Les représentations en lice pour le grand prix de la compétition du Festival du théâtre professionnel d'Alger (FNTP) se sont poursuivies mercredi et jeudi derniers sur les planches du Théâtre national algérien (TNA) avec l'entrée en lice des théâtres régionaux de Béjaïa et d'Oran. Le constat est un sentiment mitigé. Même si les thématiques abordées par les deux pièces sont d'une actualité brûlante et l'interprétation des comédiens correcte dans l'ensemble, on relèvera un certain manque de rigueur dans la mise en scène.Ainsi, mercredi dernier, le Théâtre régional de Malek Bouguermouh Béjaïa a présenté R'djal ya h'lalef, adapté et mis en scène par Omar Fetmouche d'après le texte original Rhinocéros d'Eugène Ionesco. Cette pièce se veut un hommage au grand dramaturge Malek Bouguermouh, en restant fidèle à la mise en scène de la pièce qu'il avait réalisée juste avant sa tragique disparition il y a une vingtaine d'années. Omar Fetmouche a tenté de rafraîchir l'œuvre en y introduisant le chant et la danse. R'djal ya h'lalef aborde la thématique de la corruption et de l'hypocrisie sociale, intellectuelle et religieuse. Des tares qui vont gangrener toute une société jusqu'à transformer la majorité de ses membres en véritables porcs au sens propre et au sens figuré des termes. Mais certains individus, à l'instar d'un jeune cadre blasé mais incorruptible, refusent de se soumettre à la dictature du «haloufisme» et réussissent à renverser cette nouvelle dictature après une émeute populaire. Interprétée par plus d'une dizaine de comédiens, accompagnés par quatre danseurs qui ont ponctué la représentation de leur chorégraphie, la pièce a fait rire le public par les répliques désopilantes sur la dégradation de la société et le burlesque de certaines situations. Voulant être trop fidèle à la mise en scène initiale de Malek Bouguermouh, Fetmouche est tombé dans le panneau d'un concept anachronique qui desservait la pièce.Concernant la scénographie, même si des efforts sont visibles dans la conception d'un décor mobile et fonctionnel et dans l'utilisation du son et de la lumière en tant qu'élément scénique, une certaine discordance était perceptible et le passage des scènes absurdes aux scènes fantastiques se faisait avec un certain grincement du rythme de la pièce. Concernant l'interprétation des comédiens, la différence dans le niveau d'interprétation se faisait sentir sur scène et le comédien qui interprétait le rôle de l'intellectuel, militant démocrate corrompu, n'a pas été à la hauteur de son rôle, trébuchant sur ses tirades et malmenant son personnage. En fait, R'djal ya h'lalef est un spectacle distrayant qui fait réfléchir sur les tares de la société, mais qui a besoin d'être sérieusement peaufiné.Quant à la représentation du Théâtre régional Abdelkader Alloula d'Oran, qui s'est déroulée jeudi soir au TNA, avec la présentation de la Fenêtre mise en scène par Abbas Mohamed Islam, elle a abordé un sujet brûlant d'actualité, celui de l'engagement pour une cause légitime au-delà de sa nationalité et de sa religion.Dans un style respectant les canons du théâtre classique, le public est invité dans le salon de Clara St Pierre, dont l'immense fenêtre, représentée avec réalisme sur scène, donne sur une prison. Suite à un accident de voiture, la jolie jeune femme est clouée dans ce salon, et la fenêtre devient sa source de distraction. Elle se lie aussi de plus en plus d'amitié avec Djamel, interprété par Mohamed Yabdri, qui lui rend des visites de courtoisie pour alléger sa solitude. Au fil des jours, une idylle chaste et sincère se noue entre eux, au milieu des échos de la guerre de libération et des exactions de l'armée coloniale. Au final, Djamel se révélera être un militant de la cause nationale qui avait au départ séduit Claire pour utiliser la fenêtre de son salon à la planification de l'évasion de ses frères d'armes. Mais lui aussi est tombé sincèrement amoureux d'elle. Lorsque Clara apprend la vérité, elle se sent trahie, mais réalise ensuite la légitimité du combat de Djamel pour la liberté de son pays, quitte à sacrifier leur amour. Sans faillir, elle aidera Djamel à échapper à la police, en pointant elle-même une arme contre ceux qui sont venus l'arrêter dans son salon. Cette pièce est un louable hommage à tous les humanistes qui se sont sacrifiés pour de justes causes même si, au départ, cela ne les concernait pas. Interprétée par Taous Claire Khazem, Clara, le personnage central de la pièce, a été bien incarnée tant au niveau de l'expression corporelle que de l'émotion qui se dégageait du visage. Mais il est à souligner qu'au début sa voix était inaudible et le tract se faisait sentir. Ce n'est qu'après quelques scènes que la comédienne se ressaisit et maîtrise mieux ses techniques vocales. Il faut saluer la prestation des autres comédiens qui ont évolué sur scène, à l'instar de Fadila Hachemaoui, de Brahim Hachemaoui et de Samir Bouannani. La représentation a été, certes, émouvante, mais la mise en scène, tirait parfois en longueur, cassant le rythme. Au final, les deux pièce ont encore besoin d'un sérieux rodage dans l'intérêt d'une plus large diffusion. S. A.