Photo : A. Lemili De notre correspondant à Constantine A. Lemili Ce ne sont pas uniquement les vieux métiers qui se perdent à Constantine mais tous les métiers. Il suffirait de se déplacer vers la cité des artisans du Polygone ou encore celle dite de la cité Meskine sur les hauteurs de la ville pour saisir toute l'ampleur de la décadence de métiers censés rattacher le présent au passé et être une passerelle vers le futur. Djamel A., artiste/artisan de l'activité du cuivre, qui lui permet de survivre, et protecteur bénévole de la nature et des vestiges historico-culturels, au sujet desquels il passe le plus clair de son temps à traquer et sauver sur les lieux que des parvenus consacrent leur temps à bétonner, a justement quitté les lieux «parce qu'ils abritaient tout sauf les gens de la corporation. Cela est simple ; je vous donne un exemple édifiant. La Cité des artisans, où 250 locaux étaient destinés, à l'origine, aux artisans. Au départ, leur attribution était sujette à caution, parce qu'il suffisait d'avoir des relais à la Chambre des arts et métiers, la commune et la direction du registre du commerce pour en bénéficier. Il suffisait, pour une personne qui n'avait aucune relation avec un quelconque métier, de s'adjoindre un jeune homme formé dans un CFPA… enfin, formé est, très franchement, un très grand mot pour obtenir un quitus et accéder au local». Où se situerait alors le problème ? La réponse est constatable de visu. Il suffirait de se rendre sur place pour remarquer qu'en fait d'artisans, qui se comptent très exactement sur les doigts d'une main, (cinq personnes ayant d'authentiques métiers), le reste est devenu fast-food, dépôt de stockage de journaux invendus, vidéothèque et, pis, des lieux de débauche et des débits clandestins de boissons alcoolisées. Alors que, depuis près de vingt ans, aucune décision n'a été prise les concernant, il y a quelques semaines, les pouvoirs publics se sont décidés à réagir en procédant à des démolitions de certains espaces, dont ceux de vrais gens du métier qui avaient des difficultés à s'acquitter de certaines charges. Une opération qui confirme ce dicton qui dit que «les chemins de l'enfer sont parfois pavés de bonnes intentions». Bien entendu, l'administration a été sourde aux explications de certains artisans de bonne foi mais en difficulté financière ponctuellement en raison de l'absence de commandes et de plan de charge. «Ce qui n'est pas le cas de tout le monde», enchaînera notre interlocuteur : «La dinanderie, en ne vous citant que ce métier, est une de ces activités sur laquelle pourrait se constituer une fortune ; il suffirait pour cela de rogner sur la quantité et surtout la teneur du cuivre pour gagner sur la matière et bien gagner sa vie. Or, en raison des traditions locales, nos compatriotes, très portés sur ce type d'accessoires, ne font pas la différence, achètent au prix fixé en réalité une camelote scintillante qui perd et ses couleurs et sa qualité une fois au contact de l'air libre. Il en est de même pour la couture, les clients qui se présentent sur place ignorent qu'une fois partis, leur commande est acheminée vers un tailleur du centre-ville (Rahbet el djmal) puis sous-traitée sur place avec les détails fournis par le client, lequel éprouve des difficultés à la récupérer, en raison de la surcharge de travail dudit tailleur.» «Les responsables de la Chambre des arts et métiers ont pris l'initiative de créer une école de formation aux métiers payante. Sauf que cette école n'a rien formé ou forme d'une manière bancale tous ceux qui ont eu la naïveté de s'y inscrire. D'ailleurs, sa directrice a rendu son tablier quelques temps après, en raison de dysfonctionnements, pour ne pas dire de mauvaise gestion… volontaire», nous expliquera une artisane-couturière. Nous ne sommes pas parvenus à confirmer l'information mais, selon une autre personne du métier, aujourd'hui en procès contre la CAM «pour renouvellement de la chambre issu de pratiques frauduleuses, les filles et garçons inscrits pour une formation en pâtisserie ou couture payaient 1 500 DA/mensuels sans bénéficier d'un réel apprentissage». A ce sujet, Djamal A. précisera encore : «Certains de mes collègues ont été conviés à enseigner à titre gracieux. Ils ont refusé non pas parce qu'ils ne sont pas payés mais plus parce qu'il ne s'agit que d'esbrouffe visant à les faire mousser à titre personnel et conforter leur situation et étoffer le déroulement de leur carrière». Rappelons que, lors d'une de ses visites à Constantine, le président de la République, connaissant la réputation de berceau des métiers traditionnels de la ville historique, avait instruit le wali pour la création d'une filière «arts et métiers anciens» au sein des CFPA. Ce qui fut fait non sans euphorie mais tout de suite abandonné parce que les instituts payaient chichement et avec beaucoup de retard les enseignants, alors que ceux-ci voyaient d'un mauvais œil l'intrusion de nouvelles filières qui leur faisaient de l'ombre et enseignées par des personnes réputées… incultes. La Tribune a évoqué dans ses colonnes les déboires de M. Boudida, maître-luthier poussé à quitter le CFPA parce qu'il y avait installé de nouvelles mœurs d'enseignement. Alors quand les pouvoirs publics affirment livrer dans quatorze mois la maison des arts et métiers, il serait légitime de se demander dans quel but lorsque l'on sait que les deux cités artisanales sont livrées à toutes les déprédations. Et la question la plus plausible est la suivante : une maison des arts et métiers ? oui, mais pour qui et pour quoi faire et de quoi la meubler ? Par des objets de métier évidemment !