Au fur et à mesure que la mondialisation devient de plus en plus complexe aux plans économique, financier, des règlements douaniers et des délocalisations d'usines ou d'industries entières, le Maghreb et le monde peinent à trouver de grands accords stratégiques sur le long terme. Si ces ensembles partent toujours en ordre dispersé, chacun cherchant, trouvant ou pas de puissants protecteurs et des débouchés en Europe, au plan culturel, les constats sont consternants. Réfugiés dans des rites religieux, souvent très contradictoires, pratiquant des «accents» linguistiques presque sectaires qui facilitent des enfermements suicidaires, ces pays dans leurs maigres productions culturelles ne visent, chacun de son côté, que le marché local, fermé aux autres «frères», censés partager la même langue qui, à la fin, n'est plus que le seul élément, historique, qu'ils ont en partage, transmis par la révélation coranique. Le grand cinéaste algérien, qui n'a plus fait de film de fiction depuis la Dernière Image, vient de recevoir le prix «Doha, capitale de la culture arabe». La forte symbolique, celle qui témoigne de l'impuissance des régimes arabes en matière de culture, est que le prix en question a été décerné à… Paris. Non pas qu'il faille faire jouer une quelconque fibre nationaliste qui serait commune aux Arabes en stigmatisant une très grande capitale culturelle (Paris), mais il s'agit plutôt de trouver un ou des échos au cri de M. Lakhdar Hamina qui, et il a bien raison, réside dans la capitale française. Et il se trouve, et ce n'est pas le fait du hasard ou bien du rejet de leur patrie ou de leur culture, que depuis toujours les créateurs arabes, lorsqu'ils le peuvent, trouvent refuge dans l'Hexagone. Lorsqu'un artiste arabe est censuré, persécuté pour ses idées, empêché de s'exprimer et de créer, il choisit Paris ou une capitale européenne plutôt qu'un pays arabe qui ressemble étrangement à celui qu'il fuit. Lorsqu'il le peut. C'est pour cela que l'appel de M. Lakhdar Hamina n'aura pas d'écho chez les dirigeants arabes qui se méfient maladivement de la culture, de l'image, du verbe qui ne portent, n'ont de sens et d'écoute que s'ils sont contestataires, critiques, sinon iconoclastes et irrévérencieux. Peut-on imaginer les guignols de Canal + ou les équivalents des humoristes européens dans un pays arabe ? Que nenni ! Que souhaite M. Lakhdar Hamina ? Des choses simples sur d'autres continents, faisables dans chaque pays arabe dans l'intérêt propre de la culture, de son épanouissement et de son rayonnement en dehors du périmètre et du marché arabes, trop petits, trop fermés et qui ne rapportent rien aux plans économique, symbolique, politique, ni aux peuples, ni aux gouvernants. Le cinéaste voudrait «sortir de cette vision, de ce regard misérabiliste pour la salubrité de nos écrans. Nous ne manquons pas de grands écrivains, de dramaturges, de musiciens, de comédiens, de narrateurs, de sociologues. Ce n'est pas seulement l'avenir du cinéma qui est en jeu, mais celui de toutes les filières créatrices qui doivent aboutir à une image authentique et fière de l'homme arabe». Amen, M. Lakhdar Hamina ! La fierté d'une appartenance à une nation, à une culture est l'ambition première que doivent faire cultiver les dirigeants arabes dans le cœur et l'esprit de la jeunesse, au sein de la société entière. Les meilleurs conducteurs et les liants incontournables pour cela, ce sont les créateurs, les artistes, les intellectuels qui ne doivent pas connaître les brimades, les censures et les morsures mortelles de l'exil, du silence, du suicide symbolique. Les gouvernants arabes sont-ils prêts ou aptes à libérer l'expression, l'image, le poète, le libre penseur, la différence, la création sans rivages ? Rien n'est moins sûr. L'appel de M. Lakhdar Hamina n'aura pas d'écho, à commencer dans son propre pays où les intellectuels, les universitaires doivent dorénavant obtenir une «autorisation de sortie» pour participer à des colloques et rencontres à l'étranger «lorsque les intérêts ou la politique étrangère du pays sont concernés». A la recherche sans cesse des «traîtres» ou de «la main de l'étranger», les dirigeants arabes n'entendront pas un cinéaste. Mais ils font mourir de rire ceux qui leur vendent des armes, des voitures, des films, des avions et même des sèche-cheveux et des poêles à frire. A. B.