Les arrestations, inculpations et comparutions de soldats se succèdent au pays d'Erdogan. L''armée turque, une institution qui se veut la garante de la laïcité, face au pouvoir depuis 2002, est au centre d'une bourrasque politique sans précédent. Généraux ou amiraux d'active ou de réserve, colonels ou militaires de rangs subalternes, l'offensive judiciaire semble ne plus avoir de limite dans un pays qui fait montre d'une maturité démocratique remarquée. L'enquête ouverte en février sur une tentative de renversement du gouvernement, en 2003, n'a pas encore révélé tous les tenants et les aboutissants. Parallèlement à cette procédure, pas moins de 290 personnes ont été inculpées dans le cadre des différentes enquêtes sur le réseau dit Ergenekon. Ce réseau est accusé d'avoir voulu semer le chaos pour favoriser un putsch contre le gouvernement turc actuel. Plus de cent prévenus, dont des généraux, journalistes ou chefs de la pègre, sont écroués dans l'enquête Ergenekon. L'enquête a été entamée en 2007 et marquée par la découverte d'armes, ce qui a durci les procédures et provoqué des polémiques à foison en Turquie. Des procès et enquêtes rattachés ou connexes sont toujours en cours dans l'affaire Ergenekon, achevant de compliquer l'écheveau. Ainsi, un officier de la marine, Dursun Ciçek, est actuellement jugé par un tribunal civil et devait l'être par un tribunal militaire, pour avoir rédigé un «plan d'action contre les forces réactionnaires». La référence au gouvernement en place et le parti au pouvoir, considéré comme «islamiste», est à peine voilée. Concernant les 196 inculpations, elles sont le résultat d'une enquête ouverte en février, avec une vague spectaculaire d'arrestations de militaires. Le suspect numéro un est le général à la retraite Cetin Dogan, ancien chef de la Première armée, basée à Istanbul, où le complot aurait été fomenté peu après l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP). Plus de 30 militaires en activité ou à la retraite figurent parmi les inculpés. Pour sa défense, le général Dogan affirme qu'il ne s'agissait que d'un «scénario académique» envisagé par les militaires, en cas de conflit avec la Grèce et non d'un complot contre le gouvernement. Ces enquêtes et procès sont très controversés en Turquie. Les partisans du gouvernement en place et les opposants se livrent une guerre froide par médias interposés. L'opposition dénonce une «dérive» du gouvernement en place par sa volonté présumée de se rapprocher des pays arabes et de l'Iran. Des centres influents au sein de l'armée turc, se voulant les garants du système séculier de la Turquie d'Atatürk, mènent une lutte sourde depuis des années contre les partis dits de la mouvance islamiste. Pour certains observateurs, l'AKP, aujourd'hui au pouvoir, solde ses comptes avec l'armée. M. B.