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Montée d'un consensus pour le maintien des troupes américaines en Irak
Les militaires irakiens et le département d'état en première ligne
Publié dans La Tribune le 17 - 08 - 2010

Le retrait des militaires américains d'Irak doit commencer à la fin de ce mois d'août pour s'achever totalement en 2011. Le président américain Barack Obama a promis que les opérations américaines de combat en Irak prendront fin d'ici le 31 août. Washington entend ramener ses effectifs à 50 000 d'ici le 1er septembre, contre un peu moins de 65 000 actuellement. Près de 100 000 soldats ont déjà été retirés. Lors de la plus forte période de l'occupation, en 2007, sous la présidence de George Bush, il s'y trouvait 166 000 soldats américains.
Un retrait absolument relatif
Les 50 000 soldats qui resteront jusqu'au 1er septembre ne s'appelleront plus les forces armées mais «les forces de transition» dont la mission sera de consulter et d'enseigner la sécurité aux forces irakiennes. Après le 1er septembre, l'opération «Liberté irakienne» (Operation Iraqi Freedom) sera renommée opération «Nouvelle aube» (New Dawn), incluse dans une opération de stabilisation. Celle-ci comprendra notamment l'entraînement des unités spéciales, de la police, de l'armée et de l'administration dans les provinces. Une mission assurée jusque-là par le commandement militaire américain et qui sera transmise au département d'Etat.
La mission diplomatique des États-Unis à Baghdad a déjà dépassé l'Etat du Vatican par sa surface et possède des «bureaux» ou des «équipes de reconstruction» provinciales dans 16 provinces.En raison de ce transfert de compétence, le département d'Etat comptait sur un budget supplémentaire, notamment pour assurer la sécurité de ses «bureaux» et ouvrir cinq consulats supplémentaires à Baghdad. Or, il y a un mois, le Congrès a réduit de 550 millions la requête du département d'Etat pour un financement supplémentaire de ses nouvelles fonctions, y compris les 400 millions destinés à la protection et à la sécurité des employés. Après le retrait des troupes, le département d'Etat devra engager une sécurité privée supplémentaire pour les employés. Aujourd'hui, 2 700 agents privés sont chargés de protéger diplomates et conseillers. Hillary Clinton explique qu'en septembre, il lui en faudra trois fois plus, soit près de 8 000 personnes. Or, les sénateurs et les membres du Congrès ont estimé qu'il était inapproprié d'accorder 1,8 milliard de dollars supplémentaires en plus d'un budget global du département d'Etat de 16 milliards de dollars pour toute son exploitation et ses
diplomates à l'étranger.Ce retrait apparaît donc comme un problème tant pour certains responsables américains que pour certains de leurs homologues irakiens. La controverse est bien installée, tant sur l'opportunité du retrait que sur sa réelle ampleur et ses
conséquences.
L'armée irakienne contre le retrait américain
D'abord, la déclaration du chef d'état-major irakien. Le général Babakir Zebari a affirmé que l'armée irakienne ne pourrait pas assurer la sécurité dans le pays sans le soutien des forces américaines. Le plus haut responsable militaire irakien soutient que l'armée ne sera prête à assurer seule la sécurité du pays qu'en 2020. Ensuite, l'appel lancé par Tarik Aziz lui-même : «Le président Obama ne peut pas nous quitter ainsi. Il laisse l'Irak aux loups. Quand on fait une erreur, il faut la rattraper, il ne faut pas laisser l'Irak mourir.» Celui qui a prononcé ces mots n'est autre que l'ancien ministre de Saddam Hussein. La question que les opposants au retrait se posent concerne tout simplement les conséquences sur la suite des événements et sur ce qui se passera une fois l'armée américaine partie d'Irak. Par exemple, que se passera-t-il dans la région pétrolifère de Kirkouk, revendiquée par les Kurdes, actuellement sous contrôle grâce à la présence militaire américaine qui agit conjointement avec les forces irakiennes et les peshmergas kurdes ?Ces appels irakiens à différer le retrait du gros des troupes américaines ne sont pas une réelle surprise pour au moins deux raisons : d'abord, elles ont été précédées par des mises en garde américaines l'année dernière et, ensuite, le contexte politico-sécuritaire est exécrable. Rappelons qu'en septembre 2009 des responsables militaires américains avertissaient déjà que l'armée irakienne ne serait pas prête à assurer la sécurité en 2011 (dixit le général Raymond Odierno). Les retards concernaient particulièrement la marine et l'armée de l'air, qui doivent être entièrement reconstruites. De quoi est constituée l'armée irakienne actuelle ? Pour certains, c'est l'héritière de l'ancienne armée baathiste avec une ossature constituée de généraux d'avant 2003, mais non saddamistes. Pour d'autres, c'est une armée largement chiite, avec de nombreux Kurdes en son sein. Quoi qu'il en soit, l'armée reste dans l'inconscient collectif le creuset du nationalisme irakien. L'armée irakienne a été créée avant l'Etat et, lorsque le pouvoir pro-américain voulut supprimer le «jour de l'armée», en automne 2003, il a fait face à une opposition quasi générale. Le Premier ministre Nouri Al Maliki joue la carte de l'armée, face à des rivaux qui entretiennent toujours des milices. La réaction du chef d'état-major intervient dans un contexte politique et sécuritaire qui peut effectivement lui donner raison et en même temps pousser l'administration américaine à maintenir sa volonté de retrait. Cinq mois après des élections législatives qui n'ont pas dégagé de tendances nettes, les deux principaux partis n'ont toujours pas réussi à s'entendre sur la mise en place d'un nouveau gouvernement.
