Photo : A .Lemil Entretien réalisé par notre envoyé spécial à Jijel A. Lemili La Tribune : Que pourriez-vous nous dire du port de Djendjen dix-huit ans après son entrée en exploitation ? Mohamed Atmane : D'abord que sa réputation s'est établie le jour même où il est entré en exploitation. Ensuite qu'il n'a pas arrêté de focaliser l'attention et de polariser l'intérêt compte tenu de l'importance grandissante du volume de son trafic après un démarrage quelque peu timide. A titre d'exemple, nous vous dirons qu'au cours des années (1992 à 98) qui ont suivi son ouverture, ce trafic s'établissait entre 300 et 350 000 tonnes/an. Et rien que pour vous imager son importance, nous ferons savoir que rien que pour le mois de mai 2010, celui-ci a été de l'ordre de 250 000 tonnes. Autrement dit, un volume proche de celui annuel des exercices précédemment évoqués. Il doit y avoir forcément des arguments ? Evidemment. En 1999, un prêt de 30 millions de dollars a été contracté auprès de la Banque africaine ; il nous a permis d'acquérir des équipements nautiques : 2 remorqueurs (puissance 3000 CV), des canots d'amarrage et divers appareils d'appoint. Comme nous nous sommes également dotés de matériel de manutention : 3 grues, 2 portiques à céréales, 12 chariots-élévateurs de différents tonnages (4 à 38 tonnes) ; ces derniers servent au traitement de conteneurs. Ces équipements étaient de pointe et adaptés à long terme aux activités ponctuelles et éventuellement à venir selon l'extension des installations et la diversification des prestations. Dès lors, le traitement du trafic se faisait dans des délais rapides et de meilleures conditions autant de travail que de préservation des équipements. Peut-on avoir une idée de l'évolution du trafic par rapport à ces dotations ? Bien sûr, c'est assez simple, nous vous dirons qu'en 2008, le trafic portuaire était de 2 119 000 tonnes et en 2009 de 2 166 000, ce qui représente une augmentation de 2%. Elle pourrait paraître peu significative, mais il s'agit d'un bond qu'il faut remettre dans son contexte par rapport aux années 1990 en ce sens que l'évolution exponentielle est palpable. Je reviens d'ailleurs sur le chiffre de 250 000 tonnes pour le seul mois de mai passé. Ce qui n'est pas des plus négligeables. La mesure gouvernementale relative à l'affectation, entre autres, du trafic véhicules au port de Djendjen, depuis octobre passé, a vraisemblablement eu une bonne part d'influence dans cette expansion… Sans conteste. Cette mesure a formidablement boosté le trafic et l'effet onde de choc induit a bien évidemment rejailli sur l'ensemble du développement socioéconomique local. Le déchargement de véhicules, au-delà d'avoir ajouté du volume à la masse de travail quotidienne, a permis la présence grandissante de navires et donc de jauge brute (mesure de capacité de transport d'un navire donné). Nous en fournissons les arguments. En 2008 : 234 navires ont mouillé au port et 380 en 2009, soit 62% d'augmentation. Mais le volume de jauge brut demeure le référent en matière de santé de trafic. Là, le taux d'augmentation est phénoménal : 107% ou une jauge brut de 2 142 000 tonneaux de JB pour 2008 et 4 425 000 pour 2009. Cela s'explique et vous explique l'importance du trafic lié au déchargement des véhicules. Cela est dû à l'affectation de cars-carriers et leur volume très important au port de Djendjen. Dans tout cela, le chiffre d'affaires s'est forcément démultiplié ? Forcément ! Cela coule de source. Pour l'année 2008, les activités du port ont permis un chiffre d'affaires de 123 milliards de centimes et 183 en 2009… Autrement dit, 49% de plus. A titre comparatif, le trafic portuaire entre le premier semestre 2009 (1 069 000 tonnes) et 2010 (1 431 000) permet de déduire que cette année sera encore bonne puisque le taux d'augmentation est déjà arrivé à 34%. Nous tenons à souligner que pour nous, 2009 avait été considérée comme vraiment exceptionnelle. La même embellie s'est produite pour le nombre de navires, les deux semestres comparés : 182 navires pour 2009 et 352 pour 2010 et un taux de 93% d'augmentation. Et nous insistons toutefois sur le traitement, sur la même période, de tonneaux de jauge brut de l'ordre de 1,277 million en 2009 et 7,122. Ce qui est, vous en convenez, phénoménal parce qu'il s'agit d'une évolution de 558%. C'est littéralement une explosion des activités portuaires et le chiffre d'affaires le confirme à nouveau avec 77 milliards de centimes (2009) et 173 pour 2010 et une augmentation de 124%. La raison principale ? C'est tout simplement le traitement des cars-carriers. Un constat s'impose : l'activité ne cesse de prendre de l'ampleur dites-vous, et c'est tant mieux, mais une saturation est-elle envisageable ? On ne peut anticiper une éventuelle saturation. Du moins pas encore, dans la mesure où le port dispose encore d'espaces. Il ne faut pas occulter le fait que le port de Djendjen dispose de 105 hectares de terre-plein. Seulement, une partie n'est pas revêtue, et il faut le dire, un terre-plein qui n'est pas revêtu perd de son essence pour la simple raison qu'il s'agit d'un espace non exploité. Nous avons donc fait usage du quai sud qui devait servir au projet de sidérurgie, c'est tout de même