Les 14 magistrats qui composent le conseil de la Cour internationale de justice ont été chargés de rendre un avis sur la légalité de la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo. Celui-ci devrait tourner autour des deux grands principes qui fondent la Charte des Nations unies : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, mis en avant par les Kosovars, et le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des Etats, défendu par Belgrade. Pristina a essayé de faire valoir que le Kosovo constituait une entité fédérée de l'ancienne Yougoslavie, et avait donc le droit à la sécession, au même titre que toutes les républiques qui ont succédé à la défunte Fédération. Pour sa part, Belgrade met en avant la résolution 1 244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui reconnaît explicitement la souveraineté serbe sur le Kosovo, en plus du risque de précédent que le cas du Kosovo pourrait représenter pour toutes les revendications sécessionnistes à travers le monde.Dans le cadre de l'avis consultatif daté du 22 juillet, la CIJ, principal organe judiciaire des Nations unies, a considéré la déclaration d'indépendance du Kosovo, proclamée le 17 février 2008, et n'avait pas violé le droit international général. «La Cour a conclu […] que l'adoption de la déclaration d'indépendance du 17 février 2008 n'a violé ni le droit international général, ni la résolution 1244 de 1999 du Conseil de sécurité, ni le cadre constitutionnel», a déclaré Hisashi Owada, le président de la CIJ, au palais de la Paix de La Haye. Réactions contradictoires prévisibles La première réaction est celle de la Serbie qui n'a jamais reconnu la proclamation unilatérale d'indépendance d'un territoire riche en monastères et en églises, auquel elle accorde une valeur historique. En juin 1389, a eu lieu à proximité de Pristina la bataille de Kosovo Polié («Le Champ des merles») considéré comme l'acte fondateur de la nation serbe. Même si l'armée de Lazare, une province de l'actuelle Serbie, fut défaite par celle du sultan ottoman Mourad Ier, la région est restée un symbole de la résistance orthodoxe. Mais de quels recours disposent réellement les Serbes face à cette décision consultative ? Le quotidien serbe Blic affirme que de nouvelles négociations au sein de l'ONU seront d'autant plus difficiles «que les Etats-Unis ont annoncé que cette décision était une confirmation de l'indépendance du Kosovo». El Pais souligne enfin qu'«une crise du gouvernement de coalition [serbe] n'est pas à exclure», rendant encore plus difficiles de nouvelles tractations avec Pristina. De nouvelles procédures à l'ONU «semblent en péril, voire condamnées», juge aussi The Economist. Belgrade avait obtenu en octobre 2008 de l'Assemblée générale de l'ONU qu'elle saisisse la CIJ, principal organe judiciaire de l'ONU, sur la légalité de la proclamation d'indépendance du Kosovo du 17 février 2008. Par ailleurs, l'Europe a demandé à la Serbie de ne pas passer à l'offensive diplomatique, sous peine de voir bloquer son processus d'intégration. Jusqu'à présent, 69 pays, dont les Etats-Unis et 22 des 27 pays de l'Union européenne, ont reconnu l'indépendance du Kosovo. Les États-Unis, soutien des Kosovars, ont immédiatement demandé à l'Europe de «se ranger» derrière la décision de la Cour internationale de justice. Pour eux, la question du précédent juridique et de ses conséquences politiques ne se pose pas. D'ailleurs, ils se basent sur les déclarations de la CIJ qui a tenu à préciser qu'elle «n'est pas tenue […] de prendre parti sur le point de savoir si le droit international conférait au Kosovo un droit positif de déclarer unilatéralement son indépendance», a déclaré le président de la CIJ. Selon Owada, la CIJ devait uniquement déterminer si la déclaration d'indépendance du Kosovo avait violé le droit international. «Le Kosovo ne constitue pas un précédent pour tout autre cas» d'aspiration séparatiste, a également affirmé Fatmir Sejdiu, président du Kosovo.La Russie, la Chine, l'Inde et plusieurs autres puissances se sont opposés à cette démarche, la qualifiant de violation de la résolution 1 244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui proclame l'intégrité territoriale de la Serbie. L'Azerbaïdjan reconnaît l'intégrité territoriale de la Serbie et continue à respecter cette position. Une prise de position totalement logique vue la question du Nagorny Karabach. A ce propos, les négociations sur le règlement du problème de cette région détachée d'Azerbaïdjan, peuplée généralement d'Arméniens, se poursuivent, menées dans le cadre de l'OSCE. L'Union européenne, quant à elle est divisée. Cinq États (Espagne, Slovaquie, Roumanie, Grèce et Chypre) refusent de reconnaître la souveraineté