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Du plombier au «flasheur» de démodulateurs et de portables
Quand l'absence d'emploi inspire les jeunes
Publié dans La Tribune le 10 - 03 - 2010


Photo : S. Zoheir
De notre correspondant à Constantine
Nasser Hannachi
Pour sortir des situations de dépendance dans lesquelles le chômage et l'oisiveté les mettent, les jeunes prennent le parti d'«inventer» des métiers, ou plutôt de trouver des astuces qui leur permettraient d'avoir quelques sous en poche.
Il en va de l'installation et l'orientation d'antennes paraboliques à la vente de produits multimédias (volés ou non), en passant par le flashage (craquage des codes) des démodulateurs et téléphones cellulaires et autres petits travaux de bricolages en intérieur…
En dépit des différents dispositifs mis en place par l'Etat en vue de réduire le taux impressionnant de chômage, le phénomène persiste et touche toutes les franges de la société. Ainsi, les jeunes fraîchement diplômés de l'université côtoient d'autres qui ont quitté les bancs de l'école très tôt, formant un microcosme où la débrouillardise est la seule règle. On fait ce qu'on peut, comme on peut pour dénicher un job, même temporaire. «S'adapter pour survivre», c'est le mot d'ordre de ces jeunes qui, souvent, après avoir frappé à toutes les portes, sollicité tous les employeurs potentiels, envoyé des dossiers tous azimuts sans récolter la moindre réponse positive, ont fini par se prendre en charge avec ce qu'ils avaient entre les mains. «On a tout tenté, en vain !
Il faut être armé de patience et avoir du piston pour pouvoir décrocher une place parmi les chanceux», déplore un diplômé de l'université qui vend et échange des téléphones cellulaires. Il a installé un étal à Rahbet El Dj'mel (place des Chameaux), qui est connue à Constantine comme l'endroit où tout se vend et s'achète, et à des prix relativement abordables. Mais sans garantie sur la qualité.
C'est vers 9 heures du matin que les premiers étalages font leur apparition sur la place. Avant de s'installer, les vendeurs font d'abord un tour d'horizon pour déceler la présence d'agents de l'ordre. Ils jaugent et prennent la température de l'endroit. Une fois qu'ils se sont assurés qu'ils ne courent aucun risque de se faire saisir leurs marchandises, téléphones portables, chargeurs, montres, lunettes
solaires, CD, DVD et autres babioles surgissent. On vend ou on échange.
«Je préfère obtenir mon argent de poche ici plutôt que d'aller tenter un travail chez le privé avec un salaire dérisoire. Et en plus on n'est même pas couvert socialement», déclare un jeune vendeur à la sauvette. En fait, ce commerce informel n'est pas concentré sur cette place. Il est un peu partout à Constantine. Là où il y a du monde, il y a des vendeurs.
Et tout le monde y gagne, sauf le Trésor public. Le vendeur écoule sa marchandise en en tirant quelques bénéfices sur lesquels il ne paye aucun impôt et l'acheteur acquiert un produit qui lui serait revenu le double s'il l'avait acheté en magasin… Revers de la
médaille, l'objet acheté, dans le meilleur des cas, peut être une copie pirate dont la durée de vie est relative à son prix, ou, dans le pire des cas, le produit d'un vol, et dans ce cas, l'acheteur peut être accusé de recel d'objet volé.
En parallèle, il est des jeunes qui ont préféré prendre un autre chemin en s'inscrivant à des stages au niveau des centres de formation pour maîtriser un métier et décrocher le diplôme qui leur permettrait de le pratiquer. Cependant, avoir un métier et un diplôme
l'attestant n'est pas tout. Ça ne garantit pas toujours l'emploi. Aussi ce manque de postes de travail pousse-t-il les jeunes formés à recourir à des travaux journaliers, et ils vivent au jour le jour. Ainsi, on les voit, munis de leur boîte à outils, sillonner les rues, les cités et les nouveaux quartiers où, parce que de nombreuses constructions sont encore en chantier, ils ont des chances de décrocher, si ce n'est un marché, au moins une petite tâche qui leur permettrait de gagner leur croûte.
Ils battent le pavé en proposant leurs services de plombier, maçon, électricien, aux nouveaux acquéreurs. «Les petits métiers aujourd'hui sont très demandés et les artisans sont de plus en plus sollicités. Il n'est d'ailleurs pas toujours facile de trouver tout de suite la main-d'œuvre dont on a besoin dans les cités nouvelles», explique un résidant de la ville Ali Mendjeli.
D'un côté, le chômage use les jeunes et, de l'autre, la mutation dans les branches aura offert l'opportunité à des débrouillards d'investir d'autres créneaux qui leur permettent de monnayer leur savoir-faire. Il est même des maçons qui viennent de wilayas limitrophes pour proposer leur talent d'artisan, et souvent à des prix abordables, car le travail fait parfois cruellement défaut, ce qui les a d'ailleurs poussés à quitter maison et famille pour chercher du travail à Constantine. Pour l'exemple, on peut citer les tailleurs de pierre de Ferdjioua qui passent leurs journées courbés sur des blocs de roc qu'ils cisèlent pour en faire des pierres de revêtement qui iront décorer les résidences des beaux quartiers.
Par ailleurs, il faut savoir que le transport en commun n'a pas échappé à cette quête de ressources. Aux chauffeurs de taxi déclarés, les transporteurs clandestins, parmi lesquels on trouve même des diplômés de l'université qui avouent n'avoir pu décrocher un poste de travail, livrent une concurrence impitoyable. «Je viens de terminer mes études en droit. Mon père est décédé il y a deux mois. Je suis l'aîné et c'est à moi de veiller sur mes frères et sœur…» raconte un jeune de 22 ans qui a été licencié par son patron, un privé, en raison d'un retard dont il l'avait pourtant avisé, et ce, après lui avoir tenu la gestion des stocks de son entreprise. Il n'est pas le seul universitaire qui «fraude» à Constantine ! Le phénomène du chômage n'a épargné aucun niveau, ni d'instruction ni d'âge. Et les lieux de «travail» ne sont pas rares. «Lorsqu'au niveau de l'aéroport on relève que le nombre de porteurs de valises est plus important que celui des douaniers en activité à la sortie des lignes internationales, il y a de quoi s'interroger sérieusement sur la question», s'étonne un voyageur !
Pourquoi les jeunes optent-ils donc pour ces métiers précaires ? Est-ce par fainéantise et envie de s'enrichir sans trop se fatiguer ou par nécessité et un besoin urgent d'argent ? Les multiples facettes qu'offrent les sans-emploi à Constantine laissent supposer différentes interprétations.
«La facilité des gains incite les jeunes à préférer dresser des étals dans les souks ou vendre des cigarettes dans la rue», soutient un commerçant, visiblement excédé par ces vendeurs à la sauvette qui lui font concurrence sans payer le moindre impôt ni la plus infime taxe. Un autre, plus clément et compréhensif, affirme sans ambages que «la bureaucratie, les lourdeurs administratives et les passe-droits qui entourent l'embauche rejettent les jeunes, les diplômés notamment. Ce qui les amène à s'investir dans d'autres créneaux». La voie médiane dans ces appréciations émane de l'ANSEJ qui persiste à dire que les jeunes diplômés devraient se rapprocher de ses bureaux pour se renseigner davantage sur les démarches à suivre pour bénéficier d'une aide financière. Il reste que cette invitation bute souvent sur la sempiternelle problématique du financement et de la domiciliation des projets et ce, malgré les allégements promis par les différents mécanismes d'aide à l'emploi des jeunes.


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