De notre correspondant à constantine A. Lemili La dinanderie, un métier artisanal traditionnel qui fait la réputation de Constantine. Les gens du métier, il y a une quarantaine d'années, n'étaient pas nombreux même s'ils donnaient l'impression du contraire. La cité n'avait pas alors l'aspect tentaculaire qu'elle a aujourd'hui et toutes les professions manuelles requérant virtuosité, adresse et créativité étaient exercées seulement par une poignée de personnes et en général perpétuées de génération en génération dans le cadre du legs familial direct et/ou parental.Le nec plus ultra des articles de dinanderie s'est toujours fait dans ce qui est qualifié de nombril de la ville, en l'occurrence la place de Sidi Djeliss, qui est d'ailleurs une véritable place aux vocations commerciales multiples réglées comme une chorégraphie à travers ses souks quotidiens et seulement matinaux. Le quartier de Bardo accueillait, à son tour, une brochette de dinandiers et leurs rares apprentis et constituait en général un prolongement de ce qui se faisait au sein de la vieille ville. L'artère commerciale du R'cif, une venelle entre de nombreuses autres, de Rahbet Essouf était en ce qui la concerne l'endroit par excellence où était commercialisé le produit.Tous les lieux évoqués étaient connus par la considérable concentration des Constantinois mais aussi des visiteurs ponctuels. Leur convergence avait le même but : acheter le nécessaire et l'essentiel. Plus l'alimentaire que l'accessoire. L'article de dinanderie ne demeurant qu'un élément secondaire du Constantinois ordinaire et n'était acquis qu'à l'orée d'un événement précis notamment les fêtes de mariages en ce sens qu'il constituait une partie non négligeable de la dote de la mariée, non pas en termes d'investissement mais plutôt de respect de la tradition. Il relevait donc à l'époque pratiquement de l'hérésie pour une famille de ne pas disposer d'une panoplie d'articles de dinanderie chez soi. Mais il est vrai que les conditions de vie et le mode de vie de tous les jours imposaient cela. Les Constantinois, exception faite de quelques familles, ne vivaient pas dans des appartements. Il était rare sinon impossible qu'un nouveau couple quitte le cocon patriarcal après son union.Ce sont en quelque sorte ces comportements, ces traditions qui, une fois l'indépendance acquise, ont été extériorisés sous diverses formes, autrement dit par ceux parmi les Français et les Juifs qui ont quitté le pays au lendemain de l'indépendance, à travers les écrits d'auteurs anonymes ou de romanciers et écrivains parmi les plus célèbres, les journalistes, les notes de carnet de voyage de simples visiteurs ayant transité par la ville des ponts. Il était alors plus qu'inévitable qu'une fois l'indépendance arrachée, la dinanderie ne deviendrait par la force des choses qu'un produit exotique comme pourraient l'être la datte, le tapis, le couscous, la robe, le chèche, la poterie en d'autres régions du pays et qui en font leur particularité. Par voie de conséquence, les articles de dinanderie ne constituaient pas une folie quotidienne et en l'absence d'une forte demande, voire d'une demande seulement, les artisans prenaient tout leur temps pour produire et réaliser un travail raffiné parce que méthodique d'une part, mais aussi par respect du métier, d'autre part. Ce n'est plus le cas, et l'usinage quasi industriel d'aujourd'hui n'intéresse plus que ceux qui veulent prendre le plus court chemin pour faire un cadeau à de nouveaux mariés et très souvent pour n'importe quelle occasion. Multipliée, la demande induit ipso facto des moyens de fabrication adaptés, d'où l'émergence d'équipements sophistiqués fournissant des articles comme un pâtissier fournirait des petits pains au chocolat, délestant dans la foulée tout caractère artisanal et artistique de l'objet. Bien entendu, à partir de ce no man's land, des artisans se sont préfabriqué une réputation et monopolisent de fait le marché après avoir mis en place un circuit de commercialisation spécialement destiné aux visiteurs, touristes, institutions et établissements étrangers installés dans la région grâce à des relais et à des niveaux divers d'intervention de la chaîne concernée. Ce sont d'ailleurs ces mêmes acteurs (dinandiers) incontournables qui sont la cible des médias étrangers à la recherche d'images exotiques, documentaires (notamment les organes publics comme France Télévisions) pour leurs organes. Or, il s'agit parfois d'une véritable tromperie sur la marchandise et de publicité mensongère, au sens où les vrais gens du métier n'exercent plus.