du Kosovo. Les autres se sont rangés derrière les Etats-Unis. Le président de la Slovaquie, Ivan Gasparovic, a demandé que ce pays persiste et ne reconnaisse pas l'indépendance du Kosovo. La Slovaquie devrait persister et ne pas reconnaître l'indépendance du Kosovo car les accords et les droits internationaux devraient être respectés, a déclaré Gasparovic. Le gouvernement espagnol a quasi immédiatement indiqué, qu'il maintenait sa position sur le Kosovo, continuant à ne pas reconnaître son indépendance, après l'avis de la Cour internationale de Justice (CIJ). Même son de cloche du côté de la Roumanie qui campe sur ses positions. Tout en réitérant son attachement envers le droit international et le respect envers la CIJ, Bucarest estime que la Cour s'est prononcée uniquement sur la «légalité de la déclaration d'indépendance et non pas sur ses conséquences juridiques», à savoir la «création d'un nouvel Etat présumé». Pays voisin de la Serbie et majoritairement orthodoxe comme elle, la Roumanie a refusé de reconnaître le Kosovo indépendant. Le lendemain de la proclamation de l'indépendance du Kosovo, le président Traian Basescu avait dénoncé un «acte illégal». Conséquence envisagée : un précédent Au niveau de l'Unité africaine, les deux tiers des membres n'ont pas reconnu le Kosovo. Mais Belgrade redoute les pressions que les pays occidentaux, favorables à l'indépendance, exerceront sur leurs alliés africains. Selon la Serbie, près de 45 Etats qui n'ont pas encore reconnu le Kosovo seraient «tangents». Le président de Slovaquie, Ivan Gasparovic, a indiqué que la décision de la CIJ avait créé un précédent pour les séparatistes dans d'autres pays aussi. Au niveau de la mer Noire, et au sud du Caucase, les conflits postsoviétiques minent la souveraineté des Etats. Les séparatistes, sécessionnistes de Taïwan, du Xinjiang, du Somaliland au Sri Lanka, verront certainement dans la décision de la CIJ une «jurisprudence». Pour l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud, l'avis positif de la Cour internationale de justice confirme le droit à l'autodétermination des régions séparatistes de Géorgie, a jugé le président abkhaze Sergueï Bagapch. Défendant son principal allié et soutien, il a ajouté que cette décision montrait que «la position de la Russie, qui a reconnu la première l'indépendance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, était parfaitement juste», a ajouté Bagapch. Il a estimé que l'avis rendu par la CIJ allait contribuer à la reconnaissance de l'indépendance des deux territoires géorgiens par d'autres pays, notamment en Amérique latine à la suite du Nicaragua et du Venezuela.En 2008, la déclaration unilatérale d'indépendance avait déjà inspiré la Transnistrie, territoire sécessionniste de Moldavie, où une coalition politique avançait déjà une revendication identique. A Erevan, au lendemain de sa victoire contestée à la présidentielle, Serge Sarkissian estimait le précédent kosovar favorable à la cause arménienne. Autrement dit celle du Haut-Karabakh, d'où il est originaire, bastion séparatiste au sein de l'Azerbaïdjan, passé sous contrôle arménien en 1994, au terme d'affrontements meurtriers.Le Canada avait pris son temps avant d'entériner la naissance de la république kosovare. A peine l'avait-il fait que les souverainistes québécois, minoritaires, comme l'a prouvé le référendum de 1995, exigeaient le même traitement pour la «Belle Province».Si la Russie pousse l'indépendantisme abkhaze et ossète, elle craint que le problème se pose sur son propre territoire et à divers points de ce dernier. En plus du Caucase nord, la question peut se poser aussi sur le front ouest. Selon Isabelle Facon, aux confins extrême-orientaux, en Carélie ou à Kaliningrad, les carences du pouvoir central poussent les régions à intensifier leurs échanges avec la Chine. «Dans l'esprit des officiels russes, la perte territoriale est une menace, à plus ou moins long terme». C'est d'ailleurs la présence de zones à risque qui freine Moscou dans la mise en œuvre des représailles annoncées en riposte à l'indépendance du Kosovo.Diplomate et professeur à la Faculté des sciences politiques, Predrag Simic, a constaté que le droit international était entré après l'avis consultatif de la CIJ dans une nouvelle époque qui aura une grande importance pour l'avenir des relations internationales. Ladite décision aura des conséquences non seulement pour la Serbie et la région des Balkans, mais aussi pour de nombreuses situations semblables. Selon lui, cette décision a remis en question l'autorité de l'ONU. D'autre part, a souligné Simic doté d'une double casquette politique et juridique, le processus du règlement de la question du Kosovo-Métochie est renvoyé du terrain juridique au terrain politique car le principal débat sur cette question aura lieu en septembre prochain lorsque commencera la session annuelle de l'Assemblée générale de l'ONU.De son côté, le professeur du droit international Vojin Dimitrijevic a, lui aussi, constaté que de nombreux mouvements séparatistes seraient stimulés par l'évaluation de la Cour, tout en précisant que l'avenir de ces mouvements dépendait de leur propre succès. Selon lui, le Conseil des juges a évité de se prononcer sur les controverses relatives à la priorité de l'autodétermination par rapport à l'intégrité territoriale, de même qu'il ne s'est pas penché sur les critères permettant à un peuple de décider de son autodétermination. Aussi, conclut l'analyste politique Sasa Gajic, l'évaluation de la CIJ sur la légalité de l'indépendance unilatéralement proclamée du Kosovo est une conclusion litigieuse qui témoigne d'une grande influence politique sur le Conseil des juges qui a examiné cette question. Gajic est d'avis que le monde entre dans une nouvelle situation dans les relations internationales car on a créé la possibilité que l'effet de dominos du séparatisme apparaisse dans d'autres régions du monde. Des Européens en ligne de mire En droite ligne de cette analyse, relevons les réactions en Espagne sur l'avenir de la Catalogne. En Catalogne du sud, Joan Puigcercós, président du parti indépendantiste Gauche Républicaine de Catalogne, qui partage le pouvoir territorial avec le Parti des Socialistes de Catalogne, a jugé que ce processus signifie une éventuelle indépendance de la Catalogne et respecterait pleinement la légalité internationale. Selon Puigcercós, le cas du Kosovo, séparé unilatéralement de la Serbie en février 2008, augmente la «couverture juridique» d'un possible État catalan au niveau mondial. Moins ostentatoire, le parti centriste Convergence Démocratique de la Catalogne (CDC), probablement vainqueur des élections sud-Catalanes, prévues en octobre ou en novembre, juge «logique» la décision de la CIJ. Quant au parti de Jordi Pujol et Artur Mas, il demande explicitement au gouvernement espagnol de «reconnaître définitivement» l'État Kosovar, tout en indiquant que les situations de la Catalogne et du Kosovo sont complètement différentes. La décision de la CIJ est d'autant plus problématique qu'un virage indépendantiste a été amorcé ces derniers mois par la Catalogne du sud. Selon un sondage de l'Institut Noxa, 47% des personnes interrogées sont favorables à la création d'un Etat catalan, contre 37% s'y opposant. Cette étonnante popularité de l'indépendantisme catalan, la plus forte jamais enregistrée, est accentuée par l'échec du statut d'autonomie catalan de 2005, approuvé en Catalogne mais amoindri par Madrid dans ses prérogatives. A l'approche des élections catalanes, dont la victoire est pressentie pour la coalition de centre-droit Convergence et Union (CiU), cette sympathie pour une Catalogne indépendante ébranle les états-majors politiques. En fait, devenu décisif, l'électorat souverainiste est convoité par les partis majoritaires (CiU, le Parti des Socialistes de Catalogne fédéraliste). En privé, le président de CiU, Artur Mas, avoue être favorable à l'indépendance de la Catalogne, mais sa coalition est plus prudente. Plus surprenante est la réaction déclenchée en France. Ainsi, le débat sur une éventuelle région catalane, détachée du Languedoc, a-t-il refait surface dans les projets du parti Unitat Catalana (UC). Siégeant à la Mairie de Perpignan, il suggère des référendums locaux intitulés «La Catalogne Nord décide». Cette initiative se veut une réplique de la vague de consultations populaires lancée en septembre 2009 en Catalogne du sud, sur l'indépendance du territoire. Dans un contexte radicalement différent, la modeste formation politique souhaite proposer ex abrupto la création d'une nouvelle entité territoriale «à statut particulier» au sein de la République Française, en anticipation de la réforme des collectivités, qui «affaiblira la puissance du Département au profit d'une région avec laquelle nous n'avons aucun lien historique». Unitat Catalana argumente son projet en affirmant refuser d'appartenir à une région «qui ne nous respecte pas et qui nous vole». Reste que la reconnaissance d'une indépendance est moins le fruit de l'application du Droit international que le résultat des rapports de force dans une région déterminée et à un moment précis. C'est la raison pour laquelle la situation au Sahara occidental demeure bloquée depuis 35 ans, alors que 10 ans ont suffi au Kosovo pour atteindre son objectif. De ce point de vue, les juges de la CIJ ont parfaitement raison de dire que leur décision ne fait pas jurisprudence. L. A. H.