Habituellement, la rue renseigne énormément sur la nature de la société. Durant le mois de carême, elle semble renseigner davantage tant les tréfonds des personnes qui la peuplent sont comme jamais investigués. L'épreuve du jeûne est telle qu'en raison de sa vulnérabilité, tout individu se trouve finalement dénudé à son corps défendant. Il est livré à une espèce de renvoi d'image que produirait une glace, laquelle crûment distille une certaine réalité. Une réalité pas souvent agréable, mais qui n'est que vraie comme le serait une vérité sortant de la bouche d'un enfant.Au départ, par souci professionnel, tout journaliste est dans la rue et, par déformation professionnelle, il scrute, voire scanne tout ce qui se passe autour de lui dans un rayon de 360°, tend l'oreille, alpaguant de fait tout ce qui pourrait sans doute constituer le fil conducteur d'un évènement qui s'est déroulé, se déroule et/ou pourrait se dérouler. Dans une importante artère d'une ville, celle-ci se situerait dans n'importe quelle région du pays sachant qu'elles se ressemblent toutes, ne serait-ce que par le dénominateur commun qu'est le Ramadhan et les travers qu'il charrie dans une société qui ne semble jamais prête à l'accueillir dans la sérénité ; dans l'artère de la ville évoquée, trois travailleurs parlent de la PRC et de la PRI. Pour les profanes, la première est une gratification qui récompense la production collective, la seconde celle individuelle. Ce sont là les archétypes par excellence des vestiges d'un passé récent où travailler moins pour gagner plus constituait la valeur ergonomique, étalon d'un pays onirique où tous les citoyens semblaient travailler et l'Etat faisait semblant de les payer. Les trois personnes en question parlaient avec force gestes et une conviction qui, a priori, laissait deviner un stakhanovisme hors du commun. En théorie, le genre de personnes à abattre du boulot pour deux ou trois sauf qu'il était déjà 9h30 du matin, trente minutes après la présence réglementaire au poste de travail. C'est dire donc la justesse de leurs propos et leur inquiétude face à la non-perception des PRC et PRI. Quoiqu'il faille relativiser dans la mesure où pour tout musulman, le principe même du Ramadhan est de se transcender par rapport à tout, il faut rendre hommage à ceux qui prennent leur congé durant le jeûne parce qu'ils ne peuvent assumer ni vraisemblablement s'assumer.Autre lieu et autre vérité, le café de la cité après l'ultime prière et les taraouih. Tout le monde est frais et dispo. Sujets : le marché qui ne se calme pas et ensuite les autres petits tracas comme le transport, le ramassage des ordures ménagères qui se fait à l'humeur, l'incivisme des automobilistes, la dérégulation de la distribution de l'eau potable, les garçons de café qui ne le sont plus, un peu de football, beaucoup d'équipe nationale et enfin, plat de résistance, la mosquée qui n'est plus ce qu'elle était.Les fidèles ramènent de plus en plus leurs enfants ; leurs enfants s'oublient et s'amusent... Ce qui est naturel parce que c'est la nature même de l'enfant dont l'insouciance prend le pas sur le désir de parents calculateurs et à l'ostentation à fleur de peau. L'air au sol est devenu irrespirable en ce sens que beaucoup de personnes oubliant les règles basiques d'hygiène corporelle quittent leurs étals de fruits et légumes, sortent de leur taxi, l'atelier de mécanique, le bureau, mais aussi de leur domicile sans pour autant avoir pris le soin d'accorder un brin de temps aux ablutions ou encore de se débarrasser pour certains d'une partie de leur tenue vestimentaire et pour d'autres, de crainte de ne pas les retrouver, de rentrer avec à la main un sachet en plastique où se trouvent leurs chaussures. D'où, d'ailleurs, les causes à effets de la gêne générale et le sujet de discussion de nombreux fidèles dans les cafés et leur résolution à aller se faire voir ailleurs et pourquoi pas seulement chez eux.Alors si, en évoquant le porte-monnaie, les Ramadhans se suivent et se ressemblent, ce n'est pas le cas pour les attitudes et les comportements. Qu'ils soient civiques ou religieux. Et le deuxième ne peut pas aller sans le premier. A. L.