de maisonnettes, est devenue dès lors un objet précieux et rare. «Personne d'entre nous n'est prêt à retourner chez lui. Nous avons peur que les toits ou les murs s'effondrent sur nos enfants. Nous n'avons donc nulle part où aller. La rue est notre ultime refuge et le dernier des abris pour nos familles», confie Mohamed, le regard sombre, le visage raviné de rides et les mains tremblantes de peur, de froid et d'angoisse. «Comment ne pas être angoissés lorsque le peu que nous possédons est détruit par les forces de la nature ?» Telle est en tout cas la réalité dans laquelle se réveillent chaque jour les habitants du douar de Melouza où les «one, two, three, viva l'Algérie» sont tagués sur tous les murs comme si toute la population tenait à dédier un poème à son pays. Mais en amour, la réciprocité est souvent aux abonnés absents. Cela, les habitants de Melouza l'ont appris à leurs dépens dans ce malheur qui les tourmente en ce moment. Et pour cause, jusqu'à aujourd'hui, très peu de tentes, de nourriture et de couvertures sont arrivées dans la région. «Dieu merci, les Algériens sont solidaires entre eux. Nos compatriotes sont venus de loin pour nous prêter main-forte et nous permettre de résister à notre malheur. Mais de la part des autorités, nous n'avons même pas eu une baguette de pain», racontent, les yeux larmoyants, une foule de citoyens que nous avons rencontrés en train de faire la queue devant le stade communal où les tentes et des aides sont censées être distribuées aux nécessiteux. Quadrillé par une brigade de gendarmerie, ce stade attire vers lui toutes les âmes souffrantes d'Ouanougha. Des bagarres éclatent de temps à autre et les forts écrasent souvent les faibles lorsque des aides sont distribuées dans une anarchie affligeante. Dans ce contexte chaotique, le président de l'APC d'Ouanougha a présenté sa démission pour contester la gestion incohérente de la commission technique chargée de superviser les opérations de secours et de distribution des aides. «On fait tout pour réduire la gravité de cette catastrophe» A quelques encablures de Melouza, à 7 km plus précisément, Beni Ilmane s'échine tant bien que mal à sauvegarder ce qu'il reste de son tissu urbain. Du siège de la mairie aux maisonnettes des familles nombreuses qui résident dans les quartiers populaires de Hai Djebel et de Hai Djelfa, en passant par les mosquées et les écoles, les ruines couvrent la totalité de la commune. A ce propos, tout le monde s'accorde à dire qu'on n'en finira pas encore de compter les dégâts causés par le tremblement de terre qui a secoué la région nord-ouest de cette région de M'sila. Et si le dernier bilan établi par les autorités locales fait état de l'effondrement de 185 maisons alors que 95 autres vont être démolies, la population, elle, estime qu'au moins 400 maisons se sont effondrées. «Les chiffres avancés jusque-là sont mensongers. Les ingénieurs du CTC n'ont pas encore sillonné toutes les zones touchées. De nombreuses maisons n'ont pas encore été recensées. On fait tout pour réduire la gravité de cette catastrophe. C'est injuste», clame haut et fort B. Belkacem, président de l'association locale Casbah Solidarité qui compte interpeller toutes les autorités compétentes sur cette volonté apparente d'étouffer la tragédie de Beni Ilmane. Notre interlocuteur nous a d'ailleurs fait visiter les maisons de cette ville qui ont résisté aux secousses, mais qui sont visiblement désertées par leurs habitants lesquels, profondément choqués par le drame, pleurent encore leurs victimes. «Nous avons tout perdu. La maison ne s'est peut-être pas effondrée complètement, mais les murs à l'intérieur sont tous lézardés, les toits ont subi de grandes fissures. A chaque secousse, la maison tremble. Nous sommes maintenant à 25 sous une tente», raconte une vieille femme qui n'a pu retenir ses larmes. Eclatant en sanglots, elle éprouve beaucoup plus de peine pour son fils que pour elle-même. «Il comptait se marier cet été. Pour cela, il avait construit une maisonnette en toub. Celle-ci n'a pas tenu et il a désormais tout perdu», s'écrie-t-elle. Ahmed, son fils, fait de son mieux pour la calmer, mais il finit, lui aussi, par céder au chagrin. «Ce séisme est la volonté de Dieu et nous l'acceptons avec beaucoup de foi. Mais ce qui fait le plus mal, c'est l'indifférence de l'Etat qui, jusqu'à l'heure, n'a même pas mis à notre disposition un nombre suffisant de tentes», tonne-t-il.A Hai Djebel, un paysage de désolation obscurcit l'horizon. La totalité des habitations de ce quartier populaire ont été touchées par la secousse et ses répliques. En effet, selon le recensement des habitants, plus de 275 familles ont perdu leurs propres maisons. Par ailleurs, selon une source locale, les ingénieurs du CTC, qui ont déjà établi plus de 2 500 fiches et expertisé à ce jour près de 1 900 constructions, ont déterminé 184 habitations à évacuer (type rouge 5), le reste devant faire l'objet d'une réhabilitation selon le degré des dommages (types vert 1 et 2 et orange 3 et 4). Cela explique pourquoi des centaines de familles préfèrent affronter les affres de la nuit à la belle étoile. Certaines de ces familles sinistrées ont été réduites à construire avec des bottes de foin des refuges de fortune. C'est le cas de la famille Chihi. Composée de 6 enfants orphelins, cette famille trouve à peine de quoi se nourrir. Quant aux tentes, personne des autorités locales n'a daigné leur accorder cet équipement pour les mettre à l'abri des dangers.Et pourtant, on annonce que 1 080 tentes ont été envoyées pour les sinistrés des communes d'Ouanougha et de Beni Ilmane, sans compter la distribution de kits alimentaires. Toutefois, sur place, on ne recense que 581 tentes distribuées. Où sont donc toutes ces aides promises ? Le wali de M'sila qui a tenu à Beni Ilmane une réunion en présence des représentants des différents services techniques ainsi que des membres des conseils des communes de Ounougha et de Beni Ilmane, assure que l'accent a été mis sur l'impératif de mobiliser les moyens nécessaires pour venir en aide aux populations touchées par le séisme. Face à cette profusion de discours, personne ne sait qui croire. En tout cas, sur le terrain, la colère bat son plein. Dimanche dernier, un grand nombre des habitants de Beni Ilmane ont tenté de fermer le siège de l'APC suite aux déclarations du maire à la radio locale, selon lesquelles il n'y pas eu de dégâts dans sa commune alors que les services de la polyclinique de la commune avaient enregistré 409 cas de personnes choquées, 60 blessés à des degrés différents, plusieurs avec des fractures au niveau du bassin, huit cas d'avortement et deux cas d'accouchement compliqué dus au choc.Cinq jours après le séisme de Ounougha et de Beni Ilmane, des centaines de familles vivent sans toit, dans des camions ou des véhicules. Le plus élémentaire manque aujourd'hui encore à cette région sinistrée. Dans plusieurs quartiers de Beni Ilmane, une vingtaine de familles sont entassées dans deux tentes et n'ont pas reçu le ravitaillement nécessaire ni de soins médicaux. Malheureusement, une fois encore, nos autorités ont fait preuve d'un laisser-aller, d'un amateurisme et d'une désorganisation qui n'honorent guère notre pays en des circonstances aussi tragiques.