Propos recueillis par Loup Besmond de Senneville* Les chiffres de l'économie européenne semblent indiquer des signes de reprise. Quelle est votre analyse de la situation ? Il est parfaitement logique que l'on ait un effet de rebond après une récession aussi sévère. Mais même si la croissance s'établissait à 1,5, voire 2% en 2010, la question qui importe vraiment est de savoir quand nous allons retrouver le niveau d'activité d'avant-crise. Or, il est tout à fait improbable que cela survienne avant la fin 2011. Une récession de 4% suivie d'une reprise de 2%, cela fait tout de même une récession de 2% sur deux ans qu'il faut amortir.Par ailleurs, le taux de chômage reste historiquement élevé, de l'ordre de 10%, et ne se résorbe que marginalement. Enfin, et c'est plus préoccupant, les effets de stimulation des plans de relance sont en train de s'estomper. Et l'on sait que les plans d'austérité qui suivent vont avoir pour effet de casser la demande intérieure. L'économie européenne peut-elle replonger ? Oui, l'économie européenne peut, comme l'économie mondiale, replonger. L'économie américaine semble déjà prendre le chemin d'un retour vers le ralentissement après une phase de reprise modérée. L'économie japonaise donne également assez peu de signes de vie. Face à cette conjoncture, les gouvernements européens sont complètement à contretemps, puisqu'ils mettent en place des politiques de dépression coordonnée. Mais beaucoup justifient cette politique par les exigences communautaires... Cette même politique communautaire que l'on n'a pas hésité à mettre entre parenthèses, et à juste titre ! A ma connaissance, les mesures punitives du Pacte de stabilité et de croissance sont toujours en suspens. Nous avons assisté à quelques rodomontades de la part de Bruxelles, pour la forme. Mais la notion de «circonstances exceptionnelles» joue encore à plein. Et c'est entièrement justifié. Le véritable argument, si j'ai bien compris, consiste à affirmer qu'il faut assainir les finances publiques pour plaire aux agences de notation et éviter une dégradation de sa note de dette publique. Mais cet argument est irrecevable. On le voit encore avec la décision de Standards and Poor's sur l'Irlande ces jours-ci : ces agences de notation sont totalement irresponsables. Elles n'ont aucun souci de la soutenabilité à long terme de la zone euro. Ce n'est du reste pas leur vocation. Se fier à cette boussole nous conduira tout droit dans le précipice. Des finances publiques assainies dépendent avant tout du retour de la croissance. Et pour cela, il faut soutenir l'activité quand la demande privée flanche. Comment interprétez-vous la visite du ministre du Budget François Baroin à Berlin, mardi 24 août ? La France court-elle après l'Allemagne ? Oui, et à tort. Rien n'est plus faux que l'image de la locomotive allemande qui tirerait les wagons européens. En réalité, le cavalier seul de l'Allemagne est en train d'écarteler la zone euro. Compte tenu des différences de structure économique et de stratégie de croissance, la zone euro est devenue une machine à produire de la divergence. Et l'Allemagne est en train d'accélérer sa stratégie d'extraversion économique et non pas, comme le souhaitent la France et d'autres, de la modérer. En Allemagne, le dégel des salaires n'est donc pas à l'ordre du jour ? Pas du tout, bien au contraire. En réalité, le regain de croissance en Allemagne, qui dépend comme toujours beaucoup de ses échanges extérieurs dopés par la compression du coût du travail et, une fois n'est pas coutume, un peu d'un modeste plan de relance, est surtout le fruit du grand plan de relance chinois. L'Allemagne, engagée à fond dans sa stratégie de petit pays, profite ainsi du changement de stratégie de croissance de la Chine (qui a décidé de développer son marché intérieur) pour y exporter encore plus. La dépréciation de l'euro sert opportunément cette stratégie. Mais l'effet de divergence en Europe est patent : la dépréciation de la monnaie unique profite cinq fois plus à l'Allemagne qu'à la Grèce, et trois fois plus à l'Allemagne qu'à l'Espagne. A chaque fois que l'euro se déprécie, les écarts de compétitivité et de croissance s'accentuent en Europe. Compter sur la dépréciation de l'euro pour sortir de la crise, c'est donc parier à terme sur la dislocation de la zone euro.L'Allemagne jouerait vraiment le rôle de locomotive si elle développait sa demande intérieure, dont pourraient alors bénéficier les autres pays de la zone euro. Mais si elle continue dans sa stratégie de compétitivité à outrance, l'écart deviendra insoutenable, et il ne fait aucun doute que la zone euro implosera. Comment rompre ce cercle vicieux ? Il faut profiter de la stratégie UE 2020 pour mettre en place un grand plan de compétitivité dans les pays de la périphérie. On pourrait ainsi faire en sorte de restaurer leur compétitivité à moyen terme car, sans cela, il n'y a aucune chance que la zone euro conserve sa cohésion.Puisque l'Europe affirme vouloir devenir le centre mondial de la croissance verte, réorientons la stratégie UE 2020 vers un investissement massif dans les pays les plus en difficulté de la zone euro. On leur redonnera de l'oxygène sur les marchés, et du même coup, on redonnera de l'avenir à la monnaie unique. L. B. S. *In Euractiv Allemagne : les prix à l'importation ont flambé en juillet Les prix à l'importation en Allemagne ont progressé de 9,9% en juillet, soit la plus forte hausse en glissement annuel depuis près de dix ans, selon des statistiques publiées hier. Portés par la flambée des prix de l'énergie, les prix à l'importation ont connu des hausses sans précédent en juin et en mai avec respectivement 9,1% et 8,5%. Sur un mois, les prix ont cependant légèrement reculé de 0,2%. Selon l'Office fédéral des statistiques, cette évolution sur un an «s'explique avant tout par la hausse des prix de l'énergie». Ces derniers ont, en effet, flambé de 30,4% par rapport à juillet 2009. Le pétrole brut a notamment coûté 35,4% plus cher qu'il y a un an, et les prix des produits pétroliers se sont appréciés de 27,5%. Les prix du gaz naturel ont bondi de 29% sur un an. Aidés par la reprise de l'économie mondiale, les prix à l'importation ne cessent d'augmenter en Allemagne, une tendance enclenchée depuis le début de l'année. C'est le cas également des prix à l'exportation, qui ont enregistré des hausses record sur un an, tirés aussi par la flambée des prix de l'énergie. Ils ont ainsi augmenté de 4,1% en juillet sur un an, leur plus forte progression en glissement annuel depuis juin 1982, précise Destatis. Ils avaient déjà nettement grimpé en juin (+3,9%) et en mai (+3,6%).