un espace de 1,60 km avec des tirants d'eau (partie immergée variable du bateau selon la charge. Dans ce cas de figure, il constitue un avantage pour les navires qui accostent à Djendjen) de 18,20 qui n'est pas totalement revêtu. Cette partie est éventuellement laissée pour des concessions. Nous dirons donc que seulement 8 hectares sont utilisés et il faut rendre hommage au wali qui en a programmé le revêtement. N'y a-t-il pas justement un risque de saturation qui commence à prendre forme ? Nous n'en sommes pas encore là, mais il y a sans doute des prémices notamment avec l'arrivage massif des pipes, des cargaisons de bois, le rond à béton. Les signes possibles d'une saturation peuvent être ressentis ou se ressentent un peu plus depuis la mesure concernant le déchargement des véhicules. Pourrait-on justement connaître l'importance dimensionnelle ou spatiale que revêt l'accueil des véhicules ? A l'orée de l'entrée en vigueur de la mesure, le 1er octobre passé, nous avions réservé 10 hectares de terre-plein pour la réception des véhicules et sommes passés depuis à 20, et l'ensemble de cet espace est actuellement occupé. Il faut souligner que nous avons en moyenne et en permanence 10 000 véhicules entreposés sur terre-plein. Est-il alors besoin de dire que nous accueillons beaucoup de cars-carriers, parfois trois à quatre simultanément. Ce qui n'est pas sans générer une sorte d'engorgement. En fait, nous nous sommes arrangés pour qu'une telle situation ne devienne pas une règle et ne conduise le port de Djendjen aux travers qui, quelque part, ont fait les déboires de celui d'Alger. Pour cela, toutes les démarches administratives possibles ont été facilitées aux concessionnaires pour l'enlèvement de leurs quotas. Seulement, ces derniers ne disposent pas des moyens pour le faire compte tenu de leur raréfaction. L'absence d'un espace dans la wilaya de Jijel pour servir de lieu intermédiaire de stockage contraint les concessionnaires de les récupérer pour les entreposer dans les leurs (espaces). Ce qui est peu évident. Ils demeurent donc ici, les concessionnaires s'acquittant des droits de redevance. Sauf que la question ne se pose au plan financier, mais surtout sur le risque de saturation précédemment évoqué, et plus particulièrement d'avoir des navires en rade et de devoir faire face à des surestaries qui saigneraient le Trésor public. Quoiqu'il en soit, nos partenaires en ce sens sont régulièrement sensibilisés sur le sujet et jusqu'à aujourd'hui, le problème ne s'est pas réellement posé compte tenu de l'effort et du répondant consenti par les concessionnaires pour s'acquitter de leurs engagements. Nous sommes donc rarement confrontés à une attente de navires en rade ou à quai. Sinon, la solution trouvée à l'engorgement du port d'Alger n'aura finalement servi à rien. Pouvons-nous avoir une idée, dans le détail, sur l'importance du trafic véhicules et le nombre auquel le port peut faire face à l'occasion ? Les cars-carriers arrivent avec parfois 300 véhicules, et entre lourds et légers jusqu'à 6 000. Les services portuaires ont souvent été confrontés à l'accueil d'un car-carrier transportant plus de 6 000 véhicules. Ce qui, avouez-le, ne risque pas de rendre les choses faciles dès lors qu'il s'agit de trouver les espaces d'entreposage. Jusqu'à ce jour (15 juillet, ndlr), nos services ont eu à traiter 143 000 véhicules ou sinon 200 navires cars-carriers depuis le lancement de l'opération en octobre. Et d'une manière générale, l'influence de cette expansion est-elle palpable sur le plan développement économique local comme l'emploi à titre d'exemple ? Evidemment. Les ressources humaines ont été les premiers à suivre cette évolution. Nous revenons donc aux comparaisons. En 2009, nous disposions de 499 agents (254 permanents – 245 contractuels), nous en sommes actuellement à 617 (303 permanents – 314 contractuels). Toutes les dispositions ont été prises pour répondre «présent » à la mesure gouvernementale et faire en sorte que le personnel soit qualifié pour cette nouvelle vocation du port. Nous avons donc procédé non seulement au recrutement de candidats, mais pris en charge une formation interne spécifique à l'activité à laquelle ils sont destinés. Quant aux cadences de travail, nous sommes pratiquement sur les standards internationaux (182 véhicules déchargés/jour). Ceci étant, ce ne sont pas seulement les emplois au niveau du port qui constitueraient la différence, mais aussi l'influence d'activités annexes telles que les commerces (restauration, hébergement). Les jeunes de la région titulaires d'un permis de conduire sont régulièrement sollicités, contre rétribution conséquente, pour l'acheminement vers la capitale notamment des véhicules neufs par certains concessionnaires. En conclusion, tout semble «baigner» ? Un point noir malgré tout. Le déchargement des engins de travaux publics nous pénalise trop souvent dans la mesure où ils sont l'objet de pannes et nous mettent franchement en difficulté pour les faire démarrer. Leur déplacement physiquement demande beaucoup de temps, d'efforts et les travailleurs y laissent non seulement toute leur énergie, mais enregistrent énormément de retard dans l'avancement des opérations de déchargement.