Un contexte politico-sécuritaire délétère
L'exploitation du pétrole, la réconciliation et la question kurde demeurent des points d'achoppement. Une situation profitant aux Kurdes qui revendiquent des terres au-delà des limites de leurs provinces, fixées dans les années 1970. La région autour de Kirkouk et de ses
gisements pétrolifères est fortement disputée. La situation est plus ou moins maîtrisée par la présence de l'armée américaine qui associe dans ses missions de sécurité peshmergas kurdes et forces fédérales. La suite sombre dans l'inconnu.Pour Bertrand Badie,
l'absence de gouvernement irakien cinq mois après l'élection n'est pas un motif de révision du retrait américain, mais une raison supplémentaire pour que celui-ci se fasse le plus rapidement possible. La construction d'un système politique dans une ambiance de guerre et d'intervention extérieure est un exercice impossible. Pour lui, quand une intervention est malvenue, il faut y mettre fin le plus vite possible ; plus on s'entête, plus on aggrave le désastre. «L'homéopathie n'a jamais fonctionné en politique internationale.»
D'autre part, l'augmentation des attaques et attentats meurtriers observée en juillet dernier fait craindre que les insurgés ne profitent de ce vide politique pour relancer les antagonismes intercommunautaires. Une forte augmentation est constatée depuis deux ou trois mois, relève Joost Hilterman, de l'International Crisis Group. Avec 535 morts, juillet a été le mois le plus meurtrier depuis plus de deux ans. Depuis janvier 2010, 2 399 Irakiens ont été tués, selon des chiffres compilés à partir de sources officielles.Cette tension durera tant qu'il n'y aura pas de gouvernement formé à Baghdad et tant que la situation économique n'aura pas évolué. Avec 2,5 millions de barils par jour, la production de pétrole a rattrapé les niveaux de 1989. Représentant 95% des revenus du pays, cette manne ne peut assurer un niveau de vie acceptable aux 30 millions d'habitants. Exception faite du Kurdistan, rappelle Pierre Duquesne, près de quatre Irakiens sur dix (40%) vivent sous le seuil de pauvreté. Le doublement des prix des aliments entre 2004 et 2008 s'est ajouté à un très fort taux de chômage. Et la liste de ce qui ne va pas ne s'arrête pas là. L'industrie irakienne a besoin de cinq à sept milliards de
dollars pour être modernisée et elle risque une privatisation quasi totale.
Plan de rigueur pour le Pentagone
La volonté affichée des Etats-Unis de retirer leurs troupes n'est pas étrangère aux problèmes financiers que rencontre ce pays. Jusqu'à présent, le Pentagone avait été épargné par le gel des dépenses décidé par l'administration américaine, et bénéficiait d'un budget 2011 en légère hausse à 700 milliards de dollars, y compris l'effort de guerre en Irak et en Afghanistan. Dans cette nouvelle perspective, l'administration Obama a décidé d'apporter quelques changements visant à faire des économies dans un secteur devenu budgétivore depuis 2001. Ainsi le Pentagone a-t-il annoncé une série de mesures visant à réduire ses coûts de fonctionnement, à commencer par une baisse de 10% du budget consacré à ses sous-traitants et la suppression d'un de ses commandements militaires. Robert Gates compte supprimer le Commandement des forces conjointes (Joint Forces Command), qui a pour mission d'organiser l'entraînement et le déploiement de soldats provenant de différents corps et appelés à se battre ensemble. Ce commandement militaire basé en Virginie (est des Etats-Unis) jouit d'un budget annuel de 240 millions de dollars et emploie quelque 5 800 personnes. Dans un effort pour réduire le nombre de postes à responsabilité qui n'a cessé d'enfler depuis 2001, le Pentagone entend également supprimer une cinquantaine de postes de généraux ou d'amiraux au cours des deux prochaines années.Il est, par ailleurs, d'ores
et déjà prévu que le corps expéditionnaire des marines redéfinisse sa mission. Le corps des marines compte quelque 202 000 hommes qui disposent de leurs propres force aérienne, infanterie et régiments blindés, et s'appuient parfois sur l'US Navy pour leurs opérations via des bâtiments de débarquement. Leur rôle dans le dispositif militaire américain est d'agir très rapidement dans le cadre d'une force expéditionnaire autonome sans attendre les moyens lourds de l'US Army. La nature de la force de frappe amphibie a déjà été remise en cause par les guerres en Afghanistan et en Irak où les marines ont, pendant des années, fait office de deuxième armée de terre. Or, affirme le chef du Pentagone, Robert Gates, «fondamentalement, les marines ne veulent pas devenir une autre armée de terre, ni une force de police de la marine américaine».Cependant, les différents services pourront garder les économies dégagées pour les réinvestir dans des besoins et des programmes prioritaires. Le but est d'économiser 100 milliards de dollars en coûts de fonctionnement en cinq ans. Le budget du Pentagone représente plus de 40% de l'ensemble des dépenses militaires mondiales. La coopération entre les Etats-Unis et l'Irak comprendra la vente d'équipement (militaire) américain ou l'entraînement de leurs forces.
L'armée irakienne : un marché à conquérir
Au sein de leur ambassade à Baghdad, et sous la responsabilité du chef de mission diplomatique, les Etats-Unis vont créer un «bureau de coopération pour la sécurité» qui servira de lien entre l'armée américaine et les forces de sécurité irakiennes. Quelques dizaines ou des centaines de militaires américains seront maintenus. Concernant les livraisons d'armes, l'Irak vient de recevoir les 11 premiers chars américains Abrams M1A1, sur une commande de 140. Le reste de la commande sera livré d'ici la fin 2011, lorsque l'ensemble des troupes de combat américaines auront quitté l'Irak d'ici là, selon un accord américano-irakien de sécurité. Les chars seront utilisés dans un camp d'entraînement de la base militaire de Besmaya, dans la banlieue sud-est de Baghdad, qui a été officiellement remise aux autorités irakiennes à la fin du mois dernier. Selon l'armée, les soldats irakiens sont formés depuis 2009 à l'utilisation de ces chars, avec 60 équipes déjà entraînées. Equiper l'armée irakienne est une ambition partagée par d'autres fournisseurs d'armements même si «les présentations d'offres dans le secteur se font toujours sous le contrôle plus ou moins rapproché d'un militaire américain». La Grande-Bretagne, l'Italie et la Pologne se sont déjà bien positionnées sur le marché. La France et l'ex-Yougoslavie, les deux plus importants exportateurs d'armes à l'Irak avant 1990, figurent en bonne position. En 2008 déjà, Belgrade était l'un des premiers à négocier un contrat d'armement avec le nouveau régime. Des armes légères, des pièces détachées d'hélicoptères et des avions d'entraînement Utva-Lasta95 avaient été négociés pour un montant de 236 millions de dollars. Côté français, commençons par les reliquats. A l'époque de l'ancien régime, l'Irak possédait 90 avions de combat de type Mirage F1. Baghdad avait acheté en 1985 vingt-quatre appareils supplémentaires pour faire face à un contexte régional tendu avec l'Iran. Conscients de ces difficultés, les Français avaient alors demandé à être payés d'avance. La somme de 651 millions d'euros était alors transférée. Or, rappelle Michael Colaone, suite à l'opération irakienne au Koweït et à l'embargo qui en était résulté, ces avions n'ont jamais été livrés. Logiquement, les Irakiens demandent que ces appareils leur soient restitués. En mars 2010, un premier contrat portant sur la vente de 24 appareils de transport EC635 d'Eurocopter a été signé pour un montant de 360 millions d'euros. «L'armée de l'air irakienne est fortement intéressée dans l'ordre de priorité par six hélicoptères Panthers SAR, dix-huit Mirage F1 modernisés, quatorze hélicoptères légers Fennec, et six petits avions Médévac», a révélé le Figaro. En plus de l'armée de terre, intéressée par des chars AMX 30 et AMX 6 T, des véhicules de l'avant blindé VAB et Sagaie E. Quinze patrouilleurs de type Ocea et deux navires de soutien seraient également sur les rangs si la contre-offre américaine ne remporte pas le marché. La France serait ainsi en train de négocier avec les pays voisins (Arabie saoudite en tête) pour céder à Baghdad du matériel d'occasion, ouvrant ainsi potentiellement de nouveaux marchés «dans le neuf». Pour bien comprendre les ambitions françaises, rappelons qu'en décembre 2009 Paris a annulé 80% de la dette irakienne (4,8 Mds €).Rappelons également que du matériel irakien est stocké notamment en Europe, pour des raisons de maintenance ou le temps pour ces dernières d'honorer leurs contrats. Ainsi 19 chasseurs MiG-21 et MiG-23 partis en ex-Yougoslavie en 1989 n'ont-ils jamais été restitués à l'armée de l'air irakienne. Or, depuis 2009, des officiers irakiens négocient le retour de ces appareils dans leur pays. Evidement, les opérations de maintenance devront être effectuées par Belgrade, conformément au contrat signé en 1989. Pour ce qui est de l'acquisition de systèmes sol-air, rien n'aurait encore été décidé malgré le fort lobbying américain. Il en va de même pour la fourniture de radars à longue portée. Le marché de modernisation de l'armée irakienne est d'autant plus attractif que tout reste à faire et que, tradition oblige, l'armée irakienne a de grosses ambitions. En ces temps de crise, les grands exportateurs ne se font pas prier.
L. A. H